Offrandes à la mort
92 pages
Français

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Description

Elliot n’en a plus pour longtemps. Le temps lui a tout pris, ou presque : sa jeunesse, sa femme, sa mémoire. Profitant d’un instant de lucidité, il décide de tenir la promesse qu’il avait faite à sa belle Florence. Son vieil ami Dave vient le chercher à la maison de retraite et l’accompagne à la gare de Montréal pour une ultime escapade. Un aller simple pour un voyage entre passé et présent... Romantique et touchante, une ballade nostalgique qui revisite trente années d’un couple, avec ses rires et ses larmes. Joignant les mondes publicitaire et littéraire de ses personnages, Murielle Beauchamp rend hommage à l’esprit créatif. Une démarche qu’elle souligne en adoptant une habile narration à tiroirs au service de l’émotion.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 14 mai 2012
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748376074
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Offrandes à la mort
Murielle Beauchamp
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Offrandes à la mort
 
 
 
À Richard, parce que je t’aime plus que tout et que j’en connais le prix.
 
 
 
Résidence Mérédite (2009)
 
 
 
L’infirmière de nuit munie de sa lampe de poche effectuait la tournée de son unité de soins. Elle s’arrêtait devant chacune des chambres, en prenant soin d’écouter la respiration de ses patients endormis et de vérifier leur posture. C’était toujours ainsi que Céleste commençait son quart. Avant même d’avoir atteint le fond du corridor et cela malgré la porte fermée du salon, elle reconnut par le son diffusé de la télévision, la puissance rythmée des roues de fer d’un train roulant sur des rails. Malgré sa petite taille, elle ouvrit la porte avec autorité et entra dans la pièce. Toutefois, elle n’y trouva qu’un patient assis dans un fauteuil adapté : ses yeux étaient fixés sur les taches de gelée rouge cristallisées sur la surface du plateau qui le maintenaient captif sur la chaise gériatrique, dont le dossier avait été complètement incliné vers l’arrière pour qu’il se reposât. Cependant, le patient luttait contre la gravité en arquant son corps et en refusant obstinément de poser sa tête sur le dossier.
Les flashs sporadiques du film projetés par l’écran de télévision rendaient ses traits fantomatiques. Le suspense était à son comble, la trame sonore crachait les paroles véhémentes de Jon Voight, l’acteur qui jouait avec brio le rôle d’un homme désabusé dans le film Runaway Train .
Une forte odeur d’urine émanait de la couche qui reposait en charpie aux pieds de la chaise. Céleste n’était pas surprise, ce patient n’avait jamais toléré le contact de la mousse humide sur sa peau, alors il l’arrachait. Elle baissa un peu le volume de l’appareil quand tout à coup, derrière elle, une voix lui expliqua :
— Il ne voulait pas dormir, il fouillait partout, il voulait faire ses valises. Il a donc fallu l’installer dans le fauteuil gériatrique.
Céleste, tout en se dirigeant vers le vieil homme, avait reconnu la voix de la préposée du soir. Mais, elle ne dit rien. Elle détestait quand il fallait en arriver là. Seulement, c’était la solution la plus prudente lorsque les patients devenaient désorganisés et que le matériel utilisé pour les soins donnés aux personnes âgées était confortable. Toutefois, monsieur Elliot était un patient à haut risque de fugues, et il n’avait plus de réflexe de survie, en conséquence : une escapade en plein hiver pouvait lui être fatale.
Céleste le connaissait bien et elle savait qu’il avait peur dans le noir. Cette fois-ci au moins, le personnel avait laissé le téléviseur allumé. Céleste s’approcha doucement puis murmura :
— Monsieur Elliot ! Que faites-vous là, mon ami ?
La préposée entra et baissa un peu plus le son de la télévision pour atténuer le vacarme.
Lorsqu’elle fut près de lui, Céleste frôla la main de l’homme du bout des doigts. À son contact, il abandonna spontanément sa lutte et se laissa choir dans le fauteuil. Ses mains encore agrippées au plateau étaient blanches et glacées, il était fatigué d’avoir lutté contre l’inclinaison de la chaise. Elle pressa le mécanisme pour remettre le fauteuil droit. Le patient relâcha ses muscles tendus. Monsieur Elliot était un homme massif. Son corps, malgré la maladie, avait gardé sa puissance et son agilité. Ses jambes surtout faisaient beaucoup d’envieux, avec ses mollets musclés et ses cuisses encore fermes ; résultat d’une vie athlétique.
Céleste s’approcha plus près de lui, son parfum avait envahi la pièce et Elliot le huma avec délice. Elle était triste, car elle comprenait la panique de ceux qui luttaient contre ce voile qui peu à peu effaçait l’être qu’ils avaient été. Elle lui accordait une attention toute particulière, car elle connaissait son passé et elle avait pour lui un grand respect, sachant comment il avait dû plier l’échine devant cette immuable atteinte à son intégrité. Il voulait lui parler, mais sa voix était enrouée, il parvint tout de même à dire :
— Je… je veux parler à Dave !
Rapidement, elle retira le plateau de la chaise gériatrique, retira le repose-pieds qui pour une fois, glissa du premier coup. Elle l’empoigna d’une main énergique sous l’aisselle pour l’aider à se lever. Il n’avait pas parlé de son meilleur ami depuis des mois déjà, même lors des visites de ce dernier, il n’avait pas réagi. La voix de l’homme avait une intonation plus naturelle, elle était moins rauque lorsqu’il répéta :
— Il faut appeler Dave.
— Oui, Monsieur Elliot, je vais le contacter immédiatement !
Céleste connaissait Dave, il avait été très généreux et n’avait négligé aucun détail pour le confort d’Elliot.
Céleste savait que Dave comme toujours ne mettrait qu’une demi-heure pour arriver.
À la chambre 31, on pouvait voir la lumière filtrer sous le pas de la porte et cela malgré l’heure avancée de la nuit. Elliot avait pris un bain et revêtu sa robe de chambre de ratine. Dave, son vieil ami, le fixait les yeux écarquillés, surpris cette fois-ci de ce qu’il lui demandait de faire. Le voir de retour à chacune de ses rémissions, et il y en avait eu quelques-unes depuis le début de sa maladie, devenait de plus en plus exceptionnel. Dave, comme toutes les autres fois, recommençait à lui expliquer ce qui s’était passé ces deux dernières années. Les larmes lui montaient aux yeux trop facilement, alors il se levait pour inspecter nerveusement les vêtements d’Elliot, qu’il prenait soin de renouveler tous les six mois.
 
— Arrête ! Ne fais pas ça ! Dave… Écoute-moi ! Il faut que tu m’aides… Je veux partir, pendant qu’il est encore temps… Je dois réaliser une dernière chose avant qu’il ne soit trop tard.
 
Tout était allé trop vite, beaucoup trop vite pour Dave, depuis la maladie d’Elliot. Il n’était pas préparé à faire face à ce qui était arrivé. Il y a parfois dans la vie, des réalités qui nous déstabilisent, nous jettent à terre. Il n’avait pas l’habitude de s’occuper des autres, ni d’assumer toutes les décisions. Pourtant, il avait accompagné Elliot dans ce centre hospitalier, décidant des moindres détails au sujet des soins que l’on devait lui prodiguer. Florence ne lui avait pas donné le choix ; il avait promis.
Et là ! Il regardait Elliot remplir son sac de photos, de livres et de quelques objets qu’il avait conservés de Flow. Elliot était prêt, il avait récupéré tout ce qu’il voulait emporter pour son voyage. Fébrile, essoufflé, il fit signe à Dave de lui appeler un taxi, mais celui-ci ne put se résoudre à le laisser partir seul. Il le conduisit sans tenir compte des protestations d’Elliot. Ils restèrent silencieux jusqu’à la gare Centrale de Montréal. Elliot était calme, malgré l’incertitude de son état, combien de temps lui serait-il accordé cette fois-ci ? Le dernier épisode de rémission avait duré plus de trois mois, et graduellement, il avait perdu contact puis s’était éteint comme la mèche d’une chandelle. Il ne parvenait pas à se souvenir de ces périodes végétatives, comme il les surnommait, il était accablé de flash-back, de sensations angoissantes dont il était le principal protagoniste.
Arrivé devant la place Bonaventure, Dave gara sa voiture sur l’aire réservée aux taxis, les chauffeurs frustrés klaxonnaient avec énervement. Mais, les deux hommes semblaient sourds, faisant fi du vacarme, Dave était tellement tendu qu’il en grelottait. Il se dirigea vers le coffre arrière pour y récupérer les bagages. Il resta silencieux, sachant qu’il ne parviendrait pas à dissuader son ami. Elliot pencha la tête, tout en observant le visage pâle de son ami, il le rassura :
— Ça va aller mon vieux ! Dave… crois-moi ! Tout ira bien.
— Tu as la lettre sur toi ?
— Oui ! T’inquiète pas ! J’ai tes coordonnées, je t’appellerai.
— Tu me le promets ?
— Oui !
Dave le serra dans ses bras avec inquiétude, les périodes de rémissions d’Elliot étaient plus courtes à chaque fois. Aurait-il le temps de se rendre à destination ? Il en doutait. Elliot, lui arracha des mains sa valise et son sac à dos, il devait partir. Il regarda Dave dans les yeux puis spontanément, il plaqua sa bouche sur les lèvres sèches de son vieux copain. Le dernier témoin de ses grandes réussites, de ses joies, mais aussi de ses peines. Tous les deux comprenaient très bien qu’il s’agissait d’un adieu. Dave tenait bon malgré sa grande sensibilité, il savait que ce dernier baiser, il le partagerait avec le fantôme de Florence qui, il en était sûr, les observait tous les deux.
 
Jamais, il n’aurait pu imaginer que la perte de ses meilleurs amis, signifierait pour lui la mort de son sentiment d’invincibilité, de sa jeunesse. Leur accolade se termina quand Elliot fit volte-face et se mit à courir vers la Centrale. L’homme, malgré son corps massif, était agile. Vêtu d’un pantalon gris, d’un col roulé et de son vieil imperméable noir, celui qui le rendait irrésistible aux yeux de sa Flow ; elle trouvait qu’il accentuait le noir de jais de ses cheveux et rendait son regard encore plus bleu. Il acheta son billet, un aller simple vers Vancouver. L’agent de voyage, une belle fille aux longs cheveux blonds, flirta timidement malgré les décennies qui les séparaient, il lui sourit à demi et reprit contenance en ajustant ses écouteurs. Il n’avait qu’une hâte, se remplir la tête de la musique que sa Florence avait si soigneusement choisie et compilée sur son iPod rose bonbon. Il avait décidé que cette musique deviendrait la t

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