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Publié par
Nombre de lectures
1
EAN13
9782369551386
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
6 Mo
Trois nouvelles de Georges Courteline. Théâtre de mœurs, chronique de la société du début du vingtième siècle, ce livret léger est un raffraîchissement drôle pour les heures passéesen transport en commun.
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Un sale monsieur
I
Quand le chroniqueur Lavemié eut expliqué que son ex-ami Laurianne le traitait couramment de « sale monsieur, », à cause d’un service que lui, Lavernié, avait dernièrement rendu au dit Laurianne, il y en eut qui s’étonnèrent, d’autres qui hochèrent la tête, d’un air fixé et entendu de gens blasés sur les surprises de l’existence et que ses petites vilenies n’en sont plus à faire rêver.
-Il y a service et service, déclara cependant Christian Lestenet, il ne s’agit que de s’entendre.
-Oh ! c’est bien simple, dit très sérieusement Lavernié; j’ai couché avec une maîtresse à lui.
Lestenet éclata de rire et appliqua une claque sonore sur la cuisse du journaliste en le traitant d’aimable farceur; mais le poète Georges Lahrier, qui était philosophe à ses moments perdus, dit simplement :
-Eh ! ne parlons pas sans savoir ! D’abord, c’est toujours l’obliger que débarrasser un ami d’une femme qui l’avait trompé. Voilà déjà qui tombe sous le sens.
-Parbleu ! s’exclama Lavernié, et puis, si je l’ai fait, c’est parce que l’ami lui-même m’avait engagé à le faire. Oh ! mon cas est assez spécial, mais il n’a en soi rien d’extraordinaire, étant basé sur l’éternelle niaiserie humaine et ce besoin de forfanterie qui est la première manifestation de la bêtise, comme l’instinct de la conservation est la première manifestation de l’Intelligence. Avez-vous un quart d’heure à perdre ? L’histoire vaut assez la peine d’ ê tre écoutée et il y a profit à tirer de la morale qui s’en dégage...
-Bah ! dit Fabrice, un quart d’heure ! on peut toujours risquer cela !
-D’autant, répliqua le jeune homme, que vous en serez quittes pour m’enlever la parole si cette histoire vous embête, comme celle du petit navire qui n’avait jamais navigué.
Et ayant fait revenir un plateau de bocks mousseux, en prévision d’une narration un peu longue, Lavernié parla comme suit :
Il y avait dix ans que nous nous tutoyions, quand nous avons cessé de nous voir, Laurianne et moi, il y a six mois de cela.
Je l’avais connu au Quartier, à l’époque où je faisais. mon droit. Ce n’était pas un aigle, mais c’était un bon diable, en sorte qu’il m’avait plu tout de suite et que je continuai à le voir une fois les études terminées. Laurianne m’aimait beaucoup aussi et c’était rare qu’il laissât s’écouler la semaine sans donner un coup de pied jusqu’au journal, en sortant de son ministère, comme dans la chanson du Brésilien. Il arrivait, prenait une chaise et dévorait silencieusement les journaux, s’interrompant de temps en temps pour jeter un coup d’œil furtif sur ma copie, ou pour compter des yeux la quantité de feuilles noircies alignées devant moi, côte à côte. Timide, de cette timidité puérile des gens qui se savent un peu bornés et se sentent dans un milieu qui n’est pas le leur, il était sage comme une petite fille, parlait tout bas, comme dans une église. et reniflait pendant des heures, par crainte d’attirer l’attention en se mouchant. Enfin. la pâture quotidienne achevée et le paraphe posé au bas de la dernière page, nous descendions au boulevard, prendre à une terrasse quelconque le vermouth de l’amitié.
Le plus souvent, ces jours-là, nous passions la soirée ensemble; Laurianne me prenait sous le bras et m’entraînait jusque chez lui, place du Théâtre, à Montmartre. où nous dînions en camarades, moi, Laurianne et la maîtresse de Laurianne. Mes enfants, une rude fille, cristi ! Des carnations !... Un vrai Rubens ! Je l’avais prise en amitié à cause de ses belles couleurs et aussi de son bon caractêre; et, de fait, il était impossible de réaliser mieux que cette fille le type idéal de la femme d’ami. Pas de nerfs ! Toujours de bonne humeur ! Je n’ai jamais rencontré - j’ai pourtant connu bien des femmes - de camarade plus charmante et plus gaie.
Nous jouions ensemble comme des gosses; je lui pinçais le gras des bras, ou les hanches, et elle m’envoyait des taloches que je lui rendais avec usure, tandis que Laurianne, la pipe à la bouche, criait :
-N’aie pas peur, Lavernié, vas-y; tape dessus; la bête est dure ! J’ai toujours aimé ces jeux de brute.
II
Un soir, comme en sortant de table j’avais emmené Laurianne prendre un bock dans une brasserie du boulevard Clichy, je ne sais quelle idée me prit de lui dire à brûle-pourpoint :
-Ah ! c’est égal, Angèle est vraiment une belle fille !
Bon, ne voilà-t-il pas mon homme qui me regarde fixement et me demande si elle me plaisait. Je lui dis :
-Elle me plaît sans me plaire. Je la trouve belle fille, voilà tout. En voilà encore une question !
Il reprit :
-C’est que si, des fois. tu avais envie de coucher avec elle, il ne faudrait pas te gêner pour moi.
Ceci me cassa bras et jambes,
Je le regardai, à mon tour.
-Ah çà ! lui dis-je, qu’est-ce qui te prend ? Et, comme il s’enfermait dans un drôle de rire, dans une goguenarderie édifiée qui affectait de se faire discrète :
-Oh ! mais une minute ! m’écriai-je. Notre amitié est trop ancienne pour se pouvoir accommoder d’équivoques et de faux-fuyants. Si tu as une pensée de derrière la tête, tu vas lui donner la volée, ou je vais, moi, régler les bocks, prendre mon chapeau et me cavaler. Comme tous les gens qui n’ont rien à cacher, je suis pour les maisons de verre. Explique-toi, et finissons-en.
A ces mots. tirant de sa pipe une bouffée de fumée qu’il lâcha avec une savante lenteur :
-Ces amoureux sont inou ï s, fit Laurianne. Ils crient leur secret sur les toits, et ils s’étonnent que les couvreurs, ayant des oreilles, les entendent !... Je demandai :
-Qui ça, amoureux ?
-Toi ! ...