Lunes et sable
318 pages
Français

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Lunes et sable , livre ebook

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Description

Patrick, personnage transgenre, se considère et vit tel un gentilhomme de fortune, tour à tour cambrioleur, guerrier et putain. Suivez-le à travers ses amours, ses réflexions, ses périodes de liberté et ses emprisonnements, entre réalisme et imaginaire. L'auteur profite de son cheminement pour aborder dans une langue baroque et poétique, loin de tout militantisme, les ambiguïtés du sexe et du genre, la violence, la liberté et son corollaire, la responsabilité.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 13 août 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782332905215
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0105€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-90519-2

© Edilivre, 2015
Citations


« La moralité moderne veut que l’on accepte les normes de son époque. Qu’un homme cultivé puisse les accepter me semble la pire des immoralités. »
O.Wilde
« … trahir son temps ou en être le fervent, exprime – sous cette contradiction apparente – un même acte de participation. »
Cioran
Années I à VII
Sur la place du village, les parapluies colorés dessinaient un patchwork rieur de rosaces dansant, joyeuses et virevoltantes, et aussi la voûte rapiécée d’une tente mobile, désordonnée. En ce jour de fête du début d’automne où l’allégresse rendait luxuriante la mélancolie des beaux jours enfuis, des animations diverses occupaient, entre les vieux murs de pierre, les emplacements habituellement dévolus aux automobiles ; dominée par son cavalier intrépide, la moto vrombissait, et, sous les feuilles ruisselantes des marronniers qu’une bise aigre faisait frissonner, ça et là des clameurs enthousiastes surgissaient, défiant le froid et l’insolence du vent ; les spectateurs applaudissaient les prouesses du cascadeur.
Il descendit de son engin qu’il immobilisa. Il n’était pas très grand et, bien qu’il fût mince, on lui devinait un corps souple mais puissant, chargé d’une forte musculature. L’éclat sombre de la moto devant laquelle il se tenait debout, ganté d’ombre par le cuir noir dont il était vêtu, par le casque noir, ou peut-être son attitude calme, sereine, presque détachée, tandis qu’il observait son public et attendait on ne savait quoi – le public aussi attendait –, accordaient à son corps immobile dont, par la visière relevée, on apercevait le regard silencieux, attentif, quelque chose de la grâce fragile d’une étoile. Après avoir ôté son casque, il ouvrit son blouson et, d’une main légère, défit le nœud qui retenait sa chevelure prisonnière, éparpillant les longues mèches d’une tresse d’or pâle : tel un châle soyeux et lisse, la nappe lourde de ses cheveux, en se répandant sur ses épaules et les recouvrant, le parait soudain d’une féminine et somptueuse délicatesse. Ainsi revêtu, orné jusqu’au-delà de la taille, jusqu’aux hanches, du voile clair de sa chevelure, prince puis princesse des saltimbanques - du motard viril l'image était oubliée, oblitérée par celles de la fée ou du chevalier qui, pour le plus grand plaisir de la foule en liesse, d'un tableau médiéval étaient descendus ce jour-là sur leur fringant coursier - il sourit, devançant la gêne grinçante des rires, et fit le tour de l’assistance, son casque à la main, pour recueillir les pièces de monnaie qu’on voudrait bien lui donner.
Lorsque, le public dispersé, la place, sous le scintillement irisé, mélodieux de l’averse, eut repris sa calme immobilité d’avant le spectacle, Patrick pénétra dans la salle d’un café bondé où, parmi les voix bruyantes, il demanda qu’on lui serve un thé. Sa voix était douce. Debout à une extrémité du bar, à l’écart d’autrui autant qu’il le pouvait, il savait que durant le temps restreint qu’il passerait dans cet endroit, sirotant sa boisson, l’espace entre lui et les clients peu à peu s’augmenterait, deviendrait un gouffre.
Dans les toilettes où il se rendit peu après, devant le petit miroir sans cadre qui surmontait le lavabo et sous la lumière blafarde du néon, il brossa ses cheveux, refit sa natte ; deux ou trois personnes passèrent derrière lui, entrant dans les w.-c. puis en ressortant, sans qu’il prête attention à la curiosité des regards posés sur lui. Ses gestes l’enveloppaient de leurs lignes précises, élégantes. Il s’écarta légèrement pour qu’une femme puisse se laver les mains dans la cuvette jaunie.
A son retour dans la salle, tandis qu’il finissait le liquide ambré que contenait encore la théière, il lut vaguement les affiches sur les murs : il y aurait un repas-concert tout à l’heure, suivi d’un bal. Il paya son thé et sortit. La pluie avait cessé sa danse, un soleil rose faisait luire les pavés. Il sourit, se demandant où il dormirait cette nuit.
La longue bande asphaltée, les arbres, les talus herbeux qui la longeaient ne survivaient plus que par la brillance argentée de la lune et l’éclat jaune de ses phares quand il s’arrêta devant un hôtel sur le bord de la route. C’était une construction isolée qui opposait sa masse pierreuse à la noirceur du ciel. Le propriétaire le conduisit dans une chambre petite, meublée d’un lit haut de campagne, d’une table de nuit, d’une armoire à glace et d’une chaise. Patrick s’assit sur la couverture d’éponge beige, ôta ses bottes, s’allongea.
Ses pensées s’évadaient, buée légère, pour caresser les fleurs bleues du papier peint qu’elles traversaient. Il sortit de son sac à dos une gourde en métal, un morceau de pain, une tranche de jambon, du fromage, une pomme. Il mangea debout devant la fenêtre ouverte, respirant la nuit.
De nouveau allongé sur le lit, ayant quitté ses cuirs, il glissa une cassette – des sonates de Schubert – dans son walkman, appuya les écouteurs sur ses oreilles. Il ferma les yeux, se ferma à la chambre, au papier triste des murs, à la nuit, aux bruits profanes, se ferma au monde, il s’enfonça, se noya dans la féerie des notes qui égrenaient le silence, le rendaient plus beau, qui sculptaient son rêve de leurs subtiles arabesques. Quand la musique s’acheva, il se sentit seul.
Il resta trois jours dans cet hôtel, sans presque sortir de sa chambre. En dehors des petits-déjeuners, il descendit deux fois manger dans la salle de restaurant. L’hôtel abritait essentiellement des retraités qui, dans la journée, se promenaient, et, le soir, racontaient leur promenade à leurs voisins de table. Patrick les écoutait. Parfois, il lisait. Des poèmes.
Puis il repartit.
* *       *
Le 15 octobre, année I
Marie,
J’ai été arrêté, il y a quatre jours. Peut-être le sais-tu et peut-être sais-tu pourquoi. Je t’écris chez tes parents où tu es sans doute retournée après m’avoir attendu. Si tu es déjà au courant, ma lettre te donnera ma version des faits, dans tous les cas elle répondra aux questions que tu t’es sans doute posées.
Je ne suis pas seulement cascadeur, je suis aussi voleur. La prison m’attendait depuis longtemps. Je ne pensais cependant pas pénétrer derrière ses hauts murs en tant que meurtrier. J’aurai trente ans dans quelques jours.
J’ai toujours opéré seul, la nuit de préférence, dans des logements inoccupés. Je ne portais pas d’armes, étant moi-même une arme. Que s’est-il passé cette nuit-là ? Les propriétaires étaient chez eux, j’ai été surpris. La voix, derrière moi, me menaçait, il m’a dit être armé. J’ai aperçu l’ombre de son fusil. Sa voix était agitée d’un léger tremblement qui trahissait sa peur. Il a voulu appeler les flics et j’ai profité de cette seconde d’inattention, tandis qu’il saisissait le combiné, composait le numéro ; je l’ai frappé. Je ne sais pas si j’ai voulu ou non que mon coup soit mortel. Ai-je, ne serait-ce que durant quelques secondes, c’est-à-dire durant un temps immensément long, pouvant s’apparenter à l’éternité, ai-je désiré le tuer ? De façon consciente, j’ai seulement voulu le désarmer, le mettre hors d’état de me nuire. Ai-je eu peur, moi aussi ? Mon corps, pour la première fois, ne savait plus très bien où il en était, agissait en dehors d’une volonté délibérée de ma part. J’avais pourtant mille fois imaginé une situation semblable, ou presque. Je ne puis donc qu’être responsable de cette méconnaissance – ou est-ce une rébellion ? – de moi-même.
Marie, à sa voix, je ne l’avais pas senti si fragile. Quand je l’ai vu, il était trop tard : un homme âgé, une couronne de cheveux blancs décorant son crane comme une tonsure. Je l’ai regardé un moment, hébété, puis j’ai entendu un pas qui avançait doucement, lentement, dans ma direction, et je suis parti.
J’ai récupéré ma moto et j’ai erré. J’avais toujours pensé que le prix à payer pour ma liberté – cet insolent refus des conventions du monde – ne pouvait être que l’enfermement. Mais mon corps se révoltait à cette idée : son ensevelissement dans un tombeau peuplé de spectres brailleurs. Ce corps que jusqu’à présent j’avais réussi à faire si docile à ma volonté ne m’obéissait plus en rien.
Au bout de quelques jours, je suis revenu te chercher comme il avait été prévu entre nous, et nous sommes repartis. A partir de ce jour-là, je me suis senti un cadavre en sursis. Je désirais prolonger notre histoire aussi longtemps qu’il me serait loisible de le faire. J’ai redouté d’être arrêté en ta présence.
J’ai avoué lors de ma garde à vue.
Patrick
* *       *
Patrick, silencieux, contemplait le directeur de l’établissement qui, assis derrière son bureau, remplissait une fiche. Il imaginait ce qu’il pourrait lui dire, et les réponses qu’il en obtiendrait.
« Oh ! Je me fous éperdument que vous ayez raison, ou tort. Moi, je me glisse entre les gouttes de pluie de la raison. La nuit, à la lueur des réverbères, je les regarde qui, tombant du ciel, s’éclatent à terre en de petites étoiles scintillantes : atteintes par la folie et riant de leur dissolution, elles dansent. Le jour, évidemment, elles sont plus ternes, et tristes, les gouttes grises, épaisses, de la raison. Alors je les écarte, comme le rideau qu’on repousse de la main, négligemment.
– Vous les regardiez, vous les repoussiez, vous ne les verrez plus, ne les repousserez plus.
– Oui. »
Patrick sourit.
« Ai-je prononcé quelque chose de drôle ?
– Non, pas du tout. Je confirmais ce que vous veniez d’énoncer, je me moquais, mais pas de vous, de moi. J’essayais de donner à ma colère une forme… aimable.
– Parce que vous êtes en colère ?
– Fouiller mes émotions fait-il partie de vos prérogatives ?
– Je dois

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