Manon au jour le jour
174 pages
Français

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Manon au jour le jour , livre ebook

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Description

Un jour des années 1980, Manon quitte son village des Landes pour aller gagner sa vie dans une grande ville.



L’héroïne du roman vit un peu au jour le jour et ne sait pas toujours ce qu’elle veut. Elle ne connaît pas les codes, à vrai dire. D’où des déboires, des désillusions.



Lorsque Manon disparaît à jamais, une inconnue décide d’écrire le récit de sa vie, avec ses hauts et ses bas.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 17 juin 2021
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414519606
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
Immeuble Le Cargo, 157 boulevard Mac Donald – 75019 Paris
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-51961-3

© Edilivre, 2021
 
Grise après-midi de Février.
Grande cuisine sombre, éclairée par un soleil parcimonieux. Le carrelage, noir et blanc, avait l’air lisse et glacé d’une patinoire. Manon s’apprêtait à sortir, pour profiter de son jeudi après-midi de liberté.
Elle préparait une salade de laitue. Sur la table de bois, un saladier de verre et des ciseaux de métal, un peu rouillés. Ils fleurent le persil, le pâté de campagne. Elle se revoit encore, penchée au-dessus du saladier, découper de menus morceaux de ses doigts, choisis à la main gauche, la main du côté cœur. Des fragments couleur framboise tombaient dans la laitue, rose et vert mêlés, odeur fade, vaguement écœurante, Un liquide gluant coulait sur ses mains, s’infiltrait sous ses ongles. Manon avait le vertige, mal au cœur, les carreaux de la cuisine tournaient et se fondaient en une seule couleur-gris ? Mais elle ne voyait que du rouge, couleur rubis.
Rouge éternel, rouge flamboyant d’une nuée de petits diamants sanglants qui éclaboussaient la table de bois.
La porte de la cuisine brusquement s’est ouverte.
Sylvette Cardon, la Maîtresse de Maison, se tenait de l’autre côté de la table, pâle d’inanition, réclamant la salade, avec un peu de pain frais. Etait-ce trop demander ? Criailleries… La tête emplie de ouate, l’aide-ménagère entendait à peine, les mots semblaient venir de si loin, se mêlant aux piaillements des gamins qui jouaient dans la cour. Surgies du passé, des bribes de reproches lui reviennent aujourd’hui encore, la voix d’une mégère monte dans les aigus, gâche ses nuits. Elle aurait bien mérité de dormir, pourtant, debout dans la cuisine, de dormir du sommeil profond et paisible de celles qui n’ont rien de grave à se reprocher.
— Se conduit comme une Dingo, a dit la mégère. Doit faire sa valise, partir, du vent, du balai. Et puis, que faire d’une servante à qui tout d’un coup, sans crier gare, il manque des morceaux de doigts ? Jamais on n’a vu une telle chose se produire ! Nu… U… L L e Part ! Do mi sol do…
— N’oubliez pas de nous apporter le café, avant de disparaître à jamais.
La soprano est ressortie, claquant la porte d’un geste brusque.
Il faut dire que les employeurs de Manon Perrier ne perdent pas le nord, tiennent à profiter de ses talents jusqu’à la dernière minute et à en avoir pour leur argent. Ils peuvent se révéler, à l’occasion, d’une exigence extrême.
Manon monta dans sa chambre, en redescendit bientôt, son sac de voyage à la main. Apporta le plateau. Les regarda boire.
— Pourquoi nous dévisagez-vous ?
— Je vous trouve beaux.
Ils se rengorgèrent, flattés. S’efforçant, sans y parvenir, d’avoir l’air chic et naturel à la fois. Dignes d’une photo sur la couverture d’un magazine.
L’aide-ménagère replaça les tasses sur le plateau à la laque écaillée.
Prit dans la poche de son tablier, qui dépassait de sous son manteau, car elle n’avait pu se résoudre encore à enlever ce qu’elle considérait comme une partie de son identité, les ciseaux à viande.
Un coup pour lui. Un coup pour elle.
Ils s’effondrèrent sur le parquet, comme des poupées de chiffon. Ils gisaient à présent, les membres épars, une expression de surprise sur leur visage blême. Leur vie interrompue si brutalement et de cette façon, ce n’était pas juste, avaient-ils eu le temps de songer, juste avant de tomber au sol. Fracassés, ainsi que des soldats mal entraînés, à qui un lourd harnachement a conféré une maladresse de scarabée, saoul d’avoir bu le substrat des fourmis rouges. Dans le désert, sous un ciel que la chaleur a rendu d’un bleu trop pâle, des éclats de ferraille sont alors tombés, traversant une protection illusoire. Eux non plus n’avaient rien vu venir. Dans la cuisine d’une petite maison de province, une femme aux cheveux rouges leur avait pourtant assuré un jour, semblant lire au travers d’une boule de verre bleu-marine, que pour eux tout irait bien.
Manon reprit sa valise et dévala les marches de l’escalier de service.
Mais elle a dû rêver tout cela. Une hallucination liée à la fatigue, voilà ce qui était arrivé. Aucun de ses doigts ne manque à sa main gauche, elle les a comptés et recomptés, le soir venu, car elle aime vérifier, s’assurer de la véracité des faits, avant de tirer une conclusion. Elle aurait pu grâce à ses qualités d’ordre devenir une laborantine attentive, penchée tout le jour sur des éprouvettes emplies de liquides colorés, ou une bibliothécaire classant des ouvrages sur des étagères de métal.
Aucune rancune, aucun effroi ne se lisent dans les yeux des Cardon, lorsqu’elle les croise à l’angle d’une pièce. Parfois tout de même ils sursautent, en la voyant se faufiler telle une ombre le long des corridors de l’appartement, une chamoisine à la main.
En réalité ils se sont écroulés d’eux-mêmes sur le sol, ont perdu l’équilibre, ne lui laissant pas porter le coup de ciseaux qui se voulait fatal, échappant ainsi sans même le savoir à leur sort. Partie remise, partie perdue. Reportée à un jour qui n’arrivera sans doute jamais.
Ils avaient dû trop boire de vin de Bourgogne, à déjeuner, -une piquette infâme, qu’un lointain et malfaisant cousin de Pouilly-en-Auxois leur envoie chaque année en guise d’étrennes – vingt-quatre bouteilles de vin tourné, dans une caisse de bois vermoulu. Chaque Jeudi ils s’en gorgent, s’en repaissent, avec d’autant plus de volupté que ce breuvage ne leur aura rien coûté.
Ils choisissent le Jeudi après-midi pour boire jusqu’à plus soif, afin que leur dévouée servante ne les voit pas se laisser aller, chanceler puis s’écrouler sur le premier canapé venu. Mais le soir, lorsque Manon revient, ayant épuisé dans quelque brasserie aux banquettes rouges les charmes délictueux de l’oisiveté, l’appartement tout entier exhale les relents d’un vin de basse qualité.
Les Cardon reposent, ou plutôt sont affalés en leur lit, la mine rubiconde, les vêtements défaits.
L’aide-ménagère entrebâille la porte de la chambre.
Les stores en sont baissés. Pénombre. Sobre dialogue, promesses sans intérêt.
— Le dîner sera bientôt prêt, laissons au potage en sachet le temps de refroidir. Je l’ai délayé avec soin, pour éviter les grumeaux.
— Sortez ! Vous nous embêtez… Marmonne Mme Cardon.
Intruse… Inquisitrice sans âme… Ajoute-t-elle. Ses mots s’évanouissent, disparaissent dans l’air.
Un peu grise, la femme aux joues devenues couleur vermillon bredouille, mais Manon ne lui en veut pas de ces écarts de langage, la Maîtresse de Maison a bien le droit de se laisser aller, de temps à autre, de se défouler.
Les abus du Jeudi lui permettent de révéler une nature de poissarde, laquelle disparaît un peu le reste de la semaine, sous le masque d’une bienséance obligée.
L’aide-ménagère regagne la cuisine.
Le lendemain Vendredi, le plat du jour – poisson de rivière garni de pommes vapeur – sera posé au centre de la table. Les Cardon seront redevenus eux-mêmes, le teint un peu brouillé par leurs excès de la veille. Ils se serviront avec un enthousiasme feint d’un mets censé les aider à conserver une silhouette allurée. Ils se surveillent, de toute façon, tiennent à être jaugés sur leur apparence. Cela dit, la maîtresse de maison commence à s’empâter, elle s’essaye à l’occasion à perdre un peu de poids ; ainsi, toute la journée du deux janvier elle s’escrime, pugnace, sur un vélo d’appartement, commandé un jour sur catalogue et à monter soi-même. Période propice aux bonnes résolutions, sans doute, mais les agapes du Jeudi après-midi suffisent à ruiner ses pauvres efforts.
Gaëtan Cardon, cet être falot à la mine grisâtre, paraît parfois las. Il se rend le matin vers neuf heures à la banque où il est moitié employé, moitié conseiller financier, et c’est ce dernier titre, dont il est assez fier bien que le sachant en grande partie immérité, qu’il a fait graver sur des cartes de visite en carton glacé, dont un lot est toujours disponible sur une console dans l’entrée, sorte de publicité qu’il se fait de lui-même. La banque est située dans un bel établissement, qui réalise un angle avec deux rues plates et tranquilles. Vers cinq heures il regagne ses pénates, l’air détendu, libéré lui aussi pour un temps de ses chaînes. Il fait un peu songer à un lézard, dont il possède l’élégance et la propension à la somnolence.
Il accepte à son retour la tasse de thé proposée par Manon, profite de l’absence de sa femme, qui à cette heure regarde un film dans une salle obscure ou refait le monde dans une pâtisserie en compagnie d’une amie de jeunesse, pour s’autoriser quatre morceaux de sucre qu’il jette dans sa tasse avec énergie, Manon aussitôt éponge la table de la cuisine, pour y effacer toute trace de thé au lait. A demi dissimulée par la porte d’un placard, elle goûte pour sa part un biscuit, qu’elle trempe dans un demi-verre de porto. Gaëtan fait semblant de ne rien voir, et Manon sait qu’il fait semblant, et qu’il sait qu’elle sait. Ils se comprennent, en somme, forment un duo complice. Ils auraient presque pu devenir un couple uni, dans une autre vie, mais dans son genre leur quotidien n’est pas si mal, bien d’autres auraient apprécié de se trouver à leur place.
Ainsi va la vie, ainsi vont les choses dans le grand appartement blanc.
Avec de bons moments volés au temps, des récréations, des fruits confits offerts par des neveux venus à l’improviste. Et surtout des pauses prolongées passées à regarder au dehors, par-delà la fenêtre de la cuisine, pour voir ce qui se passe dans l’arrière-cour. Rien. Mais il pourrait à tout instant s’y passer quelque chose. C’est là ce qui compte. D’ailleurs, si un événement digne de ce nom survenait – renard un peu pelé farfou

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