Mémoires
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Mémoires , livre ebook

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Description

Extrait : "C'est à l'âge de trente ans que M. Philarète Chasles a déjà eu la pensée d'écrire ses mémoires ! Ne se croyant pas destiné à une longue vie, peut-être même doué d'une seconde vue, il prévoyait la mort subite inattendue qui le foudroya à Venise." À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN : Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants : Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin. Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Publié par
Nombre de lectures 26
EAN13 9782335054217
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0006€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

EAN : 9782335054217

 
©Ligaran 2015

C’est à l’âge de trente ans que M. Philarète Chasles a déjà eu la pensée d’écrire ses mémoires ! Ne se croyant pas destiné à une longue vie, peut-être même doué d’une seconde vue, il prévoyait la mort subite et inattendue qui le foudroya à Venise.
Sa volonté a été de revivre par le souvenir, et de parler encore à ses concitoyens et d’eux et de la patrie.
Voici la première préface faite en 1828 ou 1830 :
Préface primitive
Un homme n’intéresse et sa vie n’a de prix que par ses rapports avec l’époque où il est né. Qu’est-ce que notre individualité auprès de cette masse de générations qui vont s’engouffrant dans les âges ? Une feuille de la forêt ; une goutte d’eau de la mer ; un grain de poudre dans les champs. L’égoïsme des Mémoires serait inexcusable, s’il n’avait que lui-même pour fin et pour but.
Mais telles circonstances peuvent naître et entourer un berceau, développer une existence, planer sur un tombeau, de manière à faire d’un seul homme, même inférieur et médiocre, une spéciale et caractéristique curiosité de son époque. Alors qu’il s’explique, qu’il s’analyse ; il fera de l’histoire : chacune de ses révélations sur lui sera précieuse ; quand même il n’aurait point de génie, il en apprendra plus à son lecteur qu’un homme de génie qui devinerait au lieu d’avoir observé. Le hasard d’une naissance, la singularité d’une éducation, peuvent donner de la valeur à toute une existence ; il serait dommage que de tels êtres, si complètement fils de leur temps, mourussent sans se déployer et se soumettre à l’analyse, sans donner sur leur propre caractère les lumières qu’eux seuls possèdent.
Je ne sais quel vague pressentiment me dit que je n’ai pas une longue vie à passer. Erreurs, défauts, vertus, dévouements, folies, bienfaisances, duperies, générosités, m’ont précipité vers une situation singulière, d’où je ne sortirai peut-être que par une mort violente. La source première d’une vie si étrange et si malheureuse est dans ma naissance et dans mon temps ; dans l’éducation que cette époque m’a donnée, dans le développement de mon esprit et de mon âme. J’aime la bonne renommée ; ma réputation est sinon flétrie, du moins compromise. J’aime la gloire ; je n’ai rien fait pour elle. Mon avenir obscurci, mon cœur brisé, ce pressentiment douloureux d’une fin prochaine et misérable, me font prendre la plume. Je voudrais dire ce que je suis, pour que l’on ne me peigne point sous de fausses couleurs ; je voudrais, à défaut de ces travaux utiles que je n’ai pu accomplir, laisser au moins une image de moi, non difforme et fausse, comme la créent les hommes menteurs, mais réelle, mais digne d’intérêt, d’estime et de pitié.
Je n’ai que trente-deux ans ; et sans doute, à ma place, plus d’un de mes contemporains vivrait en paix. Mais les blessures morales que le monde m’a laissées sont profondes ; et cette douleur que d’autres ne ressentiraient pas, il faut l’expliquer, il faut l’arracher à l’ironie et à l’injure. Si j’ai été bon, que le souvenir de ce qu’il y a de mieux en moi ne soit pas anéanti. Si j’ai été faible, que cette faiblesse, souvent généreuse, ne soit pas transformée en bassesse. Si les hommes parmi lesquels j’ai vécu m’ont méconnu et brisé, que justice leur soit faite. Si à mon dévouement l’ingratitude, à mes plus nobles efforts la malveillance, ont répondu, que je ne m’éteigne point sans laisser une trace, même légèrement et facilement effacée, de ce dévouement et de ces efforts.
Je suis fils de l’un de ces hommes qui concoururent de toute leur puissance au renversement du trône de Louis XVI. Mon père vota la mort de ce roi. Une enthousiaste ardeur, un esprit cultivé, une faconde hardie, une ambition plus vive qu’habile, un sincère amour des institutions républicaines, une parfaite sincérité dans ces opinions, isolèrent mon père, Pierre-Jacques-Michel Chasles, de la foule des démocrates. Personne ne reproduisait plus complètement que lui ces puritains, dont la pensée enflammée d’un seul désir, mais convaincue et naïve, eût détruit le monde pour construire la République de Jésus-Christ. Roturier, et devenu secrétaire d’un ministre, Loménie de Brienne, il subit avec douleur les humiliations que lui imposaient sa situation et son avancement. Longtemps, comme il me l’avoua lui-même, il couva cette haine de la monarchie, haine trop excitée par tant de vices joints à tant de médiocrité, de dédains et d’injustices. Dans le cours de la Révolution, il prit parti avec les plus véhéments, condamna Louis XVI au supplice, partit aussitôt pour l’armée, se battit bravement, se fit casser la jambe gauche devant Menin, jura de demeurer sur le champ de bataille tant que la ville ne serait pas prise, y resta sous un feu de mitraille opiniâtre ; se fit à lui-même l’opération d’enlever les esquilles de sa jambe brisée ; revenu à Paris, voulut relever la Convention croulante ; entra dans la conspiration de prairial, et fut enfermé dans le château de Ham. Bonaparte régna ; mon père, dévorant son courroux impuissant et sa douleur, se retira dans un asile profond, rompit avec tous ses anciens amis et passa ses derniers jours à regretter le passé, à mordre son frein et à prédire un avenir de République. C’était un homme peu commun. La sagesse d’un jugement froid lui manquait. Sa sincérité était extrême. Son caractère était un produit extraordinaire d’une époque extraordinaire. Il était né sensible ; il avait voulu se faire austère. Professeur de rhétorique dans sa jeunesse, il s’était plié comme il avait pu au vulgaire dialecte des clubs. Il était entré dans les ordres ; et dans sa vieillesse il porta le titre et jouit de la retraite de général de division. Ses mœurs premières étaient élégantes ; il avait revêtu, avec le républicanisme, la sévérité. L’entraînement de son âme était sans bornes ; ses intentions portaient toutes un caractère d’enthousiasme admirable ; ses actions, mues par une exaltation si vive, pouvaient subir plus d’un reproche. L’habitude d’un théâtre tragique et public lui rendait la vie domestique impossible. Enfin, c’était l’idéal de cette puissance d’imagination fougueuse, que le bien séduit et qui souvent se trompe dans son élan.
Je reçus une éducation de fièvre grandiose et de sensibilité violente qui fut le premier chaînon de toute ma destinée. Je tenais de ma mère un caractère concentré, doux et réservé, qui ne s’accordait en rien avec l’ardeur véhémente de mon père. L’effet d’une telle éducation sur moi fut singulier. Au lieu de me précipiter dans toutes les idées que mon père m’offrait confusément, je les savourais, je les méditais, je les couvais ; elles s’enfonçaient dans mon cœur ; elles y restaient à jamais gravées. Un esprit tenace et une âme constante ne laissaient s’évanouir aucune de ces impressions. Je les ai conservées, et leur bizarre mélange a décidé de tous mes sentiments, de toutes mes fautes, de tout ce qui m’honore, de tout ce qui m’isole, de tout ce qui me perd, de tout ce qui me navre et me voue au malheur.
Mon père, singulier en tout, et n’ayant autre chose à faire qu’à élever son premier enfant, me traita comme une République à fonder. Il résolut que rien de mon éducation ne ressemblerait aux éducations communes. Né en 1799, au mois d’octobre, dans une petite propriété voisine de Chartres et appartenant à mon père, je fus, tout au sortir du sein maternel, plongé dans la cuve bouillante où le vin nouveau frémissait. Les préceptes de Rousseau furent suivis jusqu’à l’âge de quatre ans. Mais alors on changea de route. À cinq ans, je savais lire ; à six ans, j’écrivais ; à huit ans, je savais le latin et traduisais Horace. Au lieu de catéchisme et de livres enfantins, on me donna Plutarque, Anacharsis et Cornélius Népos. Chaque jour, il fallait copier une page de prose républicaine ; des fragments de romans héroïques ou sentimentaux s’y mêlaient

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