Nicholas Nickleby
440 pages
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Nicholas Nickleby , livre ebook

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Description

Nicholas Nickleby

Charles Dickens
Cet ouvrage a fait l'objet d'un véritable travail en vue d'une édition numérique. Un travail typographique le rend facile et agréable à lire.
La mort de son père laisse Nicholas Nickleby sans le sous. Il est contraint par son oncle, un homme dur et avare, de laisser sa mère et sa sœur pour un poste de maître-assistant dans le Yorkshire, à Dothesboys Hall, une école de garçons maltraités par le dirigeant M. Wackford Squeers. Il y rencontre Smike, un garçon à tout faire infirme. Révolté par l'attitude de Squeers, Nicholas s'enfuit avec son ami et part à la découverte d'un monde plus cruel que ce qu'il imaginait.
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Publié par
Nombre de lectures 1
EAN13 9782363079336
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Nicholas Nickleby
Charles Dickens
1838-1839
Tome 1
Chapitre 1 : Introduction générale Il y avait une fois, dans un coin du Devonshire, un digne gentleman du nom de Godefroy Nickleby, qui avait attendu un eu tard our se décider à se marier. Comme il n’était ni assez jeune ni assez riche our asirer à la main de quelque héritière, il avait éousé, ar ure affection, une vieille inclination. La dame, en le renant, n’avait as eu non lus d’autre motif. Ce n’est as la remière fois que l’on voit deux ersonnes, qui ne euvent as se ermettre de jouer de l’argent, rendre néanmoins les cartes et se faire vis-à-vis our jouer tranquillement ensemble une artie de ur agrément. Peut-être des esrits chagrins, qui se laisent à tourner en ridicule la vie matrimoniale, me rerocheront-ils de n’avoir as lutôt comaré ce coule modeste à deux chamions de nos boxes anglaises qui, voyant les fonds bas et les souteneurs rares, aiment mieux, ar un goût chevaleresque our leur art, se mesurer ensemble, our le seul laisir de s’entretenir la main. Et je ne uis disconvenir que, sous un certain raort, la comaraison ne s’aliquerait as mal ici. Car, de même que les deux héros de la boxe font circuler, arès la lutte, un chaeau à la ronde our recevoir de la générosité des sectateurs le moyen d’aller se régaler ensemble, de même M. et Mme Godefroy Nickleby, une fois la lune de miel disarue, jetèrent autour d’eux un regard soucieux sur le monde, our envisager les chances qu’il ourrait leur offrir d’ajouter quelque chose à leurs ressources, le revenu de M. Nickleby, au moment de son mariage, flottant entre quinze cents et deux mille francs de rente au lus. Il y a bien assez de monde sur la terre, bon Dieu ! Et articulièrement à Londres, où M. Nickleby faisait alors sa résidence, on n’entend guère se laindre du défaut de oulation. Eh bien ! on ne saurait croire combien on eut regarder longtems dans toute cette foule, sans y découvrir le visage d’un ami. Ce n’est ourtant que tro vrai. M. Nickleby en fit l’exérience. Il eut beau regarder, regarder tant, que ses yeux en devinrent aussi tristes que son cœur, as un ami n’aarut, et lorsque, fatigué de chercher, il ramena ses regards sur son intérieur, il n’y trouva as grande consolation à ses recherches infructueuses. Un eintre, qui a tro longtems fixé la vue sur des couleurs éblouissantes, a la ressource de rafraîchir ses yeux troublés en les reortant sur quelque teinte lus foncée et lus sombre, mais, our M. Nickleby, tous les objets qui s’offraient à ses regards étaient d’un noir si lugubre qu’il aurait été charmé d’y trouver lutôt, au risque d’en être ébloui, quelque contraste éclatant. Enfin, au bout de cinq ans, lorsque Mme Nickleby eut fait résent de deux fils à son éoux, et que ce gentleman dans l’embarras, réoccué de la nécessité de ourvoir à la subsistance de sa famille, songeait sérieusement à aller rendre une assurance sur la vie our le remier trimestre, et uis à se laisser choir arès cela ar accident du haut de la fameuse colonne, il reçut un matin ar la oste une lette bordée de noir qui l’informait que son oncle, M. Ralh Nickleby, venait de mourir, et lui avait laissé en totalité son etit avoir, montant à la somme de cent vingt-cinq mille francs. Jusque là le défunt n’avait guère donné signe de vie à son neveu. Une fois ceendant il lui avait envoyé our son fils aîné, que, ar une révoyance utile, le ère avait décoré du nom de batême de son grand-oncle, une cuiller d’argent, dans un étui de maroquin. Comme l’enfant n’avait as grand’chose à manger avec la cuiller, cela ouvait asser our une moquerie détestable de ce qu’il était né sans avoir seulement, à l’usage de sa bouche affamée, cette ièce d’argenterie intéressante. Aussi M. Nickleby, qui n’avait as été gâté ar la générosité du cher oncle, en ouvait croire à eine ses yeux quand il lut la lettre funèbre qui lui annonçait cette consolante nouvelle. Ceendant ses informations ne firent que la confirmer avec exactitude. Le bon vieux gentleman avait eu d’abord, à ce qu’il araît, l’intention de laisser tout son bien à laSociété royale d’humanitéil avait même fait un testament à cet effet. Mais ; cette institution charitable ayant eu le malheur, quelques mois avant, de sauver la vie à un auvre arent des Nickleby, auquel il servait une rente de dix-set francs quarante centimes
ar mois, il avait, dans un accès d’exasération bien naturelle, révoqué, dans un codicille, le legs fait à la Société, en faveur de M. Godefroy Nickleby, et il n’avait as manqué d’y faire une mention séciale de son indignation, non-seulement contre la Société, qui avait eu la maladresse de sauver la vie à ce malheureux, mais contre le malheureux lui-même qui s’était ermis de se laisser sauver la vie ar la Société d’humanité. M. Godefroy Nickleby emloya une artie de cet héritage à l’acquisition d’une etite ferme rès de Dawlish, dans le Devonshire, et s’y retira avec sa femme et ses deux enfants our y vivre à la fois de l’intérêt le lus élevé que ourrait lui raorter le reste de son argent, et du etit roduit qu’il ourrait tirer de son domaine. Il y réussit si bien qu’à sa mort, quelque quinze ans arès cette éoque, quelque cinq ans arès la erte de sa femme, il ut laisser à son fils aîné Ralh soixante-quinze mille francs écus, et à Nicola, son cadet, vingt-cinq mille francs en sus de la ferme, qui constituait une terre domaniale aussi etite qu’on ût le souhaiter. Ces deux frères avaient été élevés ensemble dans une ension d’Exeter. Et, endant leur sortie de chaque semaine, ils avaient souvent recueilli, des lèvres de leur mère, le long récit des souffrances qu’avait endurées leur ère dans ses jours de auvreté, et de l’imortance dont avait joui feu leur oncle dans ses jours d’oulence. Ces souvenirs roduisirent sur eux des imressions très différentes. Pendant que le lus jeune, qui était d’un esrit timide et contemlatif, n’y trouvait qu’un avertissement sérieux de fuir le grand monde et de s’attacher lus que jamais à la routine aisible de la vie des chams, Ralh, l’aîné, raisonnant sur ces contes d’autrefois si souvent réétés, en tirait la conséquence qu’il n’y a as d’autre source de bonheur et de uissance que la richesse, et que tous les moyens sont bons our l’acquérir, ourvu qu’ils ne soient as récisément criminels. « Ainsi, se disait Ralh en lui-même, si l’argent de mon oncle n’a as absolument roduit grand bien endant sa vie, il en a roduit beaucou arès sa mort ; car c’est mon ère qui en rofite maintenant et qui me le garde our lus tard ; n’est-ce as un but très vertueux ? Et, our en revenir au vieil oncle, il en a aussi tiré un grand bien, uisqu’il a eu le laisir d’y enser toute sa vie et d’être un objet d’envie et de déférences resectueuses our tout le reste de la famille. » Et Ralh ne manquait jamais de terminer ces soliloques intérieurs ar cette conclusion qu’il n’est rien tel que l’argent. Tro conséquent our s’en tenir à la théorie ou our laisser ses facultés se rouiller, même à un âge si tendre, dans de ures abstractions d’esrit, ce garçon lein d’avenir commença dès l’école le métier d’usurier sur une échelle limitée, laçant d’abord à gros intérêt un etit caital de crayons d’ardoise et de billes, uis étendant graduellement ses oérations financières, si bien qu’elles finirent ar comrendre la monnaie de billon du royaume de la Grande-Bretagne, sur laquelle il sécula avec un rofit considérable. Et n’allez as croire qu’il embarrassât l’esrit de ses débiteurs ar des calculs fastidieux en chiffres, ou des concordances avec des tables de Barème. Sa règle d’intérêt était bien simle, elle se résumait dans cette maxime qui valait son esant d’or : Quatre sols our deux liards. C’était un adage récieux our simlifier les comtes, et sa forme familière le rendait lus rore encore à se graver dans la mémoire que toutes les règles de l’arithmétique. Aussi nous ne saurions tro le recommander à l’attention des caitalistes, etits ou grands, et lus articulièrement à celle des courtiers de change et des escomteurs de billets. Au reste, il faut rendre justice à ces messieurs, il y a déjà bon nombre d’entre eux qui n’ont as cessé d’en faire un usage quotidien, avec un succès remarquable. Le jeune Ralh, ar le même rincie, et our éviter tous ces calculs minutieux et subtils de décomte et d’aoint, toujours embarrassants our ceux qui suutent rigoureusement le nombre des jours d’intérêt, avait établi en règle générale que toute somme, rincial et intérêt, serait ayée le jour où on donne la semaine, c’est-à-dire le samedi, et que our tout rêt, contracté soit le lundi, soit le vendredi, le montant de l’intérêt serait toujours le même. En effet, il disait, et avec une grande aarence de raison, qu’on doit rendre un eu lus cher our un jour que our cinq, d’autant lus qu’il y a de fortes résomtions que l’emrunteur,
dans le remier cas, est dans une extrémité lus ressante, autrement il n’emrunterait as avec de telles chances contre lui. Ce dernier trait a cela d’intéressant qu’il met dans tout son jour le lien secret et la mystérieuse symathie qui unissent toujours les grands esrits. Quoique maître Ralh Nickleby ne fût as d’âge encore à avoir u étudier les règles de l’art, il avait déjà deviné ar la force de son génie les rocédés des honorables rêteurs dont nous arlions tout à l’heure, qui ne manquent as de faire servir le même rincie de base à toutes leurs transactions. D’arès ce que nous avons dit de ce jeune gentleman et l’admiration bien naturelle que le lecteur ne eut manquer de concevoir immédiatement our son caractère, on ourrait suoser que c’est lui qui sera le héros du livre que nous résentons au ublic. Pour éviter tout malentendu à cet égard, nous nous emressons de le détromer une fois our toutes et de asser vite au récit des faits. À la mort de son ère, Ralh Nickleby, qui avait été lacé eu de tems auaravant dans une maison de commerce de Londres, s’aliqua avec ardeur à la oursuite de son rêve, gagner de l’argent. Il s’absorba, il s’ensevelit tout entier dans cette assion, au oint d’en oublier resque son frère endant lusieurs années, et si, arfois, un souvenir de l’ancien comagnon des jeux de son enfance venait illuminer les ténèbres dans lesquelles il assait sa vie, car l’or enveloe l’avare comme un brouillard confus, lus funeste à tous ses sentiments d’autrefois et lus ashyxiant our sa sensibilité que les vaeurs du charbon ; ce souvenir se résentait toujours accomagné de cette idée que s’ils renouaient leur intimité, l’autre viendrait lui emrunter de l’argent. Aussi M. Ralh Nickleby se contentait de hausser les éaules en disant qu’il valait mieux que les choses restassent comme elles étaient. Quant à Nicolas, il vécut célibataire du roduit de son atrimoine, jusqu’au jour où, las de son isolement, il rit our femme la fille d’un gentleman du voisinage, avec une dot de vingt-cinq mille francs. Cette excellente dame lui donna deux enfants, un fils et une fille, et quand le garçon arocha de ses dix-neuf ans, la fille en avait quatorze, du moins à ce que nous ouvons croire, car il était difficile de savoir l’âge récis des dames avant le nouvel acte du arlement, vu que les registres de rovince n’en contenaient aucune trace. M. Nickleby songea sérieusement au moyen de réarer les tristes brèches faites à sa fortune ar l’accroissement de sa famille, et ar la nécessité de ourvoir aux frais de leur éducation. « Faites des séculations avec votre caital, disait Mme Nickleby. — Des séculations, ma chère ? disait M. Nickleby avec hésitation. — Pourquoi as ? demandait Mme Nickleby. — Parce que, ma chère, si nous venions à le erdre, … réliquait M. Nickleby, qui n’avait as la arole vive et romte, si nous venions à le erdre, nous n’aurions lus de quoi vivre, ma chère. — Bah ! disait Mme Nickleby. — Je n’en suis as sûr du tout, disait M. Nickleby. — Voilà Nicolas, oursuivait la dame, qui est tout à fait en âge, il est tems qu’on le mette à même de se tirer d’affaire ; et Catherine aussi, la auvre fille, qui n’a as un écu our tout bien. Regardez votre frère, serait-il ce qu’il est, s’il n’avait as fait des séculations ? — C’est vrai, rerit M. Nickleby. Vous avez raison, ma chère ; oui, je ferai des séculations, ma chère. » Séculer, c’est bientôt dit. Les joueurs ne savent guère, en débutant ce qu’ils ont de chances dans leurs cartes. Le gain eut être considérable, mais aussi la erte. Le sort ne fut as favorable à M. Nickleby. Il y eut un cou de bourse ; vient une déconfiture, la bulle crève, et voilà quatre agents de change artis our résider dans des villas de Florence, quatre cents auvres diables ruinés : M. Nickleby était du nombre. « La maison même où je demeure, disait en souirant le malheureux gentleman, eut m’être enlevée dès demain. Je n’ai as un meuble qui ne doive bientôt asser dans des mains étrangères. »
Cette dernière réflexion lui fit tant de eine qu’il se mit aussitôt au lit, eut-être our sauver au moins ce meuble-là, à tout hasard. « Allons, du courage, monsieur, disait l’aothicaire. — Il ne faut as vous laisser abattre, disait la garde. — Cela se voit tous les jours, remarquait l’homme de loi. — Et c’est un gros éché de vous révolter contre la Providence, lui disait à voix basse le ministre. — Et c’est une chose qui n’est as ermise à un homme qui a de la famille, » ajoutaient les voisins. M. Nickleby hocha la tête, et riant qu’on les fît tous sortir de sa chambre, il embrassa sa femme et ses enfants, uis, arès les avoir tour à tour ressés contre son cœur défaillant, il retomba éuisé sur son chevet. Ils eurent toute raison de croire que sa raison s’égara arès cette dernière émotion ; car il se mit à arler longuement de la générosité et du bon cœur de son frère, du bon vieux tems, quand ils étaient ensemble au collège. Quand cet accès de délire fut assé, il se recommanda ar une rière solennelle àceluiqui n’a jamais abandonné la veuve et l’orhelin, uis, leur souriant doucement, détourna la tête, disant qu’il se sentait le besoin de dormir.
Chapitre2 : M. Ralph Nickleby, son établissement et ses entreprises. Grande compagnie par actions d’une vaste importance nationale.
M. Ralph Nickleby n’était pas, à proprement parler, comme qui dirait un négociant ; ce n’était pas non plus un banquier, ni un procureur, ni un avocat consultant, ni un notaire. Ce n’était certainement pas un marchand ; bien moins encore aurait-il pu prendre le titre de quelque spécialité professionnelle, car il eût été impossible de citer une profession connue à laquelle il appartînt. Néanmoins, comme il habitait dans Golden-square une maison spacieuse, ornée d’abord d’une plaque de cuivre sur la porte de la rue, puis d’une autre deux fois plus petite sur le guichet à gauche, juste au-dessus d’une petite main de bronze traversée d’une brochette pour servir de marteau, et qu’on y pouvait lire en grosses lettres le mot bureau, il était clair que M. Ralph Nickleby faisait ou prétendait faire des affaires de quelque nature. Et si l’on en voulait une preuve plus irrécusable encore, on n’avait, pour dissiper ses doutes, qu’à observer la scrupuleuse exactitude avec laquelle, tous les jours, de neuf heures et demie à cinq heures, un homme à face blême, en habit jadis noir, la plume à l’oreille, se tenait assis sur un tabouret extrêmement dur dans une espèce d’office, au bout du corridor, excepté quand il venait ouvrir la porte en entendant sonner dehors.
Quoiqu’il y ait autour de Golden-square quelques maisons occupées par des professions graves, on ne peut pas dire précisément que ce soit sur le chemin de personne, ni que cela mène nulle part. C’est un des squares qui ont fini d’exister, un quartier de la ville qui a disparu du monde et qui ne se compose guère que de chambres garnies. Les premiers et les seconds étages y sont presque tous loués meublés à des célibataires ; on y prend des pensionnaires pour la table. C’est un grand rendez-vous d’étrangers. Les hommes au teint basané, qui portent de larges bagues au doigt, de longues et pesantes chaînes de montre, des favoris touffus, et qui se rassemblent sous les colonnes de l’Opéra, ou dans la saison autour du bureau de location, entre quatre et cinq heures de l’après-midi, au moment où l’on délivre les billets de faveur, demeurent tous à Golden-square ou dans une des rues adjacentes ; il y a deux ou trois violons et une flûte qui y font leur résidence. Ses pensions bourgeoises sont toutes musicales, et les notes qui s’échappent des pianos et des harpes voltigent la nuit autour de la statue lugubre, le génie du lieu, qui semble avoir sous sa garde un petit désert d’arbres nains, au centre de la place. Par une nuit d’été, le passant peut voir les fenêtres toutes grandes ouvertes, garnies d’hommes à moustaches, au teint bistreux, flânant à la croisée, et fumant à faire trembler. Des éclats de voix rauques, qui s’exercent à vocaliser, usurpent le silence du soir, et les vapeurs d’un tabac exquis parfument les airs. Là, cigares et tabatières, flûtes et clarinettes, basses et violons se partagent l’empire de ce petit royaume. C’est le pays des chants et du tabac. Les orchestres ambulants se sentent là sur leur théâtre, et les chanteurs des rues, en pénétrant dans son enceinte, font vibrer des accents plus vigoureux et des cadences plus sonores.
Il semble au premier abord que ce n’était pas précisément là un quartier propice aux affaires. Toutefois, depuis plusieurs années que M. Ralph Nickleby s’y était fixé, il ne s’en était jamais plaint. Il ne connaissait personne à la ronde, comme il n’était connu de personne, quoiqu’il eût la réputation d’un homme immensément riche. Les marchands supposaient que c’était un homme de loi, et les autres voisins pensaient plutôt qu’il tenait une agence générale. Ce n’était pas de part et d’autre plus mal deviné qu’on ne fait d’ordinaire quand on s’occupe
es affaires d’autrui.
M. Ralph Nickleby était assis un matin dans son cabinet particulier, tout prêt à sortir. Il portait un spencer vert-bouteille par-dessus un habit bleu : un gilet blanc, un pantalon gris mélangé, enfoncé dans des bottes à la Wellington. Le bout d’un jabot sur une chemise à petits plis, impatient de se montrer à son avantage, faisait tout ce qu’il pouvait pour se dégager de la prison où il étouffait, entre le menton du personnage et le bouton d’en haut, qui fermait son spencer. Ce pardessus, autrefois à la mode, ne descendait pas assez par devant pour masquer une longue chaîne de montre en or, composée d’une série d’anneaux unis, dont le premier partait d’une montre d’or à répétition placée dans le gousset de M. Nickleby, et dont le dernier était orné de deux petites clefs, l’une appartenant à la montre même, et l’autre à quelque cadenas de sûreté. Il avait sur la tête une légère pointe de poudre destinée sans doute à lui donner un air bienveillant, mais, si tel était son but, il aurait peut-être mieux fait, pendant qu’il y était, de poudrer aussi sa figure, car il y avait dans ses rides mêmes, et dans son œil glacé, qui n’était jamais en repos, quelque chose qui trahissait un esprit rusé en dépit de ses efforts pour le dissimuler. Bref, quoiqu’il en soit, M. Ralph était donc là dans son cabinet, tout seul, et par conséquent ni sa poudre, ni ses rides, ni ses yeux, ne produisaient le moindre effet, ni bon ni mauvais, sur personne, et n’ont jusqu’à présent rien à faire avec nous.
M. Nickleby ferma un livre de compte qui était ouvert devant lui sur son bureau, puis, se rejetant en arrière dans son fauteuil, il porta d’un air distrait les yeux à travers les vitres poudreuses de sa fenêtre. Il y a à Londres des maisons qui ont sur le derrière un petit bout de terrain bien triste, ordinairement flanqué de quatre grands murs badigeonnés et couronnés d’un rang de cheminées qui n’ajoutent pas à l’agrément du paysage. Là, au fond de ce petit puits, s’étiole, tout le long de l’année, un arbre rabougri qui se donne les airs de vouloir pousser quelques feuilles en automne, à l’époque où elles tombent chez les autres ; puis, succombant sous l’effort, tout crevassé, tout enfumé, il retombe encore une fois dans sa langueur jusqu’à l’été suivant, où il donne une nouvelle représentation avec le même succès. Pourtant, si la température devient par hasard tout à fait favorable, il n’est pas sans exemple que ses branches aient attiré par leur séduction quelque pierrot mélancolique. Il y a des gens qui donnent à ces cours sombres le nom de « jardins ». Pourquoi ? je n’en sais rien. Personne ne peut supposer qu’ils aient jamais été plantés ; il est bien plus vraisemblable que c’étaient dans l’origine quelques tas de déblais restés sans maître, embellis par la végétation qui peut naître dans des plâtras. Quelque panier sans fond, quelques débris de bouteilles cassées qu’on y jette à l’occasion, quand quelque locataire emménage, y restent fidèlement jusqu’à son déménagement ; la paille humide qu’on y dépose met à moisir tout le temps qu’il lui plaît, sans que personne la dérange, et se mêle agréablement au buis rare des bordures, aux arbres verts qui sont jaunes, aux pots à fleurs ébréchés qui sont renversés là, tristement en proie aux limaces, sous les gouttières. Tel était le jardin que M. Ralph Nickleby contemplait à travers la fenêtre, assis dans son fauteuil, et les mains dans ses goussets. Il avait les yeux fixés sur un sapin tortu, planté par quelque ancien locataire dans un baquet, jadis peint en vert, mais qu’on avait laissé, par insouciance, depuis bien des années déjà, pourrir petit à petit tout à son aise. Ce n’était pas précisément un coup d’œil divertissant, mais M. Nickleby était enseveli dans une méditation profonde, et semblait prêter à ce tableau peu séduisant une attention qu’il n’aurait certainement pas voulu prêter sciemment à l’examen de la plante exotique la plus rare. À la fin ses yeux s’égarèrent à gauche, sur une autre petite croisée non moins sale, à travers laquelle on voyait confusément la figure du commis, dont il rencontra les regards ; il lui fit signe de venir.
Docile à cette invitation, le clerc laissa là sa haute escabelle, polie comme un miroir par un long commerce avec sa culotte, et se présenta dans le cabinet de M. Nickleby. C’était un
homme grand, entre deux âges, avec des yeux à fleur de tête, dont l’un paraissait immobile, le nez rubicond, la face cadavéreuse, un accoutrement mal assorti de vêtements qui montraient la corde, beaucoup trop petits pour sa taille, et où l’on avait ménagé les boutons avec une telle économie, qu’il lui fallait bien de l’habileté pour réussir à les faire tenir sur lui.
« N’est-il pas midi et demi, Noggs ? dit M. Nickleby d’une voix aigre et rude.
— Il n’est encore que vingt-cinq minutes au… (Noggs allait dire : au cabaret ; mais il se ravisa prudemment).
— À Saint-Paul, continua-t-il.
— Ma montre s’est donc arrêtée ? dit M. Nickleby ; je ne sais comment cela se fait.
— Pas montée, dit Noggs.
— Si, dit M. Nickleby.
— Alors démontée, reprit Noggs.
— J’espère que non, répliqua M. Nickleby.
— Il faut bien, dit Noggs.
— C’est bon, dit M. Nickleby, remettant dans sa poche la montre à répétition ; peut-être bien. »
Noggs poussa un petit grognement à son usage, par lequel il terminait toute discussion avec son maître, pour faire entendre que c’était lui qui triomphait, et (comme il parlait rarement si ce n’est pour répondre) il retomba dans son silence bourru, et se frotta lentement les mains l’une contre l’autre, non sans faire craquer successivement ses doigts dans leurs jointures et les serrer de manière à leur imprimer toute sorte de contorsions. Cette habitude routinière à laquelle il satisfaisait à tout propos, et le regard fixe qu’il avait soin de communiquer à son bon œil pour le mettre d’accord avec le mauvais, de manière à dépister le curieux qui aurait voulu savoir de quel œil il regardait, étaient deux singularités de M. Noggs, qui n’en manquait pas, et frappaient tout d’abord l’observateur qui le voyait pour la première fois.
« Je vais ce matin à laTaverne de Londres, dit M. Nickleby.
— Séance publique ? » demanda Noggs.
M. Nickleby fit un signe de tête d’assentiment. « J’attends une lettre de l’avoué pour cette hypothèque de Ruddle. Si elle venait, ce ne serai toujours que par la distribution de deux heures. C’est le moment où je sortirai de la Cité pour aller à Charing-Cross : je prendrai le trottoir de gauche ; s’il y a quelque lettre, venez à ma rencontre, vous me l’apporterez. »
Noggs lui rendit son signe de tête, et il n’avait pas fini qu’on sonna à la porte du bureau. Le patron leva les yeux de dessus ses papiers, et le clerc resta sans bouger.
« La sonnette, dit Noggs, attendant une explication. Vous y êtes ?
— Oui.
— Pour tout le monde ?
— Oui.
— Pour le percepteur ?
— Non. Il reviendra. »
Encore le petit grognement habituel, ce qui voulait dire : Je le savais bien. Et le bruit de la sonnette ayant recommencé, Noggs ouvre la porte et ramène, en annonçant M. Bonney, un gentleman pâle et haletant, les cheveux dressés sur la tête dans un grand désordre, avec une cravate blanche d’un pouce de large, nouée négligemment autour du cou ; à le voir, on eût dit qu’il avait passé une mauvaise nuit sans se déshabiller.
« Mon cher Nickleby, dit le monsieur, prenant à la main son chapeau blanc, si plein de papiers qu’il n’y avait plus de place pour le faire tenir sur sa tête, nous n’avons pas un moment à perdre, j’ai un cab à la porte. M. Mathieu Pupker préside, et nous avons positivement trois membres du parlement qui doivent venir. Je viens d’en voir deux se lever en bon état ; le troisième, qui a passé toute la nuit à Crockford, n’a pris que le temps de retourner chez lui pour mettre une chemise blanche et prendre une bouteille ou deux de soda water, et il ne manquera pas de venir nous retrouver à temps pour l’adresse proposée à la réunion. Il a encore un peu d’excitation de la nuit dernière, mais n’importe, il n’en parle jamais moins haut pour cela.
— Voilà qui a l’air de marcher assez bien, dit M. Ralph Nickleby, dont les manières réfléchies faisaient un contraste parfait avec la vivacité de son collègue en affaires.
— Assez bien ! répéta M. Bonney ; c’est la plus belle idée qu’on n’ait jamais conçue. Compagnie de l’Union métropolitaine pour le perfectionnement des petits pains chauds et tartelettes, rendus exactement à domicile. Capital soixante-quinze millions, divisés en cinq cent mille actions de deux cent cinquante francs. Ma foi ! le titre seul vaudra aux actions une prime avant dix jours.
— Et alors, quand les actions seront en prime ? dit M. Ralph Nickleby avec un sourire.
— Alors vous savez mieux que personne l’usage qu’il en faut faire, et comment on se retire à propos, dit M. Bonney en lui donnant familièrement une petite tape sur l’épaule. Mais à propos, vous avez là un clerc bien remarquable.
— Oui, le pauvre diable ! répondit Ralph en mettant ses gants, et cependant M. Newman Noggs a eu dans son temps des chevaux et une meute.
— Ah ! vraiment ! dit l’autre négligemment.
— Mais oui, continua Ralph, et il n’y a pas encore de cela bien des années. Mais c’est un homme qui jetait son argent par la fenêtre, il le plaçait n’importe comment, il empruntait à intérêt ; bref, il a commencé par des folies, il a fini par la misère. Alors il s’est mis à boire, il a eu une attaque de paralysie, et puis il est venu pour me demander de lui prêter vingt-cinq
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