Outre-Forêt
218 pages
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Outre-Forêt , livre ebook

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Description

Annie est assistante sociale. Pour elle, ce métier c’est aider ceux dont les parents ne sont pas capables de l’être. Originaire d’Alsace et désormais domiciliée à l’autre bout du pays, elle est subitement ramenée à sa région natale par un coup de téléphone – un appel à l’aide.


Déborah, son amie d’enfance qu’elle avait perdue de vue depuis des années, souhaite confronter son démon : le docteur Armand de la Serre qu’elle consultait pendant son enfance et qui l’a violée pendant plus de dix ans. Quarante ans après, l’homme exerce toujours et Déborah veut le mettre face à ses responsabilités.


Pour Annie et Déborah, c’est un retour dans l’Outre-Forêt, ce bout d’Alsace au nord-est de la France, où religion, après-guerre et agriculture ont rythmé leurs jeunesses. Épaulées par Marie-Ange, la meilleure amie d’Annie, les trois femmes vont se battre contre le vieux notable pour permettre à Déborah de résoudre ce traumatisme qui la poursuit au quotidien.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 04 octobre 2022
Nombre de lectures 1
EAN13 9782383512462
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0067€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Outre-Forêt
 
La SAS 2C4L — NOMBRE7, ainsi que tous les prestataires de production participant à la réalisation de cet ouvrage ne sauraient être tenus pour responsables de quelque manière que ce soit, du contenu en général, de la portée du contenu du texte, ni de la teneur de certains propos en particulier, contenus dans cet ouvrage ni dans quelque ouvrage qu’ils produisent à la demande et pour le compte d’un auteur ou d’un éditeur tiers, qui en endosse la pleine et entière responsabilité.
Etienne Embarek
Outre-Forêt


 
Aux assistantes sociales, à ma mère.
 
PARTIE I
 
 
1 – Le coup de fil
« Annie ?
— Oui, qui est à l’appareil ?
Cette voix était familière.
— C’est Déborah.
— Déborah ? Déborah Schmitt ? s’exclama Annie après quelques secondes de réflexion. Ça alors ! Mais quelle joie de t’entendre ! Ça fait si longtemps ! Comment vas-tu ?
— Hum, c’est compliqué de répondre, ma mère est décédée, Annie.
— Oh ! Je suis désolée, Déborah. Tu veux que je vienne aux funérailles ? C’est en Alsace, j’imagine ? J’y monte justement la semaine prochaine.
— Non, elle est décédée il y a un an maintenant.
— Ah…
— Oui, je… il faut que je te parle.
— Ah ? »
Et au grand étonnement d’Annie, Déborah se lança aussitôt dans un long monologue où elle ne cacha rien de sa vie, qui jusqu’ici n’avait pas été facile. Elle vivait désormais à Berlin, et avoua entre autres qu’elle fumait et buvait beaucoup, qu’elle était incapable de trouver un homme qui l’aime sans la maltraiter.
« Et à la mort de ma mère, l’histoire avec Armand m’est revenue en pleine figure, conclut-elle. Il exerce encore, Annie.
— Comment !? Mais quel âge a-t-il ?
— Autour de quatre-vingt-dix je crois, il a un cabinet à Cleebourg.
— Et tu crois que… qu’il continue à…
— Je ne sais pas. Mais tu vois, maintenant je me sens enfin prête à me battre. Je me suis renseignée, ça fait plus de trente ans, les faits sont prescrits.
— Comme je te l’ai dit, je monte en Alsace la semaine prochaine.
— Je suis chez mon frère , à côté de Strasbourg.
— Alors on se voit ?
— Oui, ça me ferait plaisir.
— À moi aussi. »
Annie raccrocha, stupéfaite. Ce coup de téléphone venait de la replonger, bien loin de ce doux Sud-Ouest qui l’avait accueillie, dans cette sombre région alsacienne de l’ Unteremwàld 1 où la belle Déborah lui avait fait une non moins sombre révélation alors qu’elles n’avaient toutes les deux que dix-sept ans.
Baccalauréat en poche, Annie était entrée à l’école d’assistantes sociales de Strasbourg. Partie de son village natal de l’Outre-Forêt en claquant la porte, elle n’avait commencé à revenir plus régulièrement à la ferme familiale qu’à la naissance de ses enfants. Par sens du devoir pour les grands-parents, mais aussi pour y chercher des réponses. Et qu’il était dur de tirer quoi que ce soit de ces austères protestants ! Une question trop précise vous valait un verset ou un dicton. Souvent, les deux se confondaient. Pas la peine de venir un week-end en espérant échapper au culte !
Annie savait que chacune de ses venues vaudrait sûrement à sa mère des heures de repentances. Des montagnes de pardons, d’avoir élevé de si mauvais enfants, d’avoir mis au monde des incultes qui finiraient dans les flammes de l’enfer. On faisait tout ce qu’on pouvait, mais des fois les épreuves du Seigneur étaient quand même relativement ardues. Culpabilité sur culpabilité.
Mais fallait quand même pas oublier de sauver sa peau auprès du bon Dieu, qui n’était pas aussi clément que celui des catholiques – la pire des races. Alors elle courbait le dos, la paysanne. Elle donnait quinze pour cent des revenus du foyer à l’Église, ses enfants étaient promis à la communauté, et l’obscurantisme de rigueur. Et même si le sort de ces protestants était réglé dès la naissance, le Seigneur tenait les comptes. « En cas qu’il change d’avis, il ne vaudrait mieux pas avoir raté une échéance », pensait souvent Annie.
Une bonne prière, ça permettait de faire oublier la fille. Les petits-enfants, on pouvait toujours tenter de les convaincre entre deux coins de portes. Mais Annie veillait, attentive à ce qu’ils ne tombent pas dans le panneau. Pendant les voyages de retour vers Strasbourg, elle répondait à leurs questions, détricotant patiemment le travail d’endoctrinement entamé par sa mère.
Lorsqu’elle lui avait annoncé son divorce, la réponse était sortie sèche et implacable : « De toute façon, vous n’êtes que des mécréants ». Merci pour le réconfort, je repasserai.
Ah, les inepties sur les origines divines de l’Homme, l’omniscience d’un vieux grigou qui dictait chacun de vos actes et des versets cryptiques, elle en avait en stock la mémé. Mais des réponses sur la folie de son père, sur le silence et les regards « tu l’as bien méritée  » après les rafales de coups, ça c’était une autre affaire. Les réponses sur la guerre non plus d’ailleurs. Et pourtant, pour Annie, tout ça était bien lié.
« Bonjour moi c’est Annie, je suis fille de collabo » aimait-elle à dire bravache, quand elle se présentait après avoir déménagé dans le Sud. Puis, avec le temps, elle avait arrêté. Mais oui, une partie de sa famille, sa mère et ses tantes, avaient été enfermées à la Libération au Struthof, seul camp de concentration sur le territoire français – ou plutôt allemand à l’époque. Une histoire de journal nazi que ses aïeux diffusaient. On ne s’en cachait pas forcément. Sur les photos de famille, on trouvait une moustache à la coupe un peu trop familière sous le nez rugueux d’un oncle au visage buriné par les heures passées aux champs.
Hitler ? « Il n’a pas fait que des mauvaises choses », disait sa mère, se gardant bien de dire lesquelles. Les FFI 2  ? Ces miliciens communistes et résistants, artisans de la libération : « De la racaille », crachait hargneuse une de ses tantes. « La potence au Struthof, elle a été construite pour nous les Alsaciens, pas pour les juifs ! », enchaînait la tante à la langue décidément trop bien pendue.
L’Histoire n’était certes pas simple pour ces Alsaciens, alternativement Français puis Allemands à trois reprises en moins d’un siècle. Chacun plaçait ses allégeances selon ce qu’il comprenait, selon ce qu’on lui promettait aussi. Mais forcément, dans les repas de famille, quand se retrouvaient autour d’une table des cousins qui s’étaient fait face dans les faubourgs de Stalingrad, l’un Waffen et l’autre soviétique, on était prompt à ressortir les Mauser et Tokarev .
Et la guerre imprime encore longtemps sa marque dans les foyers et les villages. Alors le silence s’installe. L’austérité protestante mêlée au mutisme paysan d’après-guerre, ça n’était décidément pas sa tasse de thé. Mais bon, on choisit ses amis, pas sa famille, paraît-il.
Après les études, devenir assistante sociale pour Annie, c’était donner des réponses à tous ces gamins dont les « parents » ne sont pas capables de l’être. Des fois par un soutien matériel, placement, fonds de solidarité, suivi par un éducateur, éloignement du parent maltraitant, mais c’était aussi, et surtout pour Annie, être une oreille attentive. Et ça, elle savait qu’elle le faisait bien. Elle était de ce type de femme que les gens fragiles, ou plutôt fragilisés par les épreuves de la vie, recherchaient pour se confier. Elle écoutait, conseillait, bricolait, réconfortait, tranchait quand ça allait trop loin. Elle savait dire stop, ou plutôt merde. Merde quand les horreurs étaient trop horribles, merde quand les souffrances étaient inacceptables, et elle aidait les autres à dire merde.
Comme lorsqu’il y a plus de quarante ans, elle avait persuadé Déborah de dire merde à son docteur, merde à ses parents. Tout comme elle, à ses dix-huit ans, avait dit merde à sa famille, merde à la communauté, merde au mariage avec l’un de ces paysans bigots, fils de paysans bigots, qui n’avait d’autre mérite que ses terres et une foi placée sous le bon clocher.
Mein Gott 3  ! Cette histoire, elle n’y pensait plus. Annie les revoyait au début des années 1970, d’inséparables amies. Que Déborah était belle ! Une enfant lumineuse, qui plaisait à tous sauf aux jalouses. Ensemble, elles formaient un duo de choc.
Puis était arrivée l’adolescence, la fin de la puberté. Les jeunes femmes voyaient le regard des hommes changer. La subjugation pour ce professeur d’Histoire – comment s’appelait-il déjà ? – drôle, brillant, il faisait glousser toutes les filles. Mais ce qui était un jeu avec les jeunes lycéennes du premier rang était devenu une relation pour Déborah. Sincère, candide, pour la jeune fille, bien moins pour ce crétin – mais c’était quoi son nom ? – trop charmant pour le peu de cervelle qu’il avait. En y repensant, Annie se dit qu’aujourd’hui ça la choquerait. Mais « autres temps, sales mœurs », pensa-t-elle grinçante.
Elles s’en amusaient, lui trouvaient des sobriquets, et rougissaient ensemble lorsque Déborah racontait en détail les évènements d’une rencontre nocturne interdite.
« Des idiotes ! » se dit tout haut Annie. Mais elles avaient l’innocence pour elles.
« Pas lui ! » siffla-t-elle entre ses dents, plongée dans de tortueuses pensées.
Puis, la catastrophe. Déborah en pleurs un soir lui avait annoncé qu’elle était enceinte. La honte, les larmes, impossible de lui en parler.
« Il s’en foutrait ! », sanglotait la pauvre adolescente, le sel du liquide lacrymal entamant le travail d’érosion d’un visage pourtant si parfait à l’époque. Déb’ ne pouvait pas le garder, alors elles avaient dû faire au mieux. Trouver un docteur, dans le plus grand secret évidemment, à l’abri de la communauté, du Seigneur et de la loi. De nombreux médecins pratiquaient l’avortement en secret, illégal à cette époque, et moralement impardonnable dans l’Alsace profonde. Parfois par empathie pour ces filles désemparées, parfois par appât du gain, parfois pour d’autres raisons.
Déborah voyait un chiropraticien depuis toujours pour des douleurs lombaires chroniques. Ses parents l’avaient amenée chez un médecin

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