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pages
Français
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2013
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Ebook
2013
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Publié par
Date de parution
15 octobre 2013
Nombre de lectures
1
EAN13
9782312014814
Langue
Français
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Date de parution
15 octobre 2013
Nombre de lectures
1
EAN13
9782312014814
Langue
Français
Petites Histoires Familiales et Nombreuses
Clopine Trouillefou
Petites Histoires Familiales et Nombreuses
LES ÉDITIONS DU NET 22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
© Les Éditions du Net, 2013 ISBN : 978-2-312-01481-4
Avant-Propos
J’avoue : je n’avais pas écrit d’avant-propos, avant d’ouvrir la maquette proposée par "la journée du manuscrit". Naïveté : j’ai cru que c’était imposé… Une sorte d’épreuve supplémentaire. Capter le lecteur avec un avant-propos, alors que mon manuscrit débute « sec ». Quel casse-tête !
Mais j’ai trouvé que l’exercice était bienvenu, finalement. Car le sujet des familles nombreuses peut être intéressant à de forts nombreux points de vue. Sociologique, historique, psychologique… Statistique enfin. Songez que le taux de fécondité, en France, est de 2,04 en 2011. Or, la SNCF et la Caisse d’Allocations Familiales sont formelles. La « famille nombreuse », ça commence à 3. Serait-ce donc une entité en voie de disparition, comme les ours blanc et les tritons crêtés ?
Bien entendu, c’est plus compliqué que cela. La famille nombreuse existe encore, au moins dans nos souvenirs : la grande majorité d’entre nous en est issue. Et puis une famille nombreuse, c’est avant tout une mère de famille nombreuse. Assumée, ou non. Je me dis parfois que derrière les « familles recomposées », les différentes fratries cohabitant sous un même toit, se cache en fait une espèce de mère particulière : celle qui a besoin d’un certain nombre de poussins autour d’elle. Une manière sournoise de renouer avec le nombre. De contourner la sociologie.
De faire un pied de nez aux théories éducatives, également. On oublie si souvent qu’une personnalité peut se construire à partir d’un numéro : celui qui vous est attribué au sein de votre famille… Les aînés, les aînéEs, peuvent vous en dire quelque chose…
Il ne s’agit certes pas ici, de faire l’apologie de la famille nombreuse, ou bien, au contraire de la pointer du doigt. Gide disait « Familles, je vous hais » : j’ai longtemps cru qu’il avait raison. Mais les orphelins ont le droit de ne pas être tout-à-fait d’accord. Non ?
J’étais la petite dernière d’une famille modeste. Mais nombreuse, ce qui témoignait, à tout le moins, de l’appétit de vivre de ma mère. Ce livre lui est donc dédié : même lorsque, comme moi et tant d’autres, on naît dans l’ombre du grand X des aiguilles avorteuses, on peut avoir la chance d’avoir une mère qui embellit le quotidien. Qui tisse d’or vos journées. Qui vous procure une enfance de reine…
Rien n’est simple, et surtout pas les souvenirs. Je crains que mes frères et sœurs ne reconnaissent pas les miens, qu’ils ne s’y « retrouvent » pas. Tant pis, tant mieux : ce ne sont, après tout, que de petites histoires qui vous sont ici proposées.
Pistache, chlore et chocolat
Giflée. Le premier souvenir que je garde de la piscine municipale de la petite ville de B., dans l’Eure, est la gifle de lumière qui m’éblouissait, au sortir de l’obscurité des vestiaires. J’avançais sur le perron blanc, les marches blanches descendaient vers les deux bassins. La lumière était si intense qu’il me semblait que ce n’était pas de l’eau qui m’attendait, mais deux flaques de couleur claire. Le petit bassin carré, où l’on avait pied, paraissait presque vert. Le grand bassin rectangulaire était plus sombre, plus bleu. Mais le miroitement du soleil renvoyait comme de multiples flaques d’argent, mouvantes et losangées, sur chacune des deux surfaces.
La différence de couleur provenait de la concentration du chlore. Mais, bleu lagon ou marine, les yeux, en fin de journée, seraient tout aussi rouges que ceux des lapins blancs du clapier.
Le tout était entouré de haut gradins de ciment granuleux, prompts à vous égratigner le mollet, de bâtiments blancs, d’une pelouse verte, et de petits pédiluves, dont le nom sonnait, pour moi, comme du latin. La piscine accueillait tous les enfants du Quartier du Stade, logés dans les pavillons préfabriqués et les HLM longilignes, posés là comme de grands morceaux de sucre, un peu salis. Sous le soleil d’été, le bruit de la piscine émaillée de cris semblait prolonger encore la lumière. Deux bassins, des gradins de ciment, une piscine de plein air, quelque peu problématique en Normandie : une sobriété ascétique et exemplaire, qui comblait pourtant tous nos désirs.
Nous en étions les Seigneurs et Maîtres. Ma grande sœur, sitôt arrivée, nous quittait pour rejoindre le Club de Natation, qui disposait de lignes d’eau réservées, sur le grand bassin. Elle revenait dans un peignoir blanc, fourni par le Club, dont le tissu éponge, si épais et moelleux, me semblait le comble du luxe. Mes frères et moi restions libres d’asseoir notre domination sur le reste de l’Univers.
Il avait fallu, d’abord, obtenir les cartes d’abonnement. Tous les ans, le jour de l’ouverture, ma mère nous accompagnait au guichet. Chacun d’entre nous montrait sa « carte de famille nombreuse » SNCF, avec sa photo trouée et son numéro officiel, qui attestait nos dires. Nous avions le tarif le plus réduit, - 30 %, nous prenions l’abonnement maximum, celui qui nous permettait d’entrer et sortir autant de fois que nous le voulions… C’était le plus avantageux, mais ça faisait quand même des sous, et nous étions solennellement prévenus : si l’on perdait sa carte, plus de piscine avant l’année suivante.
D’autant que le gardien était terrifiant. Nous avions entendu ma mère dire que c’était un pied noir, mais comme il avait des chaussures fermées, aucun de nous n’avait pu vérifier. Il était petit, sec, brun de peau, il portait des chemisettes bleues à manches courtes, il parlait mal le français et il était mauvais. Songez que nous allions à la piscine tous les jours, une première fois le matin, de 10 h à midi, puis l’après-midi, de 15 h à 19 h. Tous les jours, du premier jour de juillet, début des vacances scolaires, au 15 août, où nous partions camper dix jours en bord de mer. Eh bien, il n’y a pas une seule fois où je suis entrée à la piscine sans que le gardien n’ait réclamé la fameuse carte, n’ait vérifié sa validité et n’ait, d’un rapide coup d’œil, confronté la photo et ma figure. Pas une seule fois. Quand on est petit, l’ordre des adultes apparaît aussi justifié que l’ordre du monde lui-même. Aucun enfant n’a jamais contesté cette inutile vérification. Tout au plus l’assimilais-je à l’appel quotidien de mon nom, à l’école. Aujourd’hui, je me pose des questions sur la rigueur exagérée de notre gardien. Jouissance de celui qui a enfin un pouvoir sur les autres ? Peur d’être dénoncé, s’il faisait mal son travail ? Ou, tout simplement, s’ennuyait-il tant qu’il prenait plaisir à terrifier les mômes ? Car nous l’étions, tout autant que des âmes fragiles devant passer devant Cerbère, avant d’accéder au Paradis…
Mais une fois cette barrière franchie, il fallait encore vaincre les pièges des vestiaires. A 7 ans, je portais des « pantys », sorte de shorts de nylons pour petite fille, transparents et volantés. Pour plus de sûreté, j’enfilais d’abord, par en dessous, une solide culotte de coton : tout cela demandait du temps à enlever, et les mêmes affres m’attendaient tous les jours : soit j’essayais de fermer la porte de la cabine, mais les targettes étaient trop dures pour moi. L’idée de rester enfermée était épouvantable. Soit je décidais de laisser la porte ouverte. Mais quelqu’un, en passant, pouvait voir mon panty ! Idée tout aussi insupportable… Je finis, comme mes frères, par aller à la piscine, située au bout de notre rue, directement en maillot de bain. Cela nous faisait en prime gagner du temps.
Car nous n’en avions jamais trop, de temps, à la piscine, pour tout ce que nous y faisions. Il fallait d’abord choisir l’emplacement de nos serviettes. Elles avaient beau être plus petites que les draps de bain de certains enfants, elles trônaient cependant au meilleur endroit de la pelouse : tout en haut, et protégées des regards des maîtres-nageurs par deux buissons de thuyas. Il fallait ensuite asseoir notre domination. Tout le monde savait, à piscine, que mes deux frères étaient terribles. Si j’étais fâchée contre une petite fille, qui, par exemple, passant près de moi, avait laissé tomber deux gouttes d’eau froide sur mes mollets brûlants, je pouvais la menacer de cette arme invincible. Je me sentais aussi puissante que la gardienne de deux molosses, prête à les lâcher… Nous nous chipotions à qui mieux mieux, à la maison. Mais à la piscine, je pouvais compter sur eux. Leur nombre faisait d’ailleurs leur force. Pendant que le plus jeune allait parler au maître-nageur, détournant son attention, l’aîné, par un coup de force, s’emparait de la serviette du minus qui avait osé nous déplaire, et