A la pointe noire du temps
114 pages
Français

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Description

Ils sont neuf. Ils ont entre vingt et trente-cinq ans. Ils vivent à Pointe Noire, Congo Brazzaville. Ils slament, ils bossent, ils galèrent, ils se battent, eau et électricité intermittentes, déchetteries à ciel ouvert. Ils ont la passion des mots, la soif d'une littérature qui est passée par Tchicaya U Tam'si, Sony Labou Tancy et d'autres. Ils regardent la France avec acuité, ils jugent, ils créent, ils interpellent le coeur du monde.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2012
Nombre de lectures 41
EAN13 9782296479029
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

A LA POINTE NOIRE DU TEMPS

un poème documentaire en République du Congo
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-56665-1
EAN : 9782296566651

Fabrication numérique : Actissia Services, 2012
A LA POINTE NOIRE DU TEMPS

un poème documentaire en République du Congo

Mak de Ardie

Babisset

Lionnel Boussi

Arnauld Dossou

Gilles Evrard Douta

Roland Kaya

Beaurice Loumingou

Rodrigue Mouandza

Andy Ramos

en compagnie de Philippe Ripoll


« ENFACE » d’Eric Girard-Midet


L’Harmattan
Ce poème documentaire est issu d’un atelier d’écriture qui s’est déroulé en 2009 et 2010 au Centre Culturel Français de Pointe-Noire, République du Congo.

Couverture : Simon Ripoll-Hurier
« E N F A C E »
8 septembre 2010, aéroport Agostino Neto, Pointe-Noire – Congo. L’avion en provenance de Paris vient d’atterrir avec plusieurs heures de retard. Dans la foule qui se presse autour des bagages, j’aperçois enfin Philippe Ripoll. Nous sortons. Ciel gris. Saison sèche. En l’attendant je me répétais, comme une vieille rengaine, ces quelques mots : « Pointe-Noire. Ciel gris. Pointe-Noire. Ciel gris. » Noir. Gris. Ciel noir. A la pointe du ciel. Pointe noire du ciel.

Philippe est venu ici une première fois il y a un an et demi. Il revient pour renouer avec de jeunes slameurs, conteurs, comédiens et poursuivre cette aventure improbable : écrire ensemble.

Ecouter chacun, rendre sa parole de la manière la plus juste, questionner le champ social grâce à une approche purement sensible, voilà ce à quoi Philippe Ripoll s’attelle depuis plusieurs années, passant de chantiers en chantiers d’écriture, travaillant avec des prisonniers, des chômeurs, des vieux, des habitants de quartiers dits sensibles, des danseurs, des gens en somme à qui on ne demande jamais rien, à qui on ne donne jamais de noms, qu’on semble découvrir quand ils hurlent ou qu’ils meurent et qu’on traite en bloc, par catégorie et par problème. Au fil des expériences, une petite bibliothèque a pris forme et, au-delà de cette bibliothèque, un nous fait de récits de vie et de portraits, un nous fragile, utopique en quelque sorte mais si proche.

Il revient avec ce titre en tête : A la pointe noire du temps. Et le projet de faire un livre éclair, car le temps nous est compté, 17 jours exactement

J’assiste aux séances. Concentration intense. Philippe Ripoll lit un extrait de Kerouac. Sur la route. Le moment où Jack, de retour à New York, observe les passants avec l’acuité d’une bête sauvage. Kerouac en Afrique. C’est un autre voyage qui débute, un aller-retour dans les crânes. Mais si proche au fond des pérégrinations et des soucis quotidiens des gens d’ici, pas de boulot, pas de fric, négocier le taxi ou le bus, marcher et marcher encore le ventre vide. On appelle ça la survie. On comprend alors pourquoi le vrai voyage commence sur la page blanche. Et ils écrivent, des pages et des pages, en un besoin impérieux, intransigeant. Ça pourrait durer des nuits entières. Des personnages passent, des objets, des cris, des paroles, des langues, des noms de quartiers, des désirs, des rues, des bruits, des odeurs, des hontes, des saccages nocturnes, des faims. Fragments de réel, bruts, banals, triviaux, drôles ou décourageants, d’où leurs vies, et les nôtres, émergent. Jack à New York. Andy ou Rodrigue ou Gilles à Pointe-Noire. Errant, rêvant, écrivant.

A propos du travail de Philippe Ripoll, on pourrait parler de poétique de la réalité tant il se tient au plus près de l’intime et du quotidien, du comment vivre. Lui parle de poème documentaire. Ou comment tracer quelque chose qui ressemblerait à un comment être dans notre comment vivre. Ceci en s’approchant le plus possible des zones d’ombre, celles où l’on relègue ceux que l’on préfère ignorer. Poème documentaire, sociologie performative, écriture partagée, coécriture : modeste réponse, mais gorgée de vie, à l’illusion de réalité dont le marketing de masse nous inonde. Nous le savons bien, nous ne vivons pas dans le meilleur des mondes. Et le monde que l’on nous vend comme un pis-aller nécessaire, le meilleur possible, est-il autre chose au fond qu’un montage circonstanciel, une mise en scène idéologique et télégénique, où nous croyons vivre. Mais, et pour reprendre le titre d’une expérience passée de Philippe Ripoll, nous ne sommes pas une fiction. Non, nous ne sommes pas une fiction, « chacun de nous est inévitable » disait Walt Withman, avec ses trous, ses faiblesses, ses joies, ses regrets, ses paysages déglingués, ses soifs. Il y a ceux que le réel arrange et il y a ceux que le réel écorche. Leçon d’anatomie : la vérité sortira-t-elle des écorchés ? Et si ce n’est la vérité, du moins ce que nous ne pouvons pas ne pas entendre. Ne conviendrait-il pas d’ailleurs, pour mieux entendre ce qui se dit ici, de se débarrasser un instant de mots comme Vérité, Oeuvre, Littérature, de jeter un instant nos écrans, nos critères, nos jugements pour se tenir le plus simplement possible en face. Disons dans le plus simple appareil : oreille nue. Car en aucun cas il ne s’agit de fabriquer des écrivains en leur enseignant je ne sais quelles techniques et combines, mais de rendre possible, par et dans l’écriture, des moments de vie, des émotions, des colères ou des nostalgies, voire des détails en apparence insignifiants mais qui s’imposent à nous comme le Rosebud dans Citizen Kane, « un téléphone qui se vide de son énergie » ou bien « les klaxons de la ville se perdent » , ou encore « des bougies, des lampes-tempête jalonnent le trottoir » .

Deuxième séance. Ils sont neuf autour de la table. Neuf à se mettre à table. Philippe Ripoll n’impose rien, ne dicte rien, suggère juste des pistes, cherchant sans cesse le point de partage et le cadre idéal pour que les choses adviennent. A partir de deux journées, les 7 et 8 septembre 2010, dates de son départ pour le Congo et de son arrivée, il avance des propositions : « Vous vous levez. Décrivez vos premiers pas, vos premiers gestes. » , « Dressez la liste de vos itinéraires. » . Consignes qui fonctionnent un peu comme des gris-gris. Ils écrivent. Chacun en apnée dans sa bulle. Oxygène mental. Alchimie neurones souvenirs. D’un coup, la salle se transforme en labo. Nous sommes dans une sorte de hors temps, celui propre à l’écriture. Temps arraché à la violence et à l’avidité ambiantes. Temps de la rumination, quand le monde repasse mais remâché, malaxé, quand choses et situations ressurgissent, régurgitées en mots, phrases, rythmes, et nous font signe. Nous sommes embarqués : quartier Mawata, Ngoyo central, Croix du Sud, Miambanzila, Fonds Tié-Tié, Mpaka, Barrière, et plus loin l’Océan, et plus loin encore l’horizon « que picotent des lucioles » . Ils lisent, ils écoutent, tour à tour oreille et voix. Les itinéraires s’entrelacent. Ça devient un voyage, des voyages, les voyages qu’on est. « De la Base à la Mairie Lumumba il y a de la sueur à dépenser » . De la sueur et de l’encre. Nous déroulons le long ruban de nos vies. Et nos vies sont des fables, des poèmes, des récits et nous ne le savions pas.

Cinquième séance. Philippe Ripoll convoque Rimbaud et Tchicaya. Il les lit lentement en les juxtaposant, comme un poème à deux voix, celle du Blanc égaré en Afrique et celle du Noir monté à Paris. Illuminations, Feu de brousse. Bivouac impromptu. Ça crépite. La poésie ne sauvera jamais personne mais alors pourquoi ces larmes qui montent ? Aucun de nous dans cette pièce n’a connu Tchicaya ni Rimbaud. Ce ne sont pas nos pères. Ce ne sont pas nos frères. Pourquoi alors ? Osons ceci : nous sommes Rimbaud et nous sommes Tchicaya. Car au fond l’extrême sincérité est anonyme. Ce qu’on appelle la beauté. Je est un autre. Tous les autres. Il n’y a de je qu’à ce prix. La signature suppose qu’on ait d’abord gommé son nom. Mais en le multipliant dans les autres. C’était déjà, juste après Rimbaud, l’injonction de Lautréamont, « La poésie doit être faite par tous. Non par un » . Ce que notre époque, droguée au mythe des egos boursouflés, a oublié. Ecrire c’est faire l’expérience de cet ano

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