Cinquante-huit
54 pages
Français

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Cinquante-huit , livre ebook

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Description

« La poésie d’Aardun relève du « faire » (« poiesis » ; par opposition à « praxis », agir), bien sûr, comme toute poésie ; il aime configurer le verbe, et les formes dans lesquelles il le façonne sont « poétiques », aboutissent à quelque chose de nouveau, un objet nouveau imposant l’univers dont l’objet poétique est porteur, témoin de son auteur. Mais il y a, me semble-t-il, un autre geste poétique plus spécifique, qui est une composante du geste majeur dont je viens de parler ; celui de décortiquer, de démonter les choses, des idées qui l’habitent, de les malmener et de les consoler, de les reconfigurer a minima, pour les remettre debout, mais afin qu'elles marchent à sa convenance. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 19 juin 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782332578600
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Cinquante-huit
Mon pays en a cinquante-huit.
Mon pays est comme moi, il en a cinquante-huit.
Je porte mes années avec délectation,
heureux de vivre et de voir grandir mes enfants.
Mon pays, lui, porte sur son territoire
cinquante-huit feux intenses,
bien installés dans leur cocon d’acier et de béton,
ces cocons qui sont nos cercueils,
qui chauffent doucement,
qui nous chauffent
et nous éclairent.
Mon pays en a cinquante-huit
et c’est durant ces années,
mes années,
qu’ils ont été implantés sur la terre de nos ancêtres.
J’ai grandi alors que tâtonnaient les explosions de ma nation
dans le désert du Sahara et dans l’océan Pacifique.
Ma conscience est née plus tard, en Amérique,
tandis que continuait la course à la folie.
Puis, il y eut Tchernobyl,
et l’Histoire n’a plus résonné pareille,
alors que mon pays faisait semblant de croire
à l’imperméabilité de ses frontières.
Et aujourd’hui il y a les enfants de Tchernobyl,
l’atroce au quotidien
et la terre désertée d’Ukraine.
Et ce matin Fukushima,
le Japon et les cicatrices à nu,
la mémoire renouvelée
la mer en terrible marteau
les sols manœuvrés
l’électricité coupée
la catastrophe annoncée
et la certitude d’un nouveau désert
en liquide emporté.
Mon pays en a cinquante-huit,
de ces cœurs qui n’attendent que la fusion,
tapis au fond de leurs sarcophages d’illusion,
prêts à se fissurer pour mieux nous dissoudre.
Ils sont si nombreux !
Ils sont si puissants !
ces monstres aux aguets que nous avons construits,
si fiers de notre savoir-faire !
Et c’est mon pays qui a fait cela,
et qui tuera ses voisins après son propre peuple.
Mon pays est un champion du nucléaire et il en est très fier !
Mon pays en a cinquante-huit,
de ces coupoles prêtes à fondre sous ce soleil qu’elles recèlent,
patientes à l’effondrement
dressées pour l’inéductable.
Il y en a eu cinquante-huit,
de ces années qu’il a fallu pour me bâtir
tel qu’aujourd’hui je me dresse,
tantôt dolent, tantôt impulsif,
dans le tumulte de l’humaine vague
de ceux qui m’ont façonné
de tous ceux rencontrés
comme de ceux que je crois malaxer
et que j’ose parfois caresser.
Il y a eu cinquante-huit fois
de ces bougies que j’ai soufflées,
bon gré mal gré,
pour être maintenant ce bonhomme heureux
de ce plaisir de vivre qui vibre
au travers de toutes mes années.
Mon pays en a cinquante-huit
qui, comme mon cœur, palpitent,
mais son arrêt n’entrainera que moi
alors que leur fin signera des temps funestes.
Mon pays en a cinquante-huit
de ces monstres d’énergie qui alignent eux aussi les années,
les heures, les minutes, les secondes,
jusqu’à ce cadeau empoisonné d’un anniversaire effroyable.
Mais combien faudra-t-il de siècles
pour réduire la formidable brûlure,
l’empoisonnement insidieux ?
En faudra-t-il cinquante-huit, mille, ou cinquante-huit mille,
ou bien qu’en savons-nous ?
Et qui donc célèbrera cette dévastation ?
Mon pays en a cinquante-huit,
de ces réacteurs de malheur,
et plus encore de ces larges cheminées
d’où s’échappent chaleurs et fumées,
qui refroidissent l’eau malmenée
et recyclent en circuits compliqués
notre confort d’aujourd’hui et notre mort de demain.
Elles se dressent au bord des fleuves,
ces installations très surveillées
ceinturées de murs et de barbelés.
Elles portent des noms charmants,
venus de villages innocents
auprès desquels dominent leurs gueules menaçantes.
Leurs habitants ont souvent dit non
à ces implantations d’usines à rayons,
mais l’intérêt national n’a cure
de sorts individuels qui s’évanouissent
alors que persévère la courte vue à...

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