Il reste peu de temps
122 pages
Français

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Description

« Avoir emmagasiné tant de mots Toute cette mémoire compressée Dans les têtes que les barreaux serrent Avoir vécu au moins une vie Et en vivre plusieurs ici privé Pour n’en choisir qu’une seule Celle de la sortie Celle des mots libres »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 05 octobre 2012
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748388480
Langue Français
Poids de l'ouvrage 8 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0056€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Il reste peu de temps
Jo Ros
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Il reste peu de temps
 
 
 
À Audrey, Eva, Adrien, Maël,
 
 
 
Février 2012
 
« Le livre dont on se souvient est le livre que l’on souhaite écrire. »
Edmond Jabès
 
 
 
 
 
 
 
Chalet
Voilà, j’y suis. Je vous écris de ce territoire, la vie. J’ai attendu d’avoir l’âge de l’écolier pour apprendre à écrire. Je peux aujourd’hui vous parler du pays de mes enfances. Celles d’avant les mots, ceux que l’on comprend, ceux qui ont dû se nommer plus tard, pour la fabrique des souvenirs. Un enfant, l’enfant que j’étais attendait. Étais-je une capitale, une ville, un simple village ou peut-être un quartier dans ces territoires ou ces pays ? Oui, je sais, un petit port de Méditerranée. J’y ajouterai volontiers un hameau de haute montagne, aux confins du Mercantour, un rêve éveillé. On me dira, lorsque j’aurai l’âge de raison, le hasard des chemins d’immigration de mes parents entre Espagne, Algérie et ce petit port. Je pense pourtant que ce sont les rêves d’enfant qui inventent les pays de leurs premiers pas. C’est irréversible. Quelle supercherie de croire que le hasard est pour quelque chose dans la vie des gens. Et pourquoi pas la nécessité en plus ? Car on le sait, les enfants font naître les vents ou les tempêtes, les orages, les éclipses, les soleils couchants, les pleines lunes, et toutes les aventures à l’heure de la lecture. Je sais les coïncidences, aux quatre coins du monde, révélées dans les rêves des enfants de la planète. Noms différents pour les mêmes choses, océans, mers, montagnes, leurs neiges, leurs sels, leurs couleurs. Ils ont inventé les chemins buissonniers et la nature qui les prolongent. Les branches sèches allument les feux de joie, feux sauvages ou feux domestiques ; ces feux sont toujours liés aux émotions. Les minuscules étincelles sautent au ciel comme autant de petits diables sortis des contes d’avant sommeil. Ces feux de joie au plus fort de nos rêves rappellent ceux de la fin de l’année, allumés à la cime des hameaux pour fêter le passage du temps d’une année à l’autre. Moi l’enfant, dans son voyage inachevé, j’attendais les étrennes, étrennes survenues bien plus tard à l’âge adulte : un chalet de haute montagne, moi qui n’avais jamais quitté la mer.
Clairière
Depuis la nuit des temps, à la naissance de l’écriture, les pays ont ouvert le livre de leurs propres alphabets : lettres, signes, codes, idéogrammes, calligrammes et toutes traces visibles. Tous ont voyagé, s’enrichissant des lieux, villes ou paysages, forêts ou dunes de sable, étendues d’eau ou cieux changeants. Couchés sur tous supports. Parole avant écriture, écriture avant parole, le dilemme subsiste. Ils se sont certainement rencontrés, mixés, mariés, transformés. Sous la pression des doigts, de la pointe des bâtonnets, des plumes, des crayons, des stylos. Sous le regard des hommes. Hémisphère nord, hémisphère sud. Oralités ou écritures, deux accroches à la vie des hommes. Le cousinage avec les chiffres et les nombres frappe à la porte du livre, en écho.
Où est le début ? Pour ces écritures planétaires, se retrouver dans une clairière du Mercantour à quelque deux mille mètres d’altitude, dans le grand bois. Pour y tenir conciliabule. Avec dans leurs sacs de voyage les alphabets, les dictionnaires, les encyclopédies, lexiques, numérologies, toutes générations confondues. L’urgence en ces temps de grande mutation technologique, numérique, virtuelle, réside dans la disparité entre l’univers classique des mots écrits sur papier blanc et celui éphémère des écrans.
Les mots clament bien haut dans cette clairière que l’heure est venue pour eux de parler à la première personne et de s’organiser sur le plan mondial en groupe de résistance. Résister à qui et à quoi ?
Chalet
Je m’éveille sur mon lit de vacances, après une nuit lourde due au changement d’altitude. Le printemps a une odeur de mélèze accentuée par l’air frais encore chargé de neige. Je pense à un café matinal et à son arôme sublimé par la haute montagne. Aussitôt une piqûre de rappel, ma pensée mi-éveillée me ramène à la réalité. Je suis ici pour écrire. Écrire. Se penser comme auteur ou écrivain avant de rêver de l’être vraiment. Je n’écris plus depuis de nombreux mois. Ceux-ci se sont brûlés à l’agenda noirci d’activités diverses, surtout sociales, pseudo-militantes. Signer des pétitions sur Internet est le fait d’un militant de salon plutôt que d’un acteur de la vie quotidienne. Tu es tombé si bas, me dis-je. Quelle audace ! Là, à cet instant, ma seule résolution consiste dans une urgence à trouver les mots ; les miens, ceux qui voyagent, ceux qui se cachent ou ceux des autres. Projet devenu lancinant. Écrire. Écrire le livre ; le livre de ma vie, ou celui de la vie, livre unique, le seul livre d’une vie, le seul qui compte pour la littérature. Dire tout le chemin parcouru, mes cheminements, mes errances, les itinéraires du « mal-heur », de la « bonne-heure » . Ou bien celui inspiré par les sondages des hommes sur tout et n’importe quoi. Les sourires de mon entourage m’encouragent, c’est le moment. Je dois commencer. Commencer où, comment ? Bêtement : au commencement était le verbe. Peut-on écrire l’air que fait le vent des voix ?
Voix intérieures, mes mains enveloppent la chaleur noire de la tasse de café saisie sur la table de ferme, face au plus haut sommet de la vallée de l’Ubaye. La parole, la voix, l’écriture. Il est vital de revoir les origines des lettres, lettres de tous les pays. Le chantier est énorme. Reprendre les génériques et mettre mes connaissances à niveau. Je me lève pour finir la tasse de café, dernier arôme qui rejoint ma vision du ciel matinal au fond de la vallée. Je suis accoudé à la rambarde en bois de mélèze, foncé par le temps, coupé à un lieu précis du grand bois. L’écran de mon téléphone portable cligne. Qui m’envoie un texto ? Mots médiocres réduits à des phonétiques douteuses. Aucun désir de répondre, j’enrage d’être devenu dépendant cet objet marchand, de ce médiocre support, de cette pauvre écriture, succession d’abréviations, de chiffres et de lettres mal associés, comme l’utilisent la plupart des gens actuellement. Mots qui ont perdu leur âme à jamais. Adolescents envahisseurs de mes territoires de culpabilité, de n’avoir pas pu leur transmettre l’amour de la plume. « e-qqchoz », « i-qqchoz ». Pas de découragement. Je me reprends. Table de travail, papier, stylo, pour l’ordinateur on verra plus tard ; on ne peut pas tout refuser des inventions extraordinaires de l’homme. Donc parler des origines, celles du monde, celles de l’homme, celles des mots. Écrire le livre.
Machinalement, je me ressers un café plus serré que celui de l’aube. Je me suggère un plan qui serait l’épine dorsale de mon séjour. Une sorte de résidence d’auteur que je m’impose, me mettant au défi d’un espoir ou d’un deuil d’auteur. L’idée d’une recherche en profondeur de la matière première qui a créé lettres et mots du monde. Histoire et mémoire se mêlent, les lettres ayant un parcours esthétique, éthique à travers les grands moments épistolaires du monde. Le soleil se lève enfin sur les brouillards endormis au fond des duvets du sommeil de la nuit. Il vient dérober, par ses dards, l’obscurité qui inquiète tant les enfants et les animaux en quête de proie dans l’enceinte du parc naturel. Je scrute la naissance du torrent des Terres Pleines. Il s’adapte facilement aux divers dénivelés des sols, aux aspérités rocheuses, aux jardins alpestres ; il bouillonnera avec les cascades, flânera dans les méandres, prendra sa respiration dans les plans d’eau au fond de la vallée, cherchant l’image des nuages dans le galbe des gouttelettes en suspension dans les gerbes d’eau. Douceur et rupture d’une écriture que je veux juste. Que je mènerai jusqu’à la mer, pour retrouver mes rêves d’enfant, un goût d’écume quand j’apprenais à nager, de sel et d’iode dans la dégustation des moules et des oursins, d’algues vertes en guise de collier à la sortie du bain.
On m’a appris l’art de la ponctuation, c’est le moment de vérifier les effets de cet apprentissage. Je pense à cet art appliqué aux autres écritures, indiennes, arabes, asiatiques. Quelles en sont les différences ? Il est vrai que les peuples qui les utilisent ont des respirations particulières, suivant leur vision du monde. Apprendre des autres devient vital. Comme apprendre d’abord de soi. Sans m’en rendre compte, je me suis mis à écrire, posture indécise d’un auteur qui ne donne aucune consigne à son stylo. Celui-ci s’en passe aisément. Son encre dessine par magie les lettres une à une. Plus tard, sur les pages du livre, leur chemin lettrique attendra le lecteur. Je sais aussi que je vais être dérangé, rompant ce moment agréable. Ramasser, couper, ranger du bois pour les soirées d’hiver. Il est temps de me mettre à écrire. Car tout échec concernant ce défi me renverrait vers ce médiocre lecteur des autres, dans les journaux, magazines, revues, livres empruntés dans les médiathèques. Les ruses pour une médiocrité soutenue sont nombreuses. Étalage de livres dans les grandes surfaces, rayonnages à l’effigie des éditeurs consanguins dans la gestion des actions financières où le livre est une marchandise secondaire. Conteneurs en route vers le Tiers-monde, poubelles vertes qui avalent les piles de revues lues dans les salles d’attente ou les publicités polluantes. Ruses cape de matador. L’homme centaure se rue sur les chiffons de papier qu’il croi

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