Pont-les-Hauts-en-Yaberie
224 pages
Français

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Pont-les-Hauts-en-Yaberie , livre ebook

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Description

« Je suis tang, ascendant chacouate, et quand j’étais martin dans les années cinquante, je prenais plaisir, entre la papaye et la goyave, à voleter de-ci de-là au-dessus de Pont-les-Hauts, de Bras-Jonc à la Ravine-Bigarades, en passant par Coteau-Bouc, Grand-Rond, le quartier du Bassin et la rue de la boutique, Timimile (labonhaut) et Grand-Bac (labonbas), avant que cet écart ne soit rattaché à la commune voisine du Pompon, sur l’autre versant du Bras Madeleine. L’estrécité n’allait pas tarder à éclairer le village et les familles ne s’agglutinaient pas encore devant la boîte en noir et blanc, comme quand je suis devenu ado-humain, dix ans plus tard. Je glanais chaque jour quelques becquées d’anecdotes drôles, tendres ou pathétiques, que je gravais dans ma mémoire de mainate-avatar, pour le jour où mes pattes jaunes se transformeraient en jambes de pattes jaunes. »

Couverture : photographie de Roland Germser

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 08 septembre 2014
Nombre de lectures 2
EAN13 9782332759672
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0067€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright














Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-75965-8

© Edilivre, 2014
Pont-les-hauts-en-Yaberie
 
 
Je suis tang, ascendant chacouate, et quand j’étais martin dans les années cinquante, je prenais plaisir, entre la papaye et la goyave, à voleter de-ci de-là au dessus de Pont-les-Hauts, de Bras-Jonc à la ravine-Bigarades, en passant par Coteau-Bouc, Grand-Rond, le quartier du Bassin et la rue de la boutique, Timimile (labonhaut) et Grand-Bac (labonbas), avant que cet écart ne soit rattaché à la commune voisine du Pompon, sur l’autre versant du Bras Madeleine.
L’estrécité n’allait pas tarder à éclairer le village et les familles ne s’agglutinaient pas encore devant la boîte en noir et blanc, comme quand je suis devenu ado-humain, dix ans plus tard.
Je glanais chaque jour quelques becquées d’anecdotes drôles, tendres ou pathétiques, que je gravais dans ma mémoire de mainate-avatar, pour le jour où mes pattes jaunes se transformeraient en jambes de pattes jaunes.
Jean-Louis
 
 
Chez nous-zot, à Pont-les-Hauts-en-Yaberie, nous ne perdons jamais le fil d’une histoire interrompue et, pour la reprendre, nous avons une formule toute prête : « Alorsse, pour vous en revenir »
Alorsse…
 
 
J’en vois une qui ne supporte pas les jurons, alorsse pour ne pas lui déplaire, je n’en ai pas écrit un seul. Que des gros mots ! Mais bécalu, on a chacun les siens.
 
 
A Emile, qui savait rire de lui-même (un peu) et des autres.
A Iris, qui est la mémoire bienveillante de mes histoires passées.
 
 
Chez nous-zot, à Pont-les-Hauts-en-Yaberie, au temps où les chemins n’étaient encore ni blackés ni éclairés, il était d’usage à la brune, de faire un tour de jolité : après sa journée de travail, on s’aproptait et on allait, pour le plaisir se promener dans le village, un soir dans un quartier, un soir dans un autre, histoire de tisser ou raffermir des liens sociaux, histoire aussi de conforter quelque vieille rancune ou de transmettre intacte une fâcherie ancestrale. L’occasion donc de prendre des nouvelles du voisinage, de rode ain’ tisane, de rendre une castrole :
– M’a dire à vous merci !
de prendre une tite bouture :
– Mâfi, moin n’a point ce couleur-là moin !
d’aller poser quelques fleurs sur les chers disparus :
– Nu sorte au cimetière, n’avait point âme-qui-vive !
et de montrer à tout un chacun que la grande fille l’est pas loin d’être bon pou tire ec la mère.
Certaines demoiselles, reconnaissons-le, en profitaient pour faire la pionte, mais mamère veillait à ce qu’on ne puisse pas dire que Solange n’a pas eu un bon élevage. L’est pauvre mais l’est propre.
A la même heure coméla, on se promène dans les séries américaines pour prendre des nouvelles de Ridge et de ses acolytes, en pestant contre ces malpolis qui vous viennent vous déranger à l’heure de la cultchure.
Enfin, les femmes se promenaient, parce-qu’à c’t’heure-ci, le bonhonme était plutôt au lieu-dit le Bassin, plus précisément dans la rue de la boutique, et plus exactement devant le énième ti verre du bar-alimentation-billard de Chane-Ping, le grand-père de Chane-Chang. Là au moins c’était sérieux, pas zaffaires de femmes. Rien ne se passait à Pont-les-Hauts qui ne soit rapporté, répété et commenté au Bassin. C’était une sorte de creuset dans lequel se déversaient tous les potins de tous les quartiers. S’opérait alors une subtile alchimie dont il sortait toujours une solution imprégnée de fumée et d’alcool, et que monsieur Aintel instillait en rentrant, de case en case jusqu’à la sienne.
Echange matinal entre deux voisines autour de la baille :
– Georgette, vous l’est au courant quoi que l’arrivé hier au soir ?
– Mâfi mi connais pas, Arthur l’a pas rentré !
Au Bassin, on se racontait les épisodes de la journée et on prenait les décisions, grandes ou petites, qui sont exclusivement réservées aux hommes. Par exemple on s’inquiétait de savoir c’est quand la lune-pistaches.
– Moin mi plante dans la terre, mi plante pas dans la lune. Veux boire ain coup, Ernesse ?
On demandait un coup de main pour l’abattage du cochon, demain grand matin. On proposait d’élever ain’ ti bœuf moitié-moitié.
– Moin, c’est Amélie que mi songnerais de moitié ec vous. Viens boire ain’ affaire, Ti Claude.
On prenait des renseignements sur quelques gaulettes à vendre ou à acheter, sur l’état de santé d’Edmond après son coup de croque dans le zo maigre, sur la disponibilité de Joseph pour réparer l’ariage-charrette avant la coupe, qui ça y remplace Albert à la belote, sa fanme l’a crie à lu, si quelqu’un descend demain à Saint-Julien, moin na deux balles maï po moude, si dans la semaine n’a point ain’ clé pou becquer.
– Qui ça y veut paye ain coup d’sec pou Ti-Claude ec moin ec Ernesse ?
Vous voyez bien qu’une femme n’aurait rien eu à faire dans cet univers de cochons (les deux : ça qui grongne et ça qui cause en grongnant), de charrettes, de gaulettes, de belote et de dominos, dans la fumée des bastoches, mais la plupart des épouses savaient l’humiliation que subirait leur mari, et le contrecoup qu’elles encaisseraient si elles avaient l’inconscience de le faire rentrer du Bassin pour une raison autre qu’un décès ou un incendie.
Ainsi Albert que sa femme l’a crie à lu, eh ben Albert a fini par rentrer chez lui sans trop tituber, et tous savaient que sa femme, cette fois, allait crier pour tout de bon.
Madame Alban, l’institutrice, estimant que son mari avait oublié l’heure du dîner, a envoyé la bonne lui apporter sa gamelle du soir dans une tente. Alban a quitté la partie de belote en forçant son rire, mais est rentré tout doux, car le salaire d’une maîtresse d’école est plus élevé que celui d’un mari d’institutrice.
La tactique de Marthe n’était pas plus discrète : dés le fénoir, elle faisait les cents pas devant la boutique, un marmaille dans chaque bras, jusqu’à ce que la silhouette de son mari apparaisse dans l’encadrement de la porte. Alors elle filait devant comme si elle ne l’avait pas vu, et se dépêchait de tirer le manger de son bonhomme pour amortir le coup.
Au Bassin ou au hasard de chaque quartier, on pouvait tous les soirs cueillir des petites tranches de vie, des instantanés au détour d’un chemin de terre, de l’autre côté d’un barreau qui penche sous les pois-de-senteur, derrière un soufflage en gobe tôle, que la bande en bas y appelle rond-de-bac, ou depuis la touffe-figues qui enserve pou toute.
Nous voilà par exemple devant la case de Delphine qui parle à ses dahlias et à ses capillaires-de-France, tout en les arrosant avec sa tite rosoir en fer-blanc.
– Bonsoir mâme Delphine ; vous l’est toujours gaillard vous !
– Vouzote, voilà ain’ figure que l’est rare ! Rente ain peu, nous va assir.
– Mâfi, vous l’est bien gentille, mais moin n’a oncore mon dîner pou moin faire cuire, et vi connais d’bonhonme comment qui l’est…
– Y faut pas avoir pou pas connaître, renchérit mâme Delphine, fataliste.
– Souvent des fois vi s’en passerait, poursuit la passante ; déjà quand lu l’est pas bu, lu l’est mal-souffrant, alorsse parle pu si lu na ain coup en trop et que son manger l’est pas tiré !
– Non, cause pas vous ! Reusement moin, mon dîner l’est paré : mi sava faire ain’ belle omelette. Adrien mon enfant, regarde si la poule l’a pondu va !
Prière du soir
Allons couper par chez Ignace, là où le sentier glisse un peu à cause de la tite source Lina qui remplit la baille par une canalisation en bambou.
– Robert mon enfant, moin l’est lasse dire à vous allez bain-yer ! Dîner l’est cuit !
– Mamère, si mi baingne, mi dis pas ma prière, si mi dis ma prière, mi lave pas mes pieds.
Le chantage n’est pas du goût de madame Ignace, qui s’empare illico du premier balai de brande qui lui tombe sous la main.
– Aspère ain instant mon ti fidgarce, mi viens po vous !
Odette est une fervente catholique qui trouve son réconfort sur terre dans la propreté, le rangement, le nettoyage en tout genre, qui ne considère pas f idgarce comme un juron-boomerang, sinon elle irait encore se confesser, qui n’a jamais manqué ni messe, ni vêpres, ni chemin de croix, procession ni reposoir. Après le repas du soir, à genoux au pied du lit, les enfants récitent avec elle toutes les prières de la création.
– Mamère y inventerait ain saint pou trouve ain’ prière !
Les paupières sont lourdes, les têtes plongent, la diction est approximative, mais il n’est pas question de s’allonger sous la couverte avant que ne soit rendue la dernière action de grâce, alors ce soir-là, comme tous les autres soirs, Robert a prié, et les pieds propres ; mais pour sa défense, en cherchant bien, on devrait trouver dans la Bible un Saint qui, lui aussi, avait une sainte horreur des litanies et de l’eau froide du bandège au mois d’août, dans les hauts.
 A l’école mon cœur vole
La rue du commerce se prolonge par un chemin de charrette jusqu’à Bras-Jonc ; et au plusse on monte, au plusse on est dans les cannes. Les cases en bois deviennent moins pimpantes et les paillotes plus nombreuses. C’est près de la case en paille de Martial qu’on fait halte – si vous voulez – pour souffler un peu près de la grosse roche, dans l’odeur du feu de bois et de l’ail qu’on roussit pour le bouillon de brèdes.
– Roger, s’égosille mame Martial, viens récite vot’ leçon de gérographie !
– Mi connais por cœur, mamère !
– Alorsse ?
– La Loire : La Loire prend sa source heu, attends-mi-connais : la Louar prend sa souace heu au mont heu…
– Y fait déjà trois zheu ; vi connais pas ; allez apprend’ avant de gaingne l’oumelette !
Mame Martial ne sait ni lire ni écrire. Elle tient beaucoup à ce que ses enfants ne soient pas comme elle et son mari, jusse bons pou lave piquettes et gratte la pioche dans les

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