Portée disparue
212 pages
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Portée disparue , livre ebook

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Description

« La musique est morte ! » titrait une revue new-yorkaise en septembre 2001. Poursuivi par la justice, malheureux en amour, Angus profite des attentats pour disparaître, mais se condamne à une errance qui l’éloigne encore plus de lui-même et de celle qu’il aime. Quand il croit qu’il va retrouver sa Zoé, le destin l’attend au tournant. Réfugié dans une chambre parisienne, il revient sur son périple en écoutant puis en jetant ses disques, symbolisant ainsi à sa manière la fin de la culture. Faisant un peu de clarté en lui, il pourra cesser de fuir et affronter son destin. En toile de fond, la grande disparue, c’est la musique : l’harmonie, de plus en plus absente de nos sociétés. Elle reviendra après l’orage, portée par les pulsions vitales des tambours et par la subtilité des haïkus. En attendant, la légèreté survit dans la grâce éphémère de ces derniers.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 23 juin 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414088935
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-08891-1

© Edilivre, 2017
Dédicace

Aux victimes du terrorisme
« Toute maladie est un problème musical ; toute guérison est une solution musicale. » (Novalis)
« Sans hommes, pas de culture, évidemment ; mais également, et plus significativement, sans culture, pas d’hommes. » (Clifford Geertz, The Interpretation of Cultures )
« À tendre l’oreille aux bruits du monde, on comprendra où l’entraîne la folie des hommes, quelles espérances sont encore possibles, quelles renaissances sont déjà à l’œuvre. » (Jacques Attali, Bruits )
Portée disparue
 
L ES PORTES DE L’ASCENSEUR chuintèrent frileusement en se refermant, jusqu’à ce que leurs bourrelets en caoutchouc se collent l’un contre l’autre en un baiser indifférent, froid, juste avant le départ vers les étages. Un bref haut-le-cœur fit tressaillir Angus quand une légère secousse, presque imperceptible, indiqua l’instant du décollage vertical. Rien d’inhabituel, cela lui arrivait tous les matins, chaque fois qu’il lui fallait monter vers son poste de travail dans les bureaux d’une compagnie d’assurances installée au sud de Manhattan.
Le glissement feutré des portes coulissantes et la simple idée de s’envoler si haut le mettaient mal à l’aise – sauf lorsqu’il était accompagné, chose peu fréquente car arrivé depuis peu il ne connaissait pas grand-monde. Une sensation de vertige proche de la nausée s’insinuait en lui, qu’il se plaisait à nommer le mal de l’ascension transcendantale.
Cette appréhension le saisissait dans le lobby, à l’instant de presser le bouton d’appel. Elle revenait dans la cabine lorsqu’il fixait le cadran où les numéros s’allumaient les uns après les autres, défilant tantôt lentement tantôt très vite ; et elle s’accentuait au moment où les portes s’écartaient pour inviter les usagers à pénétrer à l’intérieur d’une boîte s’ouvrant et se refermant imperturbablement à longueur de journée entre chaque segment de translation verticale.
Seules les opérations de maintenance ou les pannes étaient à même d’octroyer un peu de repos forcé à ces cabines, car été comme hiver l’immense ruche bourdonnait des milliers d’employés chargés de faire fructifier le miel de la haute finance et le beurre de toute une gamme de services, avec toutefois un léger creux la nuit ou au cœur du mois d’août, quand la chaleur devient insupportable sur la Côte Est de l’empire. De fait la gigantesque machine, à l’instar de son imposante batterie d’ascenseurs, ne pouvait pratiquement pas s’arrêter pour souffler. La marche en avant des affaires ne le permet pas, la logique implacable du bizness l’interdit et la loi divine du profit est soigneusement codée dans les circuits neuronaux de tout un chacun.
Pour dissimuler son trouble lié à un zeste de claustrophobie et au désagrément d’avoir à passer ses journées dans des bureaux situés si loin de la terre ferme, ainsi qu’à des relents de paranoïa dû à la crainte d’être découvert, Angus avait pris l’habitude de tenir entre les mains quelque magazine pas trop encombrant. Il pouvait y plonger son nez et prendre un air attentif afin de s’abstraire de l’ambiance déplaisante de l’ascenseur. Aux divers étages où celui-ci faisait halte, des passagers étaient enfournés ou vomis : routine quotidienne des omnibus, tandis que les express fonçaient directement vers les « gares » aux 44 e et 78 e étages. C’est à ce dernier qu’il faisait escale pour prendre l’omnibus qui le menait au niveau où se trouvait son bureau.
Il n’appréciait guère les réunions obligées dans ce parallélépipède bondé d’adultes muets, paraissant doublement emmurés dans cet espace aux dimensions réduites et dans leur apparent vide mental, chacun adoptant un air neutre et prenant soin de ne pas fixer les autres dans les yeux. Un peu comme dans le métro, songeait-il : le reflet dans les vitres de la rame y complique sournoisement le jeu ambigu ou un tant soit peu pervers de certains regards faussement abrutis ; et le chaotique glissement horizontal faisant tomber les voyageurs les uns sur les autres n’arrange rien. Seuls quelques « sorry » étouffés ébauchent un semblant de communication humaine au sein d’une foule compacte et pressée où chaque électron n’est collé à l’électron voisin que pour le temps du trajet, après quoi il reprend inexorablement son autonomie et suit sa trajectoire invariable vers sa destination quotidienne sans plus se soucier de son entourage momentané.
Rares sont les fois où certains de ces électrons parviennent à évoluer de concert pour quelques instants, à rompre le silence en essayant de surmonter le fracas infernal de la rame lancée à toute allure dans le tunnel. L’avantage de l’ascenseur, se disait-il, c’est l’absence de ce bruit assourdissant, quoique cela ne rende pas la communication plus florissante, excepté de temps à autre quelque remarque spirituelle ou quelque échange inquiet à propos d’un événement marquant – les catastrophes aident à délier les langues. Une rencontre entre collègues peut également provoquer un enthousiasme affecté et donner lieu à des blagues qui détendent l’atmosphère en dissipant un embarras capable de métamorphoser les individus en statue de sel.
Du voyage horizontal dans un tube creusé sous terre au déplacement perpendiculaire enfermé à l’intérieur d’un cube glissant dans un conduit à la section carrée, abstraction faite du passage du vacarme au silence seule l’orientation spatiale change : de l’axe des abscisses à celui des ordonnées. Angus avait l’impression de passer d’un facteur Mister x à un facteur Mister y et de se retrouver transformé en un produit Mister lambda perdu dans la foule écrasante des trop nombreuses inconnues d’une quantité effarante d’équations.
Cette répulsion de tous les jours lui sembla, en ce beau matin de la onzième journée du mois de septembre, vraiment excessive, proche d’une angoisse aussi mystérieuse qu’inexplicable. Il l’attribua aux images de dévastation et de terreur qu’il avait vues la veille au soir à la télévision : un de ces films grand public ne lésinant pas sur les effets spéciaux, selon le même scénario mille fois rabâché de conquête de la planète par des extraterrestres possédant une technologie et une force de frappe destructrices mais curieusement incapables de leur accorder la victoire : il est exclu que les Terriens, et en premier lieu les Américains, perdent de telles guerres. Le sommeil le fuyant méthodiquement, il avait regardé le film jusqu’à la fin malgré les interminables spots publicitaires, interruptions mises à profit pour ingurgiter d’affreux sandwichs achetés au distributeur en sortant du bureau et vider des canettes de bière.
L’insomnie ne suffisant pas à expliquer un tel intérêt maladif pour un film aussi pitoyable, il y avait une autre raison – qui était double. D’une part, le jeu d’une actrice splendide dont il avait attendu jusqu’au bout quelque scène intéressante qui aurait honnêtement payé en retour sa patience mêlée d’ennui et d’énervement – sans compter la juste colère qu’il avait ressentie contre sa curiosité lubrique qui lui avait fait endurer tant d’inepties. Et d’autre part, une bande-son basée sur un groupe de percussions japonaises traduisant fort bien l’atmosphère de fin du monde d’un scénario apocalyptique mais aussi dans le fond, en même temps, les pulsions vitales du sang dans les artères, le rythme entraînant d’un cœur battant à tout rompre, les pulsations du renouveau, et il s’était dit qu’il faudrait absolument qu’il réécoute cette musique envoûtante et s’en procure des enregistrements.
Pour essayer de dominer un tant soit peu son anxiété dans l’ascenseur, il fixait niaisement son attention sur deux mots d’un article du magazine qu’il tenait entre les mains comme s’il lui était impossible d’avancer plus avant. Pourquoi dit-on « grand public » ? se répétait-il, comme hébété. Qu’est-ce que ce public a de grand, à part un certain manque ou un manque certain de culture ? Rien à voir avec un grand homme, qui n’est pas un homme grand, comme chacun sait. S’il n’y a que de la facilité, de la petitesse, de la médiocrité, pourquoi un tel adjectif – car c’est bien le grand public qui aime ces films sans intérêt, les airs à la mode, la culture facile à digérer, les stéréotypes ? Adjectif qui prétend également qualifier la musique, car après le mythe de la « vraie » musique au dix-neuvième siècle la « grande » musique est supposée être peu appréciée du « grand » public, qui lui préfère la petite, la légère, les « variétés » : la fausse sans doute… Pourquoi dit-on raisins « noirs », pourquoi noirs et pas rouges ? Vin rouge, vin noir ? La peau en est souvent très sombre, mais pas à dire, plus on broie du noir et plus on boit du rouge.
Ces réflexions aussi inaudibles qu’agaçantes ne firent qu’accroître son malaise. Ayant réussi à détacher son regard de la page couverte de signes devenus incompréhensibles, il lui parut en effet qu’il n’était pas le seul à trembler intérieurement. Ses yeux étaient tombés sur la nuque joliment dégagée de la jeune femme rousse devant lui et il la voyait frissonner sous l’effet d’on ne sait quel souffle mystérieux, pareil à ces brises imperceptibles qui rident soudain un plan d’eau jusque-là tranquille, semblable à un miroir parfaitement poli.
À sa gauche, presque collé contre l’épaule de la femme et contre sa main à lui, le journal que tenait un homme entre deux âges tremblait, mais il n’interrompait pas sa lecture pour autant. Un employé modèle, atteint de la maladie de Parkinson et digne de compassion ? À sa droite, un homme était si parfaitement immobile, figé, que c’est à peine si l’on aurait pu distinguer une vague étincelle dans son regard vid

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