Rendez-vous en juillet
122 pages
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Rendez-vous en juillet , livre ebook

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Description

« Bien que la fraîcheur commence à poindre, j'ôte ma chemise, la mets en boule et la porte à mon nez, les parfums de l'ange sont là, cachés dans les moindres recoins du tissu, entre chaque maille. Son visage me revient en détail dans l'instant comme une photo dans le bain du révélateur, surgissant du néant. Je ne saurais dire combien de temps je suis resté assis là sur ce ponton à renifler l'étoffe, à frissonner. La quintessence de ma vie se résume à la quête des restes de parfums d'une fille venue de nulle part et repartie je ne sais où, me laissant le cœur déshabillé. » Été 1969. Sur la route des vacances dans la belle auto de ses parents, Alain sort tout juste de la forêt de ses souvenirs d'enfance dont il se délecte. Il les ressasse avec bonheur comme un frein qui le retient et retarde le saut vers l'inconnu, le passage à sa vie de grand. À peine commence-t-il à entrevoir le chemin de l'adolescence qui se profile, qu'une rencontre vient chambouler sa quiétude. Au bord du précipice sentimental, Alain va devoir s'armer de volonté et de persévérance pour affronter sa première histoire d'amour et suivre les méandres que celle qui lui a accroché le cœur lui impose. Alors qu'il s'est jusqu'alors laissé porter par un vent d'insouciance, aura-t-il suffisamment de courage pour tout abandonner et partir à la recherche de son Arlésienne ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 06 juillet 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342053234
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Rendez-vous en juillet
Jean-Luc Josso
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Rendez-vous en juillet
 
 
 
À Charlotte, Anna, Tom, Arthur
 
 
 
En te levant le matin rappelle-toi combien précieux est le privilège de vivre, de respirer, d’être heureux.
Marc Aurèle.
 
 
 
 
 
 
La Chambord dévore la route de sa calandre chromée et de ses pneus à flancs blancs qui crissent dans les courbes. Notre périple prend un air de road trip à la Kerouac version kid été 69. La route est belle et dégagée, arrosée de soleil, des bribes de brume s’en élèvent par endroits et donnent au ruban d’asphalte une touche surnaturelle.
Un foulard vichy couvre élégamment les cheveux de ma mère et de temps à autre fait des vagues à cause du filet d’air du déflecteur. Ses lunettes aux montures en écaille remontent en pointes effilées de part et d’autre de son front. Elle a des airs de Simone Signoret. Mon père ? Rudolf Valentino, enfin genre… conduit concentré. Lunettes de soleil surdimensionnées, Française filtre au bec, cheveux brillantinés plaqués en arrière. Il tient à dix heures dix de ses gants de cuir noir le grand volant ivoire au milieu duquel un cercle entoure un V surmonté d’un 8. Il roule à l’oreille. Guette la moindre fausse note de l’orchestre mécanique caché sous le capot. Sa conduite est sportive. Il pousse les longs rapports de la boîte trois vitesses au volant de la Chambord. Mon père ne tarit pas de propos dithyrambiques quant à son automobile, sans toutefois en sous-estimer la fragilité, d’où cette écoute attentive.
Avachi sur la banquette arrière, je vois défiler les paysages à l’envers, comme dans les vieux films américains. J’ai un peu mal au cœur à cause du velours côtelé de la sellerie qui sent le neuf. L’oreille collée à la banquette, j’écoute la symphonie harmonieuse des bielles et des pistons du puissant moteur huit cylindres en V. Je tire la longue antenne du transistor pour écouter les tubes de l’été, tourne le bouton et essaye de positionner l’aiguille sur France Inter, RTL. Peine perdue, que des chuintements ! Impossible de capter la moindre note de musique.
« Alain, assieds-toi correctement !!! » m’ordonne ma mère, puis intuitive s’adresse à son mari et tourne légèrement la tête vers la gauche. « Tu ne roules pas un peu trop vite ? »
« Tu crois ? » dit mon Père. L’aiguille flirte avec les cent quarante…
« Merde, les motards » ajoute-t-il en jetant un œil dans le rétroviseur.
Je lance mon regard à travers la lunette arrière. Pas question de perdre une miette de la suite des événements. Quelques secondes plus tard mon père présente permis de conduire, carte grise, vignette à la maréchaussée qui d’un signe de main gantée, nous avait dirigés vers le bas-côté de la route.
Un des policiers fait le tour de l’auto, le second examine les papiers du véhicule et dit à mon Père :
« Belle voiture n’est-ce pas » ?
Celui-ci acquiesce de la tête et risque un « euh oui ». Il hésite entre fierté et méfiance.
« Y’en a sous le capot hein » surenchérit le motard.
Mon Père ose un autre « euh oui » timide, sans se faire trop d’illusions sur l’issue de l’affaire.
« Bien, allez-y pour cette fois, mais attention, sur ce tronçon la vitesse est limitée à 120 » !
Mon père tend un billet de cinq francs et dit au fonctionnaire : « Pour l’orphelinat de la police ».
Ce dernier rédige un reçu qu’il donne à mon paternel, lance un « merci pour eux ». D’un salut de la main les motards nous ouvrent la route. Ma mère est prise d’un fou rire nerveux qui semble énerver son mari. Il attend un « tu vois je te l’avais bien dit » qu’elle n’ose pas.
Nous reprenons la route des vacances.
En voiture, pour passer le temps, j’essaye, sans but précis, de compter les traits jaunes discontinus qui marquent le médian de la route. L’adolescence a ses raisons que la raison ignore. Afin de réviser ma géographie, je m’adonne aussi à un autre jeu qui plaît beaucoup à mes parents et qui consiste à identifier les départements sur les plaques minéralogiques des voitures que nous croisons. 40 Landes ! 38 Isère ! 75 Paris ! s’ensuit évidemment le fameux « Parisien tête de chien » dans un immense éclat de rire. Ma mère reprend « Parigot tête de veau », nous rions de plus belle.
Les questions les plus inattendues sortent de mon esprit adolescent et interrompent le silence feutré de l’auto. « Papa, comment fera-t-on quand tout le monde aura deux réfrigérateurs, deux téléviseurs, deux voitures, deux transistors, deux cuisinières et deux… ? Il n’y aura plus de travail » me répond-il.
La naïveté de mes quatorze ans rend sa réponse géniale. Je m’imagine donc que quand je serai grand j’aurai tout sans rien faire. NA ! Je sais, je suis atteint du syndrome de Peter Pan. Pas vraiment pressé de grandir, puisque je sais déjà qu’il y aura un prix à payer, une sorte de gabelle à chaque croisée de chemin pour goûter aux sels de la vie avec leur lot d’incertitude.
 
Dans le même temps, une métamorphose s’opère au plus profond de mon être. Une sorte de mue. La peau de mon enfance se détache par pans entiers comme un habit trop court, craquant aux entournures. J’ai du mal à définir mes contours. Cela peut paraître anachronique, mais je veux du même coup que le temps passe à la vitesse supérieure. Que le temps paraît lent quand on veut qu’il passe vite ! J’ai beau m’abreuver des vers de Jean de La Fontaine en ressassant le Lion et le rat… je dois, pendant cette parenthèse que m’offrent les vacances, ronger les mailles du filet de l’enfance dans lequel je me sens prisonnier. Impatience.
À cet âge ingrat, je ne sais pas encore ce que je vais bien pouvoir faire dans la grande vie. Cependant, je sais déjà ce que je ne veux pas faire. En tout cas, je compte bien ne pas m’inspirer des différents modèles que j’observe dans mon entourage – mais les braves gens n’aiment pas que… alors, j’en fais déjà qu’à ma tête. J’ai compris très tôt que mon cheminement ne fait pas l’unanimité. J’en prends mon parti, ayant toutefois remarqué que les adultes ne s’aiment guère que par intérêt, qu’ils sont hypocrites, et ne tiennent pas parole, qu’ils se critiquent les uns les autres dès qu’ils ont le dos tourné, qu’ils sont assez tristes, qu’ils ont souvent brisé mes rêves d’enfant pour avoir oublié qu’ils l’ont été eux-mêmes.
Après réflexion cependant, j’avais pensé devenir chercheur dans un laboratoire de recherche du bonheur pour trouver des formules qui rendraient les gens plus heureux. J’allais, au fil du temps, constater avec désenchantement et amertume que l’orientation hypothétique que j’avais évoquée s’avérerait irréalisable. Les gens étaient les gens, on ne pouvait les changer.
La voiture ronronne comme s’il y avait un gros tigre dans le moteur.
Nous arrivons à un carrefour. Passons devant un calvaire duquel monte une grande croix comme on en voit parfois en Bretagne, elle semble nous indiquer de tourner à gauche, ce que nous faisons. La départementale, contrairement à sa grande sœur nationale est bucolique, pittoresque. Les odeurs se font plus rustiques, la voiture ralentit à chaque sinuosité de la route, ce qui accentue l’acuité de mes sens. Des tableaux fugaces qui jalonnent la route, s’échappent des sons, des fragrances, des images. J’essaye de me concentrer sur les odeurs qui se frayent un chemin par la vitre entrouverte, les senteurs salines de varech du bord de mer se perdent au fur et à mesure que nous roulons. Elles cèdent la place à des nuances campagnardes délicieuses qui s’étirent comme un immense fil jusqu’à mes narines. La terre semble transpirer de ces odeurs de ferme, d’étable, d’herbe coupée. L’âcreté de la terre humide fraîchement labourée, la complexité et l’élégance féminine du parfum des fleurs sauvages se mêle au goudron qui commence à chauffer. Le tout offre un mélange olfactif surprenant. Les vaches relèvent la tête et de leurs gros yeux, globuleux, interrogatifs, traduisent leur étonnement. Les aboiements des chiens résonnent de loin en loin en écho jusqu’à disparaître, relayés par d’autres à l’infini, nous rappelant qu’ici c’est la campagne champêtre et qu’ils en sont les gardes. Des poules éclaboussent l’air de leurs plumes à notre passage.
Je lis onze heures trente à la pendule au tableau de bord. La faim commence à me tirailler.
« Si nous nous arrêtions pour pique-niquer » ? suggère ma mère.
J’ai quelquefois le sentiment assez désagréable que ma mère peut lire mes pensées ce qui, au regard de celles qu’on peut avoir à l’adolescence, me met fort mal à l’aise…
« Ce midi on déjeune au restaurant » dit joyeusement mon père.
Décidément les vacances commencent sous les meilleurs auspices.
Les virages rapprochés me ballottent de part et d’autre de la banquette. Nous apercevons au détour d’un cours d’eau coupant en deux les prés verts où quelques moutons s’abreuvent, l’entrée d’un village.
La place fleurie que nous contournons, avec sa superbe estivale, accroche giroflées, capucines aux croisées des maisons. J’ai envie de croquer la vie. La voiture se gare devant un café-hôtel-restaurant-épicerie-quincaillerie. Un de ces endroits où l’on trouve tout, de la pile électrique Wonder, au boulon de 15, en passant par les sucettes Pierrot Gourmand, les tapettes à souris et les tranches de jambon blanc avec de la couenne grasse autour. Une plaque en fer-blanc vend l’apéritif Clacquesin et nous guide vers l’entrée surmontée d’une ardoise sur laquelle est écrit à la craie :
« Ici on peut apporter son manger » !

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