7 nains dans la neige
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Description

C’est l’histoire des 7 nains telle qu’elle s’est passée.
Qu’ont ils fait ? Ou sont ils ? Pourquoi sont ils partis de la forêt ?
qu’est devenue leur boniche ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 11 août 2016
Nombre de lectures 2
EAN13 9791029005527
Langue Français

Extrait

7 nains dans la neige
Luc Marin
7 nains dans la neige
Les Éditivns Chapitre.cvm 123, bvuleVard de Grenelle 75015 Paris
Merci Denis R.
© Les Éditions Chapitre.com, 2016 ISBN : 979-10-290-0552-7
À Ennio, Elliot et Elsie
Chapitre 1
Il était un dimanche de juillet, Marina, notre infirmière, avait décidé de quitter les lieux définitivement. Il n’y a plus d’espoir m’avait-t-elle confié. Son vieillissement prématuré et sa simplicité d’esprit ont eu raison de lui. Je retournai donc dans la chambre d’enfant où il était en train de s’assoupir. Je le regardai là, avec sa grosse tête et son petit corps, encore souriant malgré la douleur. Ça faisait déjà 15 ans que je l’avais recueilli, habillé décemment, appris les quelques principes afin qu’il se tienne bien en société. Sorti de sa pelle et de sa pioche, il ne connaissait pas grand-chose à l’époque. Je l’avais rencontré à une expo sur Odilon Redon. Sa bonne mine m’avait égayé et son enthousiasme sur les peintures qu’il voyait là m’avait alors intrigué. En ce temps-là, j’aimais déjà bien l’art et traînais souvent dans les quelques galeries qui organisaient des vernissages pour tout public ou des musées qui laissaient leurs portes ouvertes à des heures tardives. J’y découvrais des installations, des peintures, des traces, des créations surprenantes et quelques fois des œuvres qui n’en étaient pas. Dans ce genre de réunion, les gens autour me soûlaient avec leurs critiques et leurs comportements, leurs manies de toujours vouloir donner leur avis avant même qu’on le leur demande. Cette lourde obligation de se fendre d’un éternelle : « trézheureuxd’avoirfaitvotreconnaissance » alors qu’il n’y avait eu aucun désir, juste de l’aversion toujours accompagnée de ce retour asocial gnangnan : « maismoidemême ». Enfin, il me parut normal et reposant pour une fois de rester à ses côtés. Très vite dans la soirée je compris qu’il était seul à Paris et ne savait pas trop où loger. Pourtant malgré sa dégaine démodée, il n’avait pas l’air d’un vagabond. Depuis ce jour-là nous ne nous sommes pour ainsi dire jamais plus quitté. Chrétien bien que non-pratiquant, je m’étais fait un point d’honneur à aider ce prochain, son faciès de grand enfant mal formé m’avait ému. Lui évitant pas mal de galères je crois, je l’avais pris sous mon aile malgré mes faibles revenus de l’époque. Il me l’avait bien rendu en faisant de moi quelques mois plus tard l’un des plus riches diamantaires de la place Georges V. Aussi, quand il me demanda ce jour-là de reformer l’équipe comme avant la terrible disparition, je ne pus que satisfaire sa volonté. Vouloir est une chose, mais par où commencer ? Le deuxième à retrouver allait être le plus facile, il vivait dans le sud de la France et j’espérais bien qu’il allait me mener aux autres. Quand il l’avait vu à la TV, il en était devenu que plus fou, faisant des bonds devant le téléviseur, embrassant l’écran. Déjà qu’il trouvait cette boîte magique, depuis qu’il y avait revu son petit compagnon, il faisait le pied de grue devant le poste chaque jour que son émission hebdomadaire arrivait. Nous avions tenté de le rencontrer, nous avions été sur les plateaux de tournage, nous nous étions même inscrit au jeu afin d’y participer, mais rien n’y avait fait, il ne voulait plus nous voir. Une fois encore au hasard d’une promotion organisée par la chaîne pour relancer le Fort et son audience. Une fois donc nous nous étions retrouvés nez à nez, ou plutôt ils s’étaient retrouvés nez à nez. Mal accueilli, malgré les enfants et téléspectateurs autour de lui, il nous avait rembarré promptement, sans même vouloir écouter ce que mon petit compagnon avait à lui dire. Cette fois ci ça allait être diffèrent. Tout d’abord j’y allais seul donc moins facilement reconnaissable, de plus en lui annonçant qu’il était mourant, “passe-temps” comme il se faisait appeler, allait bien devoir faire un effort. Renseignements pris auprès de la chaîne, je me rendis directement chez lui. Il habitait un endroit qui ne laissait rien entrevoir de sa condition passée, pas même un souvenir pointé dans le jardin. Seule une brouette pleine de mauvaises herbes patientait dans un coin. Au vu de sa pelouse tirée à quatre épingles, on voyait bien qu’il y consacrait du temps. Il faut dire qu’après de nombreuses années de services au sein de l’émission, son corps fatigué et son âge avancé avaient eu raison de sa place. Un jeune l’avait donc remplacé sans que vraiment quelqu’un s’en aperçoive. Enfin presque puisque dès le premier jour du changement, mon vieil ami m’en avait fait la remarque presque en larmes. Il est vrai aussi que, depuis plusieurs années, ce jeu du vendredi lui amenait son compagnon sous les yeux.
La maison était donc là, posée proprement sur le gazon, entourée d’une palissade en bois clair. Sur une plaque émaillée, clouée au portail, on pouvait lire ‘’Gustave Fopre’’ en grosses lettres rondes et rouges. Ils avaient pris comme facile le fait d’écrire en verlan ces surnoms qui les caractérisaient tant. Ne trouvant la sonnette, je décidai d’entrer dans le jardin en prenant bien soin de ne pas piétiner la verdure. Le chemin serpentait quelque peu avant d’arriver à la porte. La maison qui paraissait loin dans le fond était en fait, beaucoup plus proche, mais de taille inférieure à la normale. Tout ici avait l’air réduit. Si en règle générale les plafonds sont à 2,80 m, ils atteignaient péniblement les 2,30. Ma main, surdimensionnée à la poignée, s’abattit lourdement sur la porte. Le rideau de la fenêtre de côté bougea. Je frappai à nouveau. Je ne voulais surtout pas lui laisser le temps de réfléchir à une parade possible, mais préférais jouer sur son énervement pour qu’une fois irrité il vienne m’affronter sur le pas de sa porte. Ce qu’il fit. Mon ami me l’avait confié plusieurs fois auparavant ; c’est un gars très gentil et très serviable, m’avait il dit, mais il s’emporte vite et finit par regretter ses gestes impulsifs. Il ouvrit donc la porte avec empressement, se préparant à vociférer à pleine gorge. Il ne me reconnaissait pas, pourtant aucun mot ne sortait de sa bouche. Le fait de ne pas avoir reculé devant son entrée en scène l’avait diablement surpris. – Nous devons parler. Lui lançai-je. Il me regardait de bas en haut ou, devrais-je dire, de haut en haut de part sa petite taille. Il n’était pas plus grand que notre ami commun, paraissait plus vieux, ou était-ce la moustache grise qui coulait le long de sa lèvre qui le rendait ainsi. Semblait à coup sûr plus sérieux mais ça, ce n’était pas difficile. Sans un mot, il s’écarta du milieu me laissant le champ libre pour entrer chez lui. Il m’emboîta le pas. Une fois à l’intérieur, un rapide couloir nous jetait directement dans un salon où la décoration plutôt sobre ne laissait entrevoir aucun style clairement défini. C’était un mélange d’ancien et de très ancien. Il ne devait pas être marié, peut-être l’avait il était, mais l’ambiance de la pièce donnait à penser le contraire tant tout semblait dessiné pour un célibataire. Les murs tapissés de bandes jaunes et marron ornées de roses rouges répétées comme motif n’accueillaient que très peu de cadres. Pas une photo de famille, juste sur celui de droite un paysage paisible du Canada, ou était-ce d’Amérique ? Sur celui de gauche, une vue des tours de Kuala Lumpur d’un format plus grand qu’un A3. Les célèbres deux tours reliées par leur fameux pont suspendu étaient prises de nuit et illuminaient la photo comme deux grandes bougies d’un gâteau d’anniversaire posées sur un parterre d’étincelles. L’image qui lui faisait face représentait tout simplement l’ambiance opposée. La vue panoramique était à elle seule une bouffée d’oxygène, dans laquelle on avait envie de plonger. On y voyait, au dernier plan, un mont enneigé dominant par sa puissance une verdure qui s’étalait presque au-delà du cadre. De grands arbres roux au premier plan coloraient un automne déjà là. L’immensité de cette campagne reposante se mariait aux couleurs jaunes d’ocre de la pièce. A côté, dans un cadre plus petit, on pouvait y voir Gustave, bras dessus bras dessous avec l’animateur de l’émission qui, pour l’occasion, avait mis genoux à terre. Sans un mot, il me désigna une chaise derrière la table à manger. Je tirai donc vers moi le dossier pour y prendre place et commençai ma tirade que j’avais mûrie durant les deux heures de trajet. – Richard est mourant. Lançai-je tout de go. J’avais espéré une quelconque réaction, mais la sienne me surprit. – Je sais, dit-il. Comment pouvait-il savoir, voilà des années qu’il n’avait eu aucun contact ; si Richard lui avait parlé, je l’aurais forcément su, il ne peut garder aucun secret, bien au contraire, il est connu pour les raconter à qui veut les entendre ou pas. Ils ne pouvaient pas non plus s’être écrit, mon « colocataire » était fâché d’avec l’orthographe, quant à la lecture, il en avait la rapidité d’un enfant de CP. Je marquai donc un temps pour encaisser sa réplique, me gardant bien de lui demander comment il l’avait appris, je continuai : – Il voudrait revoir tout le monde une dernière fois. – Il n’est pas encore à l’agonie, me rassura-t-il, il a encore de bons jours devant lui, mais c’est
vrai que nous ne sommes pas éternels et notre parcours touche à sa fin. Il avait l’air rassuré et se leva pour aller dans la cuisine qu’un petit rideau en lanières de plastique de différentes couleurs séparait du salon. À travers ces traits colorés, je le voyais ouvrir un placard pour en sortir deux verres. Au retour, il attrapa une bouteille de vin et posa le tout entre nous. J’avais pensé plus d’une fois, depuis que la décision d’aller le chercher avait été prise, que la discussion allait être brève, peut-être mouvementée, mais la tournure que prenait l’événement était contre toute attente plutôt agréable. Dans leur façon de faire, prendre le temps de boire un coup ensemble voulait dire beaucoup. Du temps où ils habitaient ensemble, Richard m’avait fait comprendre qu’ils faisaient suivant la saison, des liqueurs de prune ou de poire avec un alambic maison. Il me l’avait dessiné une fois et, outre la taille gigantesque de l’appareil, l’engin devait être une pièce de chaudronnerie de toute beauté. Les tuyaux partaient en tout sens dans la pièce, se tordaient arrivés aux coins ou au plafond pour repartir dans l’autre sens, s’enroulaient se tirebouchonnaient pour finir en un embout très fin d’où s’échappait en goutte à goutte le fameux élixir. Ils avaient entre eux le sens de la fête et avec les autres les joies du partage. Unis comme ils étaient, leur force de travail n’en était que décuplée et leur enthousiasme, généré par le nombre, était envié dans leur région. Bon nombre de voisins passaient les voir pour demander conseil, coup de main ou outils. Tous étaient accueillis chaleureusement avec un verre de l’amitié, beaucoup repartaient en empruntant des trajectoires sinueuses et diablement plus longues. Cette ambiance de convivialité décrite tant bien que mal par Richard paraissait si idyllique qu’elle aurait pu sortir d’un conte de fée, mais ceci était bien avant la tragédie. – C’est un vin du Sud-Ouest, un Pessac Léognan pour être plus précis, se vanta mon hôte, Il est plus qu’agréable, tu vas m’en dire des nouvelles. Le verre rempli généreusement, je m’exécutai malgré l’heure encore jeune du matin où habituellement un café me suffisait. En aucun cas je n’allai lui refuser ce plaisir surtout que la boisson était effectivement d’une qualité remarquable. Je me permis donc de lui ressortir un paragraphe complet que j’avais appris lors de mon unique week-end de dégustation dans le Bordelais, où des mots comme « robe », « en bouche », « tanin », où encore « robuste », « sombre » et autres adjectifs suffisaient à la démonstration de mon savoir œnologique. Frope appréciait les érudits, en étant un lui-même, il aurait pu facilement être célèbre et fameux en tant qu’universitaire dans les différentes matières qu’il maîtrisait parfaitement. Au lieu de cela, sa taille et son apparence romanesque avaient été beaucoup plus exploitées que son intellect. – C’est un Château d’Eyran, ce n’est plus un vin de table, depuis deux ans, c’est devenu un joyau à apprécier seul. Il faisait tourner le verre au-dessus de sa tête laissant le soleil fendre le breuvage pour en découper des couleurs allant d’un rouge cinabre à un marron rosé qu’il se dépêchait de commenter. Je le laissai apprécier le moment. Nous avions passé une bonne partie de la matinée, là, lui à se souvenir des différentes anecdotes qu’il avait vécues durant près de cinq ans d’émission. Certaines étaient vraiment croustillantes et il n’avait pas hésité à les coucher dans un recueil qu’il pensait un jour publier. Il m’avança ledit bouquin dont l’épaisseur n’avait rien à envier au bottin de l’île de France, j’en feuilletai le contenu tandis qu’inlassable, il continuait de plus belle son récit. Il ne devait pas avoir parlé à quelqu’un depuis longtemps, sa joie d’échanger, ou plutôt de donner, faisait plaisir à voir. Au détour d’un silence pendant lequel il en profita pour replonger dans son verre, je relu à haute voix un passage sur une page ouverte au hasard. Il s’était levé et, m’entraînant avec lui vers un bureau, je découvris une fois dans la pièce, une flopée de cahiers petits et grands. Livrets et autres carnets s’empilaient sur des étagères et remplissaient les parois du sol au plafond. Seule, dans le mur de façade, une fenêtre brillait du soleil qui la traversait. Entassés dans tous les sens, certains servaient par la même occasion de cale soutenant une nouvelle planche supportant encore d’autres écrits. Tout était enchevêtré et aucun n’était vraiment accessible sans risquer une avalanche provoquant l’asphyxie du plus téméraire des alpinistes. Certains avaient des titres, d’autres des dates, d’autres encore, de tranches trop fines, comportaient uniquement un carré de couleur. Il y avait des séries de même taille, mais d’épaisseurs différentes, une dizaine avait la même couverture bleue, d’autres beaucoup plus petits paraissaient plus précieux, le tout donnait à la
pièce une odeur âpre de papier encré. – Comment faites-vous pour les lire ? Lui demandai-je – Pas besoin de les relire, je sais ce qu’ils contiennent. – Tout y est retranscrit ? Continuai-je – Tout… tout ou presque… lança-t-il. Son œil noir devint plus mauvais alors qu’il me repoussait vers le salon. – Vous ne cherchez rien en particulier…? Je savais que j’avais été trop loin, sa bonne humeur et son sens de l’hospitalité avaient été fortement émaillés. Son allure, auparavant bon enfant, avait laissé place à une forte présence aussi pesante qu’agressive. Il restait là, devant moi, attendant peut-être un soubresaut de ma part pour m’expulser de chez lui. Sans perdre la face, je lui souris et envoyai un – On y va ? L’invitant au calme et à la compromission. – Oui, voilà, allons-y !… Laissez-moi le temps de prendre quelques affaires. Si je comprends bien vos intentions, nous allons passer pas mal de temps sur les routes. Il avait recommencé à me vouvoyer. J’étais à l’extérieur, profitant des rayons encore chauds de ce mois de juillet quand il sortit de sa maison. Il traînait derrière lui une énorme valise rouge à pois verts tout droit sortie de chez Bouglione. Avec cet engin d’un mètre cube, nous n’allions pas passer inaperçus dans les transports en commun… Il se retourna, ferma sa porte, de sa main libre, enfonça dans la serrure une lourde clé de près de douze centimètres, l’y fit tourner trois fois, souleva le paillasson et y coucha dessous ledit sésame. – Vous n’avez pas peur que quelqu’un, vous ayant vu, rentre chez vous ? M’inquiétai-je. – Non ? Pourquoi ? De toute manière, je ne vais pas la garder sur moi, c’est un vrai haltère et je n’ai pas de poche assez grande, m’expliqua-t-il. Son humeur était toujours acerbe, mais j’espérai bien le faire changer en cours de route. Nous nous dirigeâmes en taxi vers l’aéroport où un avion devait nous attendre pour nous remonter sur Paris. Assis en première classe, il faisait balancer ses jambes à la cadence de la musique d’ambiance que débitaient les hauts parleurs au-dessus de nos têtes. Il ne parlait toujours pas beaucoup, se contentant du strict minimum quand nous avions acheté les billets et pris la petite collation au buffet. Entre ma mauvaise remarque du matin et la demi-bouteille de bordeaux qu’il avait bu machinalement, il préférait se recomposer, favorisant à l’animation d’une discussion la tranquillité d’un profès au silence religieux. Pourtant, j’avais bien l’intention de mettre à profit l’heure de vol pour avancer dans mon enquête. Richard m’avait tant bien que mal expliqué qu’il devait être au courant de l’endroit où se trouvaient les autres. Je sortis de la poche du fauteuil de devant un magazine de la compagnie aérienne et l’ouvris à la rubrique atlas. – Je suppose qu’ils ne sont pas tous en France, lui demandai-je. – J’espère que vous avez les moyens de vos ambitions, me rétorqua-t-il. Nous allons voyager beaucoup durant les quelques semaines qui viennent. Je le rassurai : – Ne vous tracassez pas pour les frais à venir, je peux parer aux éventualités ! Suivant la tournure des événements et de l’ambiance que vous voudrez bien y mettre, je peux pousser jusqu’à faire cette tournée en première. J’avais remarqué, malgré sa mine revêche, qu’il avait été très impressionné par le luxe de ce carré VIP qu’il prenait pour la première fois. Il se détendit alors, ayant de plus en plus de mal à cacher sa joie. Son front s’ouvrit peu à peu et sa bouche pointue laissa place à un sourire à peine voilé. Comme bon nombre de personnes découvrant l’appareillage de ses sièges haut de gamme confortables, il se mit à essayer les boutons de commande. Je le laissai faire me rappelant la toute première fois où j’avais pu me permettre un tel «standing». Jambes allongées, tête couchée, tête droite, jambes pliées, pieds tendus, dos cambré, pas une des positions confortables ou non du fauteuil ne fut oubliée. L’hôtesse, à l’affût de ses moindres désirs, allait et venait avec champagne, viennoiseries, liqueurs et autres grands vins. Nous n’avions pas encore décollé que Gustave avait déjà bien rentabilisé son billet « première ».
L’avion se souleva, arraché par la puissance des moteurs. Collés à nos sièges, le visage tourné vers le hublot, nous regardions disparaître la ville qui commençait à éclairer ses rues. Une fois la pression retombée quelque peu, il allait recommencer son cirque avec son trône, quand je lui remontrai les planisphères de mon magazine ouvert. – Où sont-ils ? Lui demandai-je. Il se tourna dans ma direction pour prendre connaissance de la carte. De son gros doigt il pointa Saint-Pétersbourg, Kuala Lumpur, Singapour, le Canada, les USA. Après avoir entouré plus précisément les villes d’un coup de crayon, je me mis à tousser haut et fort pour masquer le bruit du papier déchiré que j’arrachai au bouquin avant de le plier et de le mettre dans ma poche. – Il faut m’en dire plus, insistai-je. Comment être sûr qu’ils y sont encore, tu es resté en contact avec eux ? – Ils sont bien tous là où je vous ai dit, ils n’en ont pas bougé. Me répondit-il d’une voix rassérénée. Nous n’aimons pas le mouvement, la routine, que bien des hommes inquiètent et méprisent, nous rassure. Pensez que cela faisait plus de vingt ans que nous faisions le même travail avant la rencontre qui a tout changé. Vingt ans que nous allions comme un seul homme pousser nos brouettes, marteler les murs et plafonds avec nos pioches, sans jamais remettre cette vie en cause, sans jamais se poser de questions, sans penser qu’autre chose était possible. L’hôtesse s’était penchée sur moi avec un verre d’eau fraîche en réponse à ma toux de tout à l’heure. Ne voulant m’expliquer, je l’en remerciai en attrapant le cristal qu’elle me tendait. – Je comprends, acquiesçai-je, mais maintenant que vous connaissez la vraie vie, que vous êtes immergés dans le mouvement réel, peut-être que des envies sont nées ? – Non, rassurez-vous, c’est là qu’ils devaient aller, c’est là qu’ils sont. Durant le repas frugal qui suivit, Gustave m’expliqua une à une les décisions prises en commun et les actes qui en suivirent. Après l’événement, un tour de table rapide avait donc été fait. En parti responsable du groupe, il avait décidé de les éparpiller autour du globe. Comme aucun n’avait voyagé auparavant et n’avait donc pas d’a priori sur telle ou telle destination, ils allaient le soir même dans l’aéroport international de la grande ville la plus proche prendre en suivant les premiers vols qui s’affichaient au panneau des départs. Lui, encore en charge de Richard, partait en France, plutôt Paris, mais pouvait se permettre une position plus au sud puisque l’avion passait par Toulouse avant d’atterrir dans la capitale. Le sort avait désigné pour Bertrand, Saint-Pétersbourg, Joachim, Kuala Lumpur, Louis, Singapour, Robert à Montréal et enfin Jean à New York. La seule correspondance qu’ils s’autorisaient était un bref courrier envoyé dans une boîte aux lettres sur Paris, indiquant tout mouvement de leur part s’ils étaient confrontés à un gros souci. Il est vrai que cela paraissait déjà très dangereux, mais ils avaient eu besoin de ne pas se savoir perdus les uns des autres. Il faut dire que c’était leur première séparation depuis qu’ils étaient ensemble. Depuis toujours. Il connaissait donc les positions de chacun, savait très exactement où ils en étaient. Bertrand s’appelait maintenant Bertrand Chegrain, toujours égal à lui-même, il avait refusé tout contact avec la société dite normale et avait intégré un espèce de squat dans la banlieue de Saint-Pétersbourg. Il y vivait avec une troupe de gens du spectacle, faisant quelques représentations lors de fêtes dans différentes villes, vivant tant bien que mal de leurs maigres recettes. Certaines fois, ils vendaient de petits jouets, modules ou marionnettes qu’il construisait lui-même à partir d’objets recyclés. Bertrand était vraiment très doué pour ces petites choses. Gustave ne savait pas vraiment quel rôle il avait dans le spectacle, mais il était sûr qu’avec sa silhouette il pouvait être intégré facilement à n’importe quelle scène, de plus il était physiquement le plus fort d’entre eux. Joachim Meurdor à Kuala Lumpur, avait trouvé une place de gardien de nuit dans un hôtel non loin des tours Pétronas. Je compris alors le pourquoi de la photo dans le salon de Gustave. Le poster du paysage de montagne devait donc être en souvenir de Robert, à moins que ce ne soit Jean. Joachim, à la surprise de tous, servait donc à la sécurité d’un hôtel. Connaissant son problème de narcolepsie, son poste paraissait périlleux. Comment avait-il été engagé ? Nous le saurions le jour de notre rencontre car Gustave n’avait pas reçu plus amples explications.
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