Catégorie humaine
80 pages
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Catégorie humaine , livre ebook

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Description

Au casting de "Catégorie humaine", six individus : une mère de famille, un CRS, une vagabonde, un cadre financier, un entrepreneur et une jeune fille de banlieue. Autant de portraits en forme d'instantanés, saisissants de vérité, construits en dialogues intérieurs et qui donnent chair à des antihéros emblématiques d'une société qui normalise désespoir, exclusion et autres travers de l'humanité.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 27 septembre 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342011661
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0041€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Catégorie humaine
Julien Pouille
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Catégorie humaine
 
 
 
tHierry, merci de ton amitié.
 
 
 
 
Ce recueil est une œuvre de pure fiction et d’invention. Toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé, est fortuite et indépendante de la volonté de l’auteur.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Catégorie humaine
 
 
 
 
Une vie à points
 
 
 
Tu te lèves tôt ce matin. Tu lèves tes gosses aussi. Tu as, la veille, préparé le petit-déjeuner. Alors ce matin, comme tous les autres matins, tu t’assures simplement qu’ils sont bien réveillés.
 
Comment pourrait-il en être autrement dans un espace aussi exigu, résonnant de tous vos gestes ?
 
Tu les quittes quand ils ont porté le bol de chocolat à leurs lèvres et que le plus grand t’assure qu’ils ne seront pas en retard, ce que tu t’efforces de croire chaque jour.
 
Tu entames alors le trajet sans réfléchir, comme un pantin habitué aux gestes du marionnettiste, guidé, pantelant et surtout, ficelé. Voilà, le chrono s’enclenche à présent. Le bus de 6 h 33 d’abord, arrivée 6 h 47. Temps de marche, 3 minutes, juste assez pour le RER de 6 h 52. 2 minutes de marge. Puis la capitale, 7 h 27. Capitale, évidemment, il faut le dire vite, sa banlieue crasse plutôt, celle plantée de géants de béton armé, de tours grises et de trottoirs sur lesquels des bulles de bitume noires éclatent en plein été. Temps de marche depuis la gare RER jusqu’à l’entrepôt, environ 18 minutes. Tu as le temps de passer un coup de fil, le même tous les matins.
— Vous êtes à l’arrêt de bus ?
Silence.
— … Bon, c’est bien. À plus tard alors, je vous embrasse.
Tu badges à 7 h 54 parfois 7 h 59, cela dépend de qui tu croises sur le parking. Voilà, fin du chrono.
 
Des fois, sur le chemin, tu fais un bilan. Pas un bilan général, non, un bilan appliqué et mathématique, un exercice de caisse, de recettes et de dépenses. Tes calculs sont simples, le résultat élémentaire : si le solde est positif alors ton existence vaut le coup. Si le solde est négatif à quoi bon combattre et exister.
La question de l’être ou le néant s’est posée à des générations d’hommes et toi, petite femme, tu la travailles au corps chaque matin alors que ton ventre durci gargouille sans raison, un jour trop vide, un jour trop plein. Ton instinct n’est plus qu’une corde vrillée dont chaque filament a déjà commencé à se déchirer dans une douleur qui t’occupe l’esprit avec tant d’application que, du manque de tout ou de l’angoisse de rien, tu ne sais plus de quoi tu es remplie.
Tu n’es pas philosophe au point de parvenir à relâcher tes tripes, les délier, par la simple faculté de l’esprit. Tu n’es pas non plus comptable de métier, alors, quand tu traces un trait au bas de ton équation mentale, tu ne sais plus trop quoi penser de certains épisodes de ta vie, de ce moment de transit général qui ne s’achève pas de continuer et délivre une somme aux contours flous et sombres. Ce que tu as sans faute compris, c’est que l’enfer, celui avec un petit « e », celui bien réel qui s’incarne dans un quotidien, prend parfois la forme d’un débit-crédit bancal.
 
La solitude dans tout ça ? Ce n’est qu’un facteur d’accélération du vide.
 
Ce que tu ressens, tu ne peux le partager avec quiconque. Encore moins l’expliquer avec des mots. Les mots, c’est atroce tant leur incapacité à désigner, dire et expliquer est faible, vide de toute substance. Atroce aussi de ne pouvoir dire de quoi tu souffres, de ne pouvoir nommer ce qui te ronge en creux et de te sentir aussi honteuse comme ça, sans raison. Comme un objet répugnant et non-désiré qui de lui-même se soustrait au monde, s’efface.
Restent ces opérations de tête, ces calculs que tu élabores dans l’espoir de trouver une réponse, et tu n’as pas peur d’ajouter, dans l’espoir invalidé de trouver un sens à ta vie bousillée, sans chance, sans fenêtre sur un ailleurs plus complet, plus plein ou chaque anfractuosité aurait cessé d’être ce ravin aux lèvres écorchées.
 
Avoir des enfants : + 10 points car il faut trouver que la vie est un grand bien pour en appeler d’autres à elle. Non ?
 
Avoir un travail : + 3 points car la vie, c’est aussi un moteur qui tourne à la sueur, à la peine donnée et à celle rendue. Le tien de moteur a pris des tours au compteur plus rapidement que d’autres. Tu sais dégager un salaire comme on s’accroche à une ligne de vie, comme on taille un chemin dans une broussaille qui croît plus vite que tu ne te déplaces.
 
Voir ses enfants trois heures par jour dans l’obscurité du matin ou celle du soir : - 5 points car sentir qu’ils décrochent scolairement, que la télé te surclasse en temps de présence, que l’école, la rue, cette cité, les font grandir sans toi et qu’ils poussent tordus, comme trois arbres plantés en plein vent, pas le vent doux, non la grosse rafale, celle qui déchaume, envoie valser loin et laisse le paysage rasé. L’obscurité, c’est la couleur que vous partagez tous les trois. Tu aimerais un peu plus de blancs, de verts et de jaunes, penses-tu.
 
Avoir un grand écran plat : + 0.5points. L’écran, ça occupe le temps, démonte la vacance de l’esprit, la tienne et celle des mômes. Ça confond le silence, l’immobilité et cette solitude asphyxiante à laquelle tous êtes confinés. Mais l’anesthésie ne dure pas, du moins ne dure que le temps d’une pub. Tu hésites : peut-être que l’équation ici est plus neutre qu’elle n’y paraît.
 
Être veuve : - 6 points. Vivre avec le cœur en berne, le souvenir en écharpe et le manque aux lèvres, c’est amochant. Ça requiert un tonneau d’espoir qui se vide et qu’il faut chaque jour remplir.
 
Être en bonne santé : + 7 points car moins de malheur, c’est moins multiplié par moins, donc plus , te souviens-tu.
 
Plus de quoi ?
 
De bonheur ?
 
Peut-être.
 
Plus, c’est déjà au-dessus de rien, du moins normalement.
 
Rester à la maison pour les vacances : - 3 points. Les vacances c’est plus de temps pour les mêmes moyens, autant dire plus de moins, ce qui te fait tendre vers rien. Ta marge de liberté est mince. Pendant ce temps-miroir où ton nombril grandit, elle devient pire qu’un cuir élimé.
 
Et puis… et puis il y a les combinaisons qui s’annulent, les points qui s’entrechoquent. Collisions, destructions, chevauchement parfois.
Avoir des enfants et être veuve : les points se potentialisent entre eux, tu laisses tomber car l’équation a trop d’inconnues, laisse entrevoir un vide encore plus grand, la zone des possibles est étroite.
 
Vivre dans 45 m 2 à quatre, ça c’est facile : - 4 points pour la proximité qui vous amène tous les quatre à vous marcher dessus, + 1 point pour le ménage en moins.
 
Ne plus avoir une thune aux alentours du 10 de chaque mois : - 3 points pour les frustrations et l’incapacité à être ou plutôt avoir comme tout le monde, + 4 points pour ne pas être comme tout le monde et greffer l’envie à tes gosses de ne pas finir comme toi tout en espérant ne pas les transformer en bêtes avides et sans maître.
 
Prendre le RER, le métro, les bus : + 3 points pour l’écologie, - 4 points pour le sommeil en moins, l’agressivité de la foule aux heures de pointe en plus. Il n’y a que les riches pour aimer la ville et sa banlieue. Le troupeau, les mouvements de masse, la promiscuité, celle de la sueur et des odeurs intimes, celle des éructations animales que chacun dissimule dans la masse, celle qui séquestre un ensemble infini dans un champ fini, un métro, un bus, tout cela qui en voudrait vraiment  ?
Quant à l’écologie, tu n’es pas sûre d’y avoir droit, ton biotope, ton milieu réservé, ton cycle de vie, a de quoi envier celui d’oiseaux ou mêmes d’insectes protégés.
 
Enfin, il y a la nostalgie, ce désir d’ailleurs-avant, cette incomplétude inexpressible qui s’invite en humeurs noires : + 6 points pour la joie du retour vers ce qui était, cette chaleur du passé qui continue parfois de s’infiltrer comme un rayon de soleil froissé à travers des rideaux déchirés. - 5 points pour l’irréversibilité qu’elle expose au grand jour et l’inertie qu’elle colle à ton corps devenu incapable de brûler, sinon de se réchauffer autrement.
 
Et puis il y a tout ce qui échappe au calcul exact, ce qui sème l’ambiguïté, le doute et enfin le paradoxe : la merde, la galère et son brouillard envahissant que les rires, les jeux du soir autour de la table, en famille, parviennent parfois à engloutir, mais pas toujours, plus vraiment même ces derniers jours.
 
Le sentiment d’exister pour d’autres ne s’échange pas contre le sentiment que personne n’existe plus pour soi.
Le sentiment d’aimer ne se neutralise pas contre celui de donner et ne pas recevoir, de ne pas avoir le droit de demander...

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