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Description
Informations
Publié par | Éditions Les Lettres Mouchetées |
Date de parution | 29 mars 2017 |
Nombre de lectures | 9 |
EAN13 | 9791095999126 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0020€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait

É ditions Les Lettres Mouchet é es - septembre 2016
Collection MBONGI
ISBN : 979-10-95999-12-6
Les Lettres Mouchet é es
91, rue Germain Bikouma
Pointe Noire – Congo
ed.lettresmouchetees@gmail.com
llustration de la couverture : Guillaume Makani
Alphonse Chardin N'KALA
Ce foutoir est pourtant
mon pays
Les Lettres Mouchetées
Du même auteur :
El é gie Mayombe, Compassion – 4 mars 2012 (anthologie de po é sie), é ditions LMI – Pointe-Noire – Congo - 2015
Le cri int é rieur , (po é sie) é ditions Souvenirs, Porto Novo (B é nin) - 2013
Participation à Pour É dith – (po é sie) hommage à É dith Lucie Bongo Ondimba - É ditions l ’ Harmattan – Brazzaville – Congo -
Participation à Nouvelles voix de la po é sie congolaise de Bienvenu Boudimbou, é ditions Hemar – Brazzaville – Congo -
La vie que j ’é voque ici, nous aurions pu la vivre, ou peut- ê tre l ’ avons-nous v é cue. Une vie faite d ’ appropriations, de larcins, de d é tournements, d ’ effractions, de pillages, de grappillages … une vie faite d ’ envo û tements et de mal é dictions, une vie faite de dominations entre vie de palais et vie de taudis.
Le marathon des d é munis et des nantis, o ù les uns chassent les autres et vice versa ; ce monde o ù grands et petits se d é lectent de d é lations ; ce monde o ù m é cr é ants et pasteurs, à tour de r ô le, fr é quentent le marabout, o ù le c œ ur adh è re au shinto ï sme et la t ê te - pour contenter l ’ autre ou pour lui mentir - choisit d ’ê tre catholique ou protestant. Je vous parle ici de ce monde fait de servitude, de sexualit é , de duperie, d ’ hypocrisie, cette vie sibylline …
Est-ce essentiellement le shako qui fait le saint-cyrien ? C ’ est pourtant ce qui lui sied bien. Chacun, dans son petit canton, pense à augmenter le son de son instrument pour mieux se faire entendre ; ainsi les ragots se m ê lent aux cochons, la succulence à l ’ amertume et comme une rivi è re rempoissonn é e, notre espace se remplit de beaux diseurs et de r é mouleurs. Mon pays devient un foutoir o ù chaque jour s ’ emplissent les poubelles- à -hommes, les poubelles- à -vies. Renards et po é teux se c ô toient pour une union saugrenue et saum â tre. Tout le monde est frondeur. Personne ne trouve à y redire.
C ’ est cela qui caract é rise mon pays que tout le monde dit aimer, pourtant personne n ’ y pense, ou plut ô t chacun ne pense qu ’à se bourrer la panse et la poche. On les reconna î t facilement les gens de tout en haut ; ils portent des costumes aux couleurs du ciel ou des uniformes militaires ; les uns dissimulent des pistolets dans leur costard, les autres exhibent des kalachnikovs en bandouli è re ; et leurs ventres bedonnants, les as-tu vus ? On dirait des grossesses à terme ; ils fument de gros cigares et g è rent une cour de courtisans. Ils aiment notre pays, il faut le croire.
1
Mongal é é tait revenue à Moul é l é k é , capitale de la R é publique f é d é rale de Batih batuko 1 .
Dans l ’ avion qui la ramenait dans son pays natal, elle pensait à son enfance à Moul é l é k é , à ses s é jours à la campagne pendant les vacances avec son p è re, sa m è re et son fr è re Paul Damien Ngoko. Elle imaginait l ’ accueil que lui r é serveraient ses amis, ses parents – ceux qui avaient eu la vie sauve pendant la guerre qui lui avait fait quitter le pays ; elle pensait aussi au r é cit d ’ un compatriote venu r é cemment de Batih batuko et rencontr é à Braha, la capitale du pays des Bindou o ù elle é tait en exil. Ce compatriote lui avait parl é de ce ministre du commerce du premier gouvernement de l ’ apr è s-guerre, qui, un jour, fit le tour des supermarch é s pour exiger la hausse du prix du beurre pasteuris é , non pas pour limiter les importations, mais pour que le bas peuple n ’ en conn û t plus le go û t. Il fut ovationn é à son arriv é e au conseil des ministres ; Son Excellence Yandi mosi-Yandi kaka 2 - le Chef de l ’É tat - ne tarda pas à le hisser au rang de ministre d ’É tat. Le peuple s ’ en indigna. Malouala figurait parmi les indign é s qui s ’ exprimaient librement dans la rue. Il fut arr ê t é deux jours apr è s le conseil des ministres. On rapporta au directeur g é n é ral de la s û ret é nationale que Malouala avait incit é le peuple à la r é bellion, à la d é sob é issance civile et au d é nigrement des institutions de l ’É tat. V é ronique, son é pouse, le chercha en vain dans toutes les prisons de la capitale. On s ’ en indignait en sourdine pour ne pas subir le m ê me sort. « Comment pouvait-il en ê tre autrement en ce monde des hommes sens é s ? » demandait Tchakou, le fou du quartier, à tous les passants.
Au cours de ce m ê me conseil des ministres du cinqui è me jour de la pleine lune de l ’ ann é e des courges, le gouvernement, qui sortait des n é gociations avec les partenaires sociaux, f é licita pour leur patriotisme, leur civisme et leur sens du devoir, les responsables de la Conf é d é ration des Syndicats des Travailleurs de la Fonction Publique (CO.SY.TRA.FO.P), la principale centrale syndicale du pays, puisqu ’ ils avaient sign é une tr ê ve sociale de trois ans renouvelable avec le ministre du travail. Trois ans durant, pas de gr è ve, pas de revendications relatives à l ’ am é lioration des conditions de travail et de vie des travailleurs. À contrario, le gouvernement d é cidait de r é duire de 22% les salaires des agents de la fonction publique. « Ce sont des mesures courageuses que nous venons de prendre pour permettre au gouvernement de faire face à l ’ importante dette ext é rieure du pays et relancer ainsi l ’é conomie nationale » , avait d é cr é t é le ministre des finances pour justifier ces d é cisions face à un peuple qui, d é sormais paraissait indiff é rent, peut- ê tre par habitude du malheur, m ê me à sa propre existence.
Essanga Biliba Nzorob é , dit Le coq de la radio nationale, et ex-mari de Mongal é , osa d é noncer ces mesures impopulaires ; « Quand on sait que le salaire mensuel des ministres a é t é tripl é , soit 15.000.000 de francs batih batukois. L ’ enseignant et l ’ infirmier se contentent toujours des 60.000 de salaire mensuel. Que des miettes. Le bonheur et la mis è re ont ainsi choisi chacun leur camp … »
Le ministre de l ’ information et de la communication, porte-parole du gouvernement, charg é des relations avec le peuple, fustigea « ce mouchard noircisseur de l ’ action gouvernementale. Mais nous ne nous laisserons jamais faire, face à ces aigris, ces assoiff é s de pouvoir qui veulent à tout prix agiter le peuple, le pousser au soul è vement pour mettre de nouveau ce pays à genou. Ç a, ç a ne passera pas, nous avons l ’œ il bien ouvert » .
Dans les quartiers, on appr é ciait plus ou moins le courage d ’ Essanga : certains lui donnaient raison ; « Apr è s tout, il fait son boulot et c ’ est ç a son boulot. Quels que soient les temps, il faut qu ’ il y ait des gens qui sachent prendre leur courage pour sauver les autres » . Pour d ’ autres, Essanga n ’ aurait pas d û parler. « Parce que, en ces temps-ci, il faut savoir se taire. Tous ceux qui oseront s ’ opposer à Yandi mosi, y compris les journalistes, subiront sa r é pression. Quand un pays sort de la guerre, tous les comportements convergent vers la violence, l ’ arbitraire, l ’ abus … Et puis, si Essanga veut jouer au h é ros, il n ’ avait qu ’à comprendre qu ’ il n ’ y a de martyr que mort ; certains sont dans leurs tombes, d ’ autres port é s disparus, subissant à jamais la loi du silence » . Essanga Biliba Nzorob é fut jet é en prison et y croupit jusqu ’à la veille de la c é l é bration du 19 è me anniversaire de l ’ ind é pendance.
À deux mois du retour au bercail de Mongal é – Essanga revit le ciel, mais physiquement bien diminu é , et donc r é duit au silence. Dieu avait bien veill é sur son â me pendant les cinq ann é es pass é es à contempler les murs de sa cellule. Il en sortit ob è se, mais plus instruit du fait de ses nombreuses lectures. Au fond de sa cellule, le livre é tait son seul compagnon. Il é tait parmi les plus chanceux à sortir de prison sans avoir é t é d é cervel é , ab ê ti. Le r é gisseur adjoint de la Maison d ’ arr ê t lui apportait des livres, gr â ce