FAUT PAS PISSER SUR LES VIEILLES RECETTES
232 pages
Français

FAUT PAS PISSER SUR LES VIEILLES RECETTES , livre ebook

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232 pages
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Description

Faut pas pisser sur les vieilles recettes est la première étude portant sur la série San Antonio, qui a été un phénomène d'édition de 1950 à 2000, Frédéric Dard ayant connu avec cette série les plus gros tirages de la seconde moitié du XXe siècle. Avec cet auteur prolifique, la paralittérature, au-delà du public populaire, atteint le lectorat intellectuel, sensible à la dimension parodique qui renouvelle le genre du roman d'aventure. Françoise Rullier relit les volumes comme autant d'antiromans qui s'inscrivent dans la lignée de Rabelais et de Céline.

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Date de parution 01 juin 2008
Nombre de lectures 6
EAN13 9782296494442
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

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Extrait

Faut pas pisser sur 1 les vieilles recettes
SanAntonio ou la fascination pour le genre romanesque
1 « Faut pas pisser sur les vieilles recettes : elles ont du bon, constituent des repères pour le public averti »,Mesdames vous aimez « ça », p. 171.
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Au cœur des textes Collection dirigée par Claire STOLZ(Université ParisSorbonne) 1. Alia BACCARBOURNAZ,Essais sur la littérature tunisienne d’expression française, 2005. 2. Alya CHELLYZEMNI,Le sauveur dansBataillesdans la montagnede Jean Giono, 2005. 3. Noureddine LAMOUCHI,JeanPaul Sartre, critique littéraire, 2006. 4. Catherine VIOLLET et MarieFrançoise LEMONNIERDELPY (dir.), Métamorphoses du journal personnel. De Rétif de la Bretonne à Sophie Calle,2006. 5. Lia KURTSWÖSTE, MarieAlbane RIOUXWATINE et Mathilde VALLESPIR, Éthique et significations, 2007. 6. JeanLouis JEANNELLE et Catherine VIOLLET (dir.),Genèse et autofiction, 2007. 7. Irène FENOGLIO (dir.),L’écriture et le souci de la langue. Écrivains, linguistes : témoignages et traces manuscrites, 2007. 8. Irène FENOGLIO,Une autographie du tragique. Les manuscrits deLesFaitset deL’avenir dure longtempsde Louis Althusser, 2007. 9. Delphine DENIS (dir.),L’obscurité. Langage et herméneutique sous l’Ancien Régime, 2007. 10. Aurèle CRASSON (dir.),L’édition du manuscrit. De l’archive de création au scriptorium électronique, 2008. 11. Lucile GAUDINBORDES et Geneviève SALVAN,Les registres. Enjeux stylistiques et visées pragmatiques, 2008. 12. Françoise RULLIERTHEURET,Faut pas pisser sur les vieilles recettes. SanAntonio ou la fascination pour le genre romanesque, 2008.
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Françoise RULLIERTHEURET
Faut pas pisser sur les vieilles recettes
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SanAntonio ou la fascination pour le genre romanesque
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A C A D E M I A A B B R U Y L A N T
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©BruylantAcademia s.a.  Grand’Place, 29  B1348 LOUVAINLANEUVE
ISBN 13 : 9782872099030
Tous droits de reproduction, d’adaptation ou de traduction, par quelque procédé que ce soit, réservés pour tous pays sans l’autorisation de l’éditeur ou de ses ayants droit. Imprimé en Belgique.
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www. academiabruylant.be
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1 UN TROUDUCTION
lire la série desSanAntonio, on se demande si F. Dard rédige des forÀme, lesruptures de l’illusion et les jeux de dénudation prolifèrent, entre romans ou d’emblée des parodies de romans, tant l’insistance sur les procédés de fabrication est constante, tant les réflexions sur la cabotinage et supercheries narratives. Tout en écrivant, le narrateur semble saborder l’histoire qu’il relate, en attirant l’attention sur le message luimême. Il désigne son texte en tant que livre, produit par un éditeur, corrigé par un imprimeur. L’aveu renouvelé de sa matérialité va à l’encontre des bienséances narratives et marque la primauté d’intérêt pour l’écriture sur l’effet de réel. Le narrateur emploie des termes qui appartiennent au domaine des critiques et du langage com mentatif explicite, non à celui du romancier. Il parle depageet dechapitre, réfère à la collection et à la maison d’édition, glose sa typographie et même son statut de marchandise en rappelant de manière inopportune que chaque volume a un prix. Les mots ne renvoient plus alors aux choses hors du texte, mais au livre dont on peut compter les pages et apprécier la reliure. F. Dard ne recule pas devant les formules qui fâchent. « Recette », mot nettement péjoratif quand il est appliqué à l’écriture, revient comme autant d’allusions au caractère artificiel du discours : De nos jours c’est râpé : on ne sait plus écrire de livres intéressants. Y’a plus que 2 des recettes (Appelezmoi chérie !, p. 117). 3 SanAntonio , le héros narrateur, n’adopte pas ici la posture du conteur, mais prend un malin plaisir à choisir des mots qui nous rappellent que nous avons entre les doigts des signes imprimés sur une page blanche. Les situa tions sortent des mains du prote et les personnages ne se déplacent jamais que d’un chapitre à un autre, ils arpentent le papier d’un livre et non les trottoirs du monde authentique :
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Pleins feux sur le tutu. Les soulignements dans le texte de SanAntonio sont toujours de nous. Le nom SanAntonio sans italique désigne le personnage narrateur.
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Et bras dessus, bras dessous, nous [SanAntonio et Béru] partons allègrement vers le chapitre douze [...] (Appelezmoi chérie !, p. 146). La démystification plaisante est parfois appuyée par des effets d’écho, la dénudation est alors « filée » : Exactement, riposte mon visàvis qui n’a pas lu mon paragraphe consacré à la stupidité des gens voulant avoir l’air « au courant » [...] Fantastique ! décrète le Bredouilleur, lequel n’a pas lu non plus le paragraphe que je vous cause (Salut, mon pope !, p. 59). L’effet de transgression est plus marqué quand la référence quasi linguis tique à la construction du roman est placée dans la bouche du personnage et s’inscrit dans un dialogue entre le commissaire SanAntonio et un interlocu teurpersonnage (aussi fictifs l’un que l’autre et de même niveau énonciatif), auquel il parle de son histoire en termes de texte écrit :  […] Fortuna a été kidnappée.  Par qui ?  Ne brûlez pas les étapes, bien des chapitres s’écouleront avant que nous le sachions (La pute enchantée, p. 61). Le texte ne nous cache pas que les êtres de la fiction ne sont que des effets de langage : « Tout ça, à lire, je m’en rends compte, ça n’a l’air de rien. C’est des mots, du blabla » (Poison d’avril, p. 173). « Les protagonistes de cette œuvre d’action » (Dis bonjour à la dame, p. 14) naissent d’un artifice d’écriture. Les termes choisis obligent le lecteur à se regarder lire, l’espace dans lequel on lui demande de se repérer n’est pas celui de la fiction mais celui de la page ou du livre : Et puis récupérons, nous en aurons besoin pour la suite des événements, car nous n’en sommes qu’à la page 103 (Remets ton slip, gondolier !, p. 103). Par un commentaire récurrent sur ses techniques, le roman durcit ses contours, l’introduction brutale du métarécit dans le récit souligne son 4 armature et, accusant sa forme, se présente comme une parodie . Les gloses qui mettent le discours en spectacle n’empêchent pas pour autant que le récit soit reçu naïvement comme un roman d’action à suspens, car il se dénonce luimême sans pour autant abolir la lecture de participation, parcourir un
4 Issacharoff définit la parodie comme le mode ludique de l’intertextualité qui vise aussi bien un hypotexte précis que des conventions littéraires ou les canons lit téraires d’une époque (Issacharoff, 1990).
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volume suffit pour s’en convaincre : quel que soit le recul dont on fait preuve, on est « pris » par l’histoire. On découvre un mélange déconcertant de premier et de second degré, d’aveuglement et de lucidité, de maladresse et de maîtrise, de grossièreté et de subtilité, le tout engagé dans la mise en abyme. Bref, un ensemble très romanesque qui prétend ne pas se bercer d’illusions sur le romanesque. Deux attitudes sont possibles en ce qui concerne les procédés et les conventions. L’écriture sérieuse cherche à dissimuler l’artifice par un sys tème de motivations, de préparations, voire d’innovations, en vertu d’une tradition critique qui veut que l’artiste maîtrisant parfaitement son art par vienne à le faire oublier et à rendre invisibles les recettes de l’artisan. L’écri ture comique ne dissimule ni les contraintes ni les conventions pesant sur elle et, au contraire, par un soulignement indiscret et ironique, rend saillants les recettes et les stéréotypes du genre. La désinvolture, le goût pour le jeu inscrivent F. Dard dans la continuité de la littérature burlesque qui va de Rabelais à Queneau, en passant par Cervantès, Cyrano, Sterne, Diderot, Nodier, Gide, Aragon, etc. Ensemble d’œuvres souvent jugées inclassables que Bakhtine (1978) propose de rat tacher à la tradition carnavalesque de la ménippée. Sangsue (1978) choisit l’expression de récits « excentriques » ; BoissacqGeneret (1994) identifie là une lignée de romanciers « bouffons » ou « grotesques ». F. Dard ne cite que Rabelais, Queneau et Céline, et semble tout ignorer des autres représentants de ce courant littéraire, dont on serait tenté de faire un genre à part entière, en lui appliquant le nom d’antiromanforgé par Sorel. Quoi qu’il en soit de la culture de F. Dard et de la richesse de sa rencontre avec d’autres textes, quoi qu’il en soit de l’amplitude de cette filiation, notre auteur partage indénia blement leur posture ludique et critique. La perspective comique lui suggère la même vision irrespectueuse des hommes, de leurs institutions et de leur littérature. SanAntonio, mauvais garçon des lettres françaises, dénonce les inévitables maladresses du roman d’action, justifications, ellipses, invraisemblances, impossible omniscience, enchaînement des épisodes... Au lieu de gommer la facture, il montre le texte en train de s’écrire, entasse les digressions au détriment du récit qu’il interrompt, met en scène une voix arbitraire qui proclame qu’elle a tout pouvoir sur les personnages et qu’elle écrit leurs destins. La narration, explorant les coulisses de la création, se
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double d’un discours critique parasite et, empilant les occasions de dialogue, découvre des jeux nouveaux avec le lecteur malmené. En s’inscrivant contre l’illusion réaliste, l’auteur nous procure des plaisirs inédits, plaisirs de la tricherie et de la complicité. Nous passons de l’autre côté de la scène, l’écrivain nous révèle ce que tout artiste s’efforcerait de taire, il se comporte comme un magicien qui expliquerait ses tours. Après avoir fait remarquer que dans un roman policier, aucun passage n’est inutile, il ajoute : Faut de la santé pour continuer après ce que je viens de vous faire remarquer, hein ? C’est le prestidigitateur qui montrerait ses brêmes dans sa manche avant de faire son tour (La sexualité, p. 100). Mais tout le monde sait que le prestidigitateur ne montre son « truc » que pour mieux nous surprendre et nous éblouir en ne l’employant pas. L’humo riste prend plaisir à dire ce qui ne se dit pas et à montrer ce qui ne se montre pas, il aime la provocation et les petits scandales. L’écriture intertextuelle chez F. Dard se manifeste sous deux modes que nous ne confondrons pas. Il se réfère quelquefois à des auteurs ou à des ouvrages précis (Duras, RobbeGrillet,Les Misérables, Michel Strogoff), mais le plus souvent, il vise le fonds commun de la littérature. Il n’y a plus alors ni allusion ni pastiche. SanAntonio ne démarque aucun texte en particulier, la cible de l’humour glisse et n’est pas identifiable. Genette (1982) parle dans ce cas d’« architextualité » plutôt que d’intertextualité, parce que le rapport à d’autres textes se réalise de manière diffuse, les romans parodiques n’en tretiennent pas de relation avec une autre œuvre, mais avec une catégorie générale et transcendante : le roman, et, plus précisément ici, tous les genres romanesques, car le modèle subverti reste indéfini, du roman réaliste à la Balzac au roman populaire à la Ponson du Terrail. On suit un processus qui dévoile les habitudes d’écriture, explicite son lien avec la paralittérature mercantile. LesSanAntoniose développent dans cet univers intertextuel où l’auteur construit ses personnages et combine ses situations à travers un mo dèle livresque dépassé. La cible moquée n’est que vieillerie littéraire : […] dans les pièces publiées jadis par « La Petite Illustration » (À prendre ou à lécher, p. 98). Comme on écrivait autrefois dans des romans fasciculaires destinés à envelopper des œufs (Foiridon à Morbac City, p. 107). Grâce à cette démarche irrespectueuse, chaque volume se présente com me un roman au second degré, sciemment construit, hautement élaboré et
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comme le produit d’une activité artistique : l’auteur s’interroge sur les codes du genre dans lequel il s’exerce. L’omniprésente ironie de F. Dard pose le problème de son appartenance à la littérature et tire son œuvre vers la litté rarité. Cependant, il ne faut pas croire pour autant que cet investissement critique aille vraiment à rebours des habitudes des auteurs de paralittérature. Certes, les premiers universitaires à se pencher sur ce secteur du livre de grande diffusion ont avancé l’idée que le roman populaire serait réfractaire à l’humour et à la parodie et que, pour tout dire incapable de création, il se cantonnerait dans l’utilisation de procédés. Tortel (1970), ignorant la mau vaise conscience qui est le lot de la plupart de ces auteurs méprisés, affirme : « Ce qui est paralittéraire ne participe en aucune façon à l’esprit de recher che et de contestation verbale. Il contient à peu près tous les éléments qui constitueraient la littérature, sauf la mise en cause de son propre langage » (p. 18).Évidemment, F. Dard fait mentir les participants à ce premier col loque consacré à la paralittérature : le doute, la recherche et la contestation 5 verbale étant les fondements de l’écriture sanantoniaise .F. Dard échappe également aux perspectives de Couégnas (1992) qui fait de la paralittérature une écriture sérieuse « sans aucune mise à distance ironique ou parodique susceptible d’amorcer la réflexion critique du lecteur » (pp. 181182). Cepen dant, depuis 1992, de nombreuses voix (Guize, Bleton, Migozzi et surtout Vareille) se sont élevées contre cette réduction de la paralittérature à un dis cours de procédés sans recul. Bien sûr, la paralittérature sentimentale n’offre pas la moindre trace d’un sourire complice (Xavier de Montépin, par exem ple, produit des ouvrages à consommer au premier degré et entend être reçu naïvement), mais Migozzi (2005 : 173184) relève des pratiques ludiques et distanciées chez Féval, Ponson du Terrail ou Leroux. L’écriture populaire (à partir de 1850) n’est pas simpliste et participe de la modernité. Guize (1986) évoque les auteurs deFantômas(Allain et Souvestre) se livrant à une caricature : à l’intérieur de leur roman feuilleton, ils inventent un roman feuilleton outrancier et le héros Fandor rit en le lisant : « Tout de même, dit Fandor, ces romanciers populaires ont une façon de vous bourrer le crâne, avec leurs histoires à dormir debout, qui donnent une bien piètre idée de la
5 On a « sanantoniaise » dansRemouillemoi la compresse,p. 103, mais « sans antoniaise » dansLa Sexualité, note p. 383, il s’agit sans doute d’une coquille (il existe aussi le verbe « sanantoniaiser »ibid.,p. 316). On trouve « santoniaiseries » dans Morpion circus,p. 75.
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