210
pages
Français
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2021
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Ebook
2021
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Publié par
Date de parution
01 janvier 2021
Nombre de lectures
37
EAN13
9789938074574
Langue
Français
Publié par
Date de parution
01 janvier 2021
Nombre de lectures
37
EAN13
9789938074574
Langue
Français
Rafika Inoubli
Je voulais
vous dire…
Roman
Arabesques 2021
Livre : Je voulais vous dire…
Auteure : Rafika Inoubli
Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés
à l’éditeur: ARABESQUES EDITIONS
Première édition Tunis 2021
ISBN : 978-9938-07-457-4
er 5rue 20 Mars 1956,1 étage bureau n°3, Bab Saâdoun,
1005 www.editions-arabesques.tn
E-mail :editionsarabesques.tunis@gmail.com
1
Elle ne savait pas écrire. Elle avait appris à lire à peu
près toute seule. De maigres réminiscences du kottab de
son enfance, des mots glanés ça et là dans les manuels
scolaires de ses frères, d’autres mots butinés dans les
journaux ramenés par son époux, puis, les livres de ses
enfants, source intarissable où elle avait pu puiser à sa
guise. Les premiers temps, lire un conte de quelques
pages la remplissait de joie, puis, encouragée par de
modestes progrès, elle s’était permis de feuilleter des
livres avec moins d’images et plus de texte.
Un jour, elle avait réalisé avec émerveillement qu’elle
était capable de raconter une histoire qu’elle avait lue
ellemême. Elle avait alors abordé un autre type de livres : des
romans à trame historique, doublée de quelque intrigue
sentimentale.
Elle lisait, elle s’identifiait aux princesses oisives dont
elle suivait passionnément la destinée entre blouse
d’écolier à repasser pour l’aîné et biberon à préparer pour
le dernier-né. Instants de réconciliation passagère avec un
présent parfois peu en accord avec des aspirations
anciennes.
Elle rêvassait en tournant des pages chargées de vies
auxquelles elle adhérait totalement ou qu’elle rejetait
vivement, suivant son humeur de l’instant. Elle
imaginait, le temps d’une lecture, toutes les randonnées
où il lui aurait été possible de s’évader, toutes les
sensations qu’elle aurait pu éprouver. Evasion de brève
5
durée car ses charges d’épouse et de mère ne tardaient
pas à la ramener sur terre. Elle fourrait alors son livre
dans un tiroir oublié, entre des pelotes de laine et des
aiguilles dépareillées, derrière une pile de draps, au
milieu d’un grand vase sans fleurs ou l’abandonnait sur
un banc du jardin.
Elle ne savait pas marquer la page, aussi,
reprenaitelle son livre un peu au hasard. Elle paraissait avoir du
plaisir à redécouvrir le moment où elle avait laissé son
héroïne. Parfois, elle me parlait de l’une des princesses
qui peuplaient ses lectures, la nommant de son prénom,
telle une de ses vieilles connaissances dont elle
partageait les aventures à son insu, heureuse de ses
succès, pleurant ses chagrins. Elle me décrivait la
splendeur du palais où elle déambulait, la délicatesse
des soieries dont elle s’enveloppait, l’éclat des bijoux
dont elle se parait. Elle circulait avec elle dans des
couloirs chargés de secrets, s’accoudait au balcon avec
langueur, attendait le valeureux chevalier qui ne
tarderait pas à passer et à lever discrètement la tête vers
la fenêtre de sa dulcinée.
A l’époque où j’empruntais pour elle des livres à la
bibliothèque publique, elle me priait quelquefois de lui
ramener l’un des livres qu’elle avait déjà lus.
Espéraitelle naïvement qu’entre-temps, quelques événements
avaient évolué dans le sens qu’elle appréciait,
voulaitelle revivre quelque émotion que telle lecture lui avait
procurée ou cherchait-elle un mystère qui lui aurait
échappé au travers de quelque ligne ? Elle ne m’en
confiait rien, mais le geste d’impatience accompagnant
sa modeste requête et le léger pétillement de son regard
laissaient entrevoir une grande joie pour elle d’avoir à
nouveau le livre.
6
D’autres fois, c’était un titre dont elle avait eu
connaissance par hasard, qui suscitait son intérêt, elle
insistait alors pour que je l’emprunte pour elle, ce que je
m’empressais d’accomplir sans hésiter, du reste, mais
elle me le rendait presqu’aussitôt sans qu’elle en ait lu le
moindre mot, elle en avait à peine regardé la
couverture. Curiosité puérile à voir à quoi pouvait
ressembler un livre ayant tel titre.
Si au temps de ses premières tentatives de lecture,
elle ne savait rien à propos des auteurs qu’elle lisait, par
la suite, certains noms lui étant devenus familiers, elle
avait cherché à lire quelques-uns de leurs autres livres.
Il y a eu ainsi de nouveaux plaisirs à retrouver des
personnages et des événements similaires à ceux de ses
lectures précédentes mais il y a eu aussi des déceptions
qui l’avaient laissée sur sa faim.
Plus elle lisait, plus elle remettait en question le
tournant qu’avait pris sa destinée. Elle me confiait
alors :
« On a séquestré ma vie alors que ma vision de
l’avenir était encore si imprécise, on ne m’a donné
aucune chance de choisir. J’ai tant envie de crier ma
colère ! Aide-moi à en faire part à ceux qui
m’entourent ! »
Ainsi, elle me demandait d’écrire pour elle.
Tant de fois, il y a eu des ébauches d’insurrection
mise en mots, mais un certain désordre dans la
narration brouillait les époques et emmêlait les
personnages. Dans son empressement à ne rien oublier,
elle vidait tout en vrac. Le temps d’effectuer un tri
convenable parmi les événements anodins ayant
jalonné son parcours de femme et le bout du fil se
perdait. Elle s’empêtrait alors et se retrouvait en train
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de raviver, à son insu, des blessures qu’elle croyait
cicatrisées depuis longtemps.
Puis cela s’était précisé en son esprit. Elle
m’apportait alors du papier et un stylo et commençait à
dicter à la hâte. « Ecris, écris », me pressait-elle, en
suivant avec application le mouvement de ma main et
en posant l’index, de temps à autre, sur le dernier signe
noté, comme pour s’assurer que ses mots étaient bien
parvenus à destination.
Un besoin irrépressible d’exprimer des sensations
foisonnant en elle, réprimées par moments, mais
finissant par affleurer inévitablement à la surface de la
mémoire. Etincelle furtive, joie inattendue, illusion
perdue, reproche indéfini : que dévoiler sans se
dénuder au-delà de ce que sa pudeur tolérait ?
L’idée de lettre revenait souvent dans ses propos.
Le destinataire ? Le grand-père protecteur, le fils
déraciné, le frère injuste, la fille rebelle, la mère
agonisante, le père décédé depuis déjà longtemps,
l’époux qui n’arrêtait pas de la surprendre, le rêve secret
qui la hantait en ses moments de solitude intense.
Elle racontait des bribes de souvenirs lointains.
J’essayais de noter quelques mots sans l’interrompre.
Des fois, elle se taisait subitement, se penchait à mon
épaule, me prenait la feuille des mains, la rapprochait de
son visage en plissant les yeux, lisait silencieusement,
un vague sourire illuminant son regard, puis elle me la
tendait et me proposait de sortir faire quelques pas
dans le jardin.
Je la suivais, en tenant encore mes papiers, mais elle
paraissait ne plus penser à ce que nous avions
commencé à écrire. Elle avançait lentement dans l’allée
bordée de romarins, coupait à la main une rose qu’elle
me tendait distraitement, levait le bras pour cueillir une
8
orange qu’elle épluchait pour moi, se baissait pour me
montrer une plante minuscule soulevant timidement la
terre, s’apprêtant à prendre vie et à conquérir plus
d’espace, puis elle se dirigeait vers un coin de soleil
déclinant.
Je m’asseyais à côté d’elle. Nous parlions de fleurs
nouvellement acquises pour son jardin, d’une émission
qu’elle avait entendue à la radio, d’un ancien film qu’elle
avait revu à la télé. Le soir tombait, l’air devenait plus
frais, les papiers avaient glissé par terre, le stylo avait
roulé sous le banc.
« Nous reprendrons cela un autre jour », disait-elle,
en se levant.
Je promettais avec assurance tout en me demandant
si elle tenait réellement à me faire écrire des
confidences. Ne craignait-elle pas d’en dire trop ou pas
assez ou doutait-elle du pouvoir des mots à retranscrire
avec fidélité irréprochable ce qu’elle voulait si
ardemment comprimer quelque part, mettre à l’abri de
l’oubli.
Pour elle, les mots avaient toujours été empreints de
magie : difficulté à en venir à bout au départ, plaisir à
découvrir leurs significations multiples plus tard. Elle
était fascinée par toutes les formes d’écriture. Elle
n’arrêtait pas de s’interroger sur ces signes inoffensifs
en apparence mais pouvant s’avérer si sournois parfois,
tant la ductilité de la forme et du sens était, en certains
points, si surprenante, d’après elle. Etait-ce pour cela
qu’elle ne se décidait pas à leur confier, en toute
sécurité, des moments insaisissables, des impressions
ayant défié les années, des images qui couraient le
risque d’être déformées à jamais par le temps ?
Face à ses appréhensions, je me prenais moi-même à
réfléchir sur la toute-puissance des mots et leur aptitude
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à reproduire son message avec la fidélité souhaitée.
Alors, pour contourner un peu ses craintes et pour me
rassurer moi-même, je lui conseillais de raconter ce
qu’elle voulait, sans trop y réfléchir, tout juste comme
cela se présentait à son esprit et les mots prendraient
certainement le sens de ce dont elle voulait faire part.
Elle hochait la tête d’un air assez dubitatif puis
répondait vivement, comme si le sujet auquel elle avait
toujours pensé n’avait jamais quitté son esprit :
« Une longue lettre à mon père, voilà ce que j’ai
toujours eu envie d’écrire ! Je voudrais tant qu’il
m’explique pourquoi il n’avait jamais accepté que je
fréquente l’école, lui, l’instituteur qui apprenait à lire et
à écrire aux autres. ».
Que d’après-midi de narration nostalgique ! Elle
parlait, j’écoutais. Sans soupirs ni tristesse apparente,
elle continuait :
« Père, qui s’était toujours opposé à ce que je sois
inscrite à l’école, donnait des cours particuliers aux
filles de quelques-unes de ses connaissances, qui y
allaient, elles.»
En évoquant ainsi des moments de son enfa