John McClane et moi
126 pages
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John McClane et moi , livre ebook

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Description

Le weekend se présente idyliquement : Sorai est seul avec son chien, sa femme est partie, il a le canapé, la télé et une réserve de canettes de bières à disposition.


Mais à peine vient-il d'installer sa dernière acquisition dvdesque pirate dans le lecteur que le téléphone sonne : Bidard l'appelle au secours, un samedi ?

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Publié par
Nombre de lectures 2
EAN13 9782369551799
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

JOHNMcCLANEET MOI
prélude
La marche des vertueux est semée d’obstacles qui sont les entreprises égoïstes que fait sans fin surgir l’œuvre du malin. Béni soit-il l’homme de bonne volonté qui au nom de la charité se fait le berger des faibles qu’il guide dans la vallée d’ombre de la mort et des larmes; car il est le gardien de son frère et la providence des enfants égarés. J’abattrai alors le bras d’une terrible colère, d’une vengeance furieuse et effrayante sur les hordes impies qui pourchassent et réduisent à néant les brebis de Dieu, et tu connaîtras pourquoi mon nom est l’Éternel quand sur toi s’abattra la vengeance du tout puissant. Youka yeepe he. Ezéchiel 25 verset 10 selon John McClane
samedi
1 L’inspecteur Sorai aime bien qu’on l’appelle sergent. C’est militaire, carré, c’est une preuve d’autorité et surtout, surtout, ça lui rappelle sa jeunesse. Enquêteur à l’Agence du Recouvrement Intérieur - nom scientifique et pompeux pour une officine d’État secrète - son unique préoccupation du week-end est d’apprécier la lecture du dernier film d’aventure de son idole. Il dépose le DVD pirate acquis le dimanche précédant au marché d’Alfortville dans la fente du boîtier lecteur. Petite prière pour que l’énoncé de la pochette sous bristol soit correct. Le vendeur à la sauvette, le jeune Samir, un rom-pakistannais qu’il connaît depuis peu, lui a assuré la qualité du film en choisissant la plaquette photocopiée d’entre tous les disques disposés sur le drap à même les pavés du trottoir faisant office de tréteau. - Je t’assure sergent, meilleure qualité et prix d’ami. D’une bonne poignée de mains, l’affaire fut garantie. Il n’hésita pas, quelques minutes plus tard, en toute confiance, à détourner du revendeur clandestin une patrouille de vigiles municipaux patrouillant sur le marché, car pour Sorai : « L’ordre ne saurait déroger au chaos ambiant. Tous les moyens sont bons pour l’affirmer ! » Mais quand la bière coule à flots, lorsque les chants des tablées se militarisent, que les yeux humides des nostalgiques s’humectent d’une jeunesse évanouie, c’est le même qui n’hésite pas alors à entamer sa rengaine favorite, provoquant pour le plus grand malheur des camarades mélodistes voisins, un trou noir spatio-temporel : « O catalinetta bella ! Tchi-tchi Écoute l’amour t’appelle Tchi-tchi Pourquoi dire non maintenant ? Ah... ah... Faut profiter quand il est temps : Ah... ah... Plus tard quand tu seras vieille, Tchi-tchi Tu diras, baissant l’oreille, Tchi-tchi Si j’avais su dans ce temps-là... Ah... ah... O ma belle Catalinetta. » C’est là, à cet instant précis, qu’il espère la reprise en chœur de l’assemblée, car rien ne pourrait remplacer les vertus du rossignol corse, Tino Rossi, sur les méfaits des chansons partisanes des assemblées ou des stades. Sorai patientait depuis une semaine pour visualiser l’objet : le départ de sa femme Corinne pour un congrès pharmaceutique à San Francisco faisant fonction de catalyseur. Il sait que la passion pour son acteur fétiche ne peut pas se transmettre entre des draps blancs, colorés ou en soie. Elle se partage uniquement avec quelques canettes de bière, écroulé dans un canapé en cuir dont les coussins ont renoncé depuis longtemps à présenter beau. Seul Svatika, son chien croisé entre un dobermann, un labrador et un trente-cinq tonnes pouvait apprécier l’œuvre en collant son museau sur le treillis du weekend - celui que Sorai adopte pour le bricolage qu’il n’a jamais le temps de faire. Et puis, comment dire, patienter une heure et demie pour s’apercevoir que le marié sort avec la tante de sa femme en fantasmant sur les jambes de la nièce ne correspond pas à ses goûts
cinématographiques. Fallait qu’ça bouge et qu’ça explose de tous les côtés de l’écran pour susciter son intérêt... Corinne déposée à Roissy. La plaque tricolore brandie d’une main autoritaire pour lui éviter la file d’attente à l’embarquement. Un baiser langoureux, un dernier signe de main sur l’escalator. Demi-tour. Partie. Sa vieille Saab n’avait pas traîné sur l’autoroute du Nord, se moquant des quatre radars automatiques qui avaient illuminé son passage. Ce samedi était consacré au repos et à la séance cinéma. Demain aux baffes si le gamin s’était joué de lui - car malgré tout, la notion de probité intellectuelle dépassait le délit commercial. Télécommande en main, il débute la trois, quatre, voire cinquième Guerre Mondiale. Quand on aime, on ne compte pas. Le titre apparaît comme un flash incompréhensible sur l’écran puis saute. Surviennent les noms groupés des acteurs. Soudain un grésillement horizontal l’empêche de lire le nom du réalisateur. « Ça commence bien » pense-t-il agacé en serrant ses poings à faire craquer ses articulations. Alors qu’un orchestre symphonique se lance à l’assaut des oreilles des spectateurs supposés, l’image affiche en gros plan les chaussures usées et crottées de trois personnages qui descendent un sol rocailleux pendant que sur l’écran du téléviseur plat, en surimpression, passe une bande-texte déroulante expliquant au spectateur que le monde avait changé depuis qu’il s’était assis dans son fauteuil : Il y eut Avant où l’on croyait que tout était fini, que les pouvoirs et les croyances établies offraient aux peuples toutes les possibilités d’épanouissements imaginables qu’ils soient spirituels, économiques voire sociaux. Les ans ont passé. D’abord les flots sont montés réduisant la surface des Terres, détruisant les villes des côtes et les populations qui y demeuraient. Alors les hommes se sont regroupés et ont prié. Les flots n’étaient plus sûrs, seuls les plus téméraires des navigateurs osaient braver les éléments marins. Alors les hommes se sont regroupés et ont prié. Puis vînt le manque de tout, les femmes se sont regroupées et Idrissa s’est levée. Sur chaque Île, sur chaque Continent occupés par des hommes, elle a envoyé des Messagères qu’elle nommait Mères et qui devaient diffuser Sa parole. Certaines ne passèrent pas le barrage des océans, d’autres s’échouèrent dans le cœur des hommes et furent massacrées. « J’entends déjà le crépitement des mitraillettes ». Exaltation. Sorai ouvre sa première cannette, une Leffe importée du restaurant « Benfica » situé à cent mètres de chez lui. Le propriétaire, surnommé Ronaldo par la clientèle au vu de ses origines - en fait il s’appelle Jackson en regard de sa licence IV -, l’honore d’un crédit illimité suite à quelques arrangements entre la police municipale et l’association des joueurs de pétanque dont Ronaldo est devenu le pourvoyeur en boissons fraîches et grillades, lors des réunions interdépartementales sur le terre-plain de l’association. L’intérêt de l’inspecteur se précise, lorsqu’il se rend compte que l’un des trois personnages chamarés sur l’écran est Bruce Willis, l’idole, le HÉROS avec un grand W - pour Winner, j’explique aux gens. Bruce Willis, l’incarnation du mâle américain, le John Wayne des temps modernes. Toujours roué de coups, jamais vaincu. Juste assez décalé pour le faire entrer dans le panthéon des aventuriers maniant l’humour et les uppercuts du droit avec le même brio. Sorai le suit depuis «
Clair de Lune», une série qu’il a avalé en VHS pendant ses heures de repos au fin fond d’un bled africain sans importance. L’enthousiasme n’avait jamais été déçu même si, il devait le reconnaître, les scénarii, bien souvent, ne rendaient pas hommage au maître-acteur... Il dépose sa bière sur la table basse, sous les yeux endormis du chien marron-noir qui commence à baver de plaisir sur le treillis de son maître. L’accès au canapé était réglementé et ne souffrait qu’une règle : si elle est là, on n’y va pas ! Il parlait de sa maîtresse, bien entendu. Sur l’écran plat, les trois hommes sont arrivés à un campement de fortune, composé de déchets épars et d’épaves de véhicules militaires d’un autre temps. Sorai augmente le son défaillant, d’un geste rageur. « Du Rétro-futurisme » songe-t-il en éternuant. Il s’essuie les doigts sur les poils du dos du chien qui lève son museau, inquiet d’être obligé de remuer. Ne voyant rien bouger, l’animal repose sa gueule sur l’emplacement exact où il avait commencé à baver. Bruce, réuni avec ses camarades de combat, parle avec un dénommé Berny autour d’un feu sur lequel grille la carcasse d’un lapin décharné. Berny tend une photo sépia à Bruce, une preuve du passé où l’on devine entrelacée une famille réunie et heureuse. La musique se fait plus douce, des violons accompagnés de cuivre s’enroulent dans une mélopée lancinante. « Là, ils mettent l’ambiance. » Sorai, nostalgique, songe à toutes les années passées à crapahuter sous le fanion vert et rouge de la Légion Étrangère et sourit à cette jeunesse. Il reprend sa bière, avale une gorgée, la repose sur la table quand le téléphone gris industriel posé sur son bureau se met à sonner. Plus personne n’appelle sur la ligne fixe à part les vendeurs de fenêtre, d’assurance ou les arnaqueurs-sondeurs mercantiles : « Bijour missieur Sorai, je m’appelle Jean-Paul... » - ils s’appellent tous Jean-Paul ou Marie-Claire. Le déranger un samedi tenait du suicide commercial. Il décida de ne pas bouger. Une seule double sonnerie. Une erreur se dit-il. Puis la sonnerie recommence, deux fois, puis cesse. Sorai ne regarde plus l’écran de télévision. Il se demande si quelqu’un qui l’aurait vu partir avec sa femme ce matin, n’était pas en train de tester l’occupabilité de l’appartement - un ancien local commercial en coin de rue, transformé en loft sur deux niveaux : rez-de-chaussée et sous-sol en basement. Même si les gosses de la cité voisine avaient depuis longtemps abandonné l’idée de le braquer, suite aux conseils de leurs Grand-frères ou aux rumeurs les plus abracadabrantes qui circulaient autour du propriétaire : l’ancien café aurait eu sa dalle de sous-sol coulé sur les cadavres de trois dealers du coin, disparus depuis l’arrivée du couple - ils savent rester prudents wesh !. La sonnerie sonne deux fois. Puis rien. Là, Sorai se redresse, bouscule le chien, et se poste telle une sentinelle aux aguets, devant son bureau en chêne verni amoureusement à la cire d’abeille par son épouse, jusqu’à ce que le téléphone se remette à tinter, . Il saisit une cigarette cachée dans un des deux tiroirs de sous-plateau du bureau et attrape son gros briquet en forme de tête de Napoléon, souvenir d’un voyage en Corse. Il tire sa première bouffée quand l’appareil se réveille. - Ouais, Sorai à l’appareil ! - Sorai ? C’est Bidard ! Bidard ? Il ne l’avait pas vu depuis quelques années. Ancien légionnaire
tout comme lui, puis responsable d’un service hygiène au commissariat du XXème arrondissement de Paris, il avait participé à la première affaire d’importance de Sorai, lui permettant indirectement d’intégrer l’Agence sous les ordres du capitaine Siclieri. (cf :Même les morts ne renoncent jamais) - Oh l’Ancien, que deviens-tu ? demande Sorai. - J’ai des ennuis... 2 La conversation terminée, l’inspecteur regagne son canapé. Svatika, le chien, n’a pas bougé d’un iota. Sorai saisit la télécommande de la télévision. Bruce, sur l’écran, tient d’une main la photo de son camarade, de l’autre, un bras arraché. « J’ai dû rater quelque chose » se lamente Sorai. Il appuie sur pause, lance la télécommande sur la table basse et fouille du regard dans la pièce à la recherche de son téléphone portable. Il le trouve au bout du meuble bas sous le journalL’Équipequ’il avait consulté la veille pour le programme des matchs de football de la 28ème journée. Il presse la touche « un » et attend que son interlocuteur favori lui réponde. - Salut Sorai. Alors tu t’emmerdes ? Le capitaine Siclieri - dit Siclo pour les intimes - ne faisait pas toujours dans la dentelle, et une chose était sûre, il ne prenait jamais de précaution avec son partenaire. - Je viens de parler avec une vieille connaissance commune dit Sorai. - Et ? - C’est Bidard, l’Ancien du XXème. - Oui, je me rappelle de lui, et ? - Il semblerait qu’il ait besoin de notre aide. - Un samedi ? Il cherche une bonne adresse pour divertir ses nuits ? - Au téléphone ça risque d’être long. J’aimerais assez t’en parler de visu. - Eh bien, viens dîner mon gars. Isabelle vient justement de se lancer dans la préparation d’un pot-au-feu pour ce soir. Tu peux être là pour vingt heures ? - J’amène quoi ? - Apportes ta carcasse et prends une douche avant de venir. On t’attend. Siclieri avait raccroché. Sorai, connaît son partenaire. Il sait déjà que le bref échange fait des circonvolutions dans son cerveau. Le capitaine est chaud bouillant pour toute nouvelle enquête qui le sorte de l’ordinaire, ces missions de surveillances discrètes, de prises de photos, de renseignements, de chasses aux divorcés l’insupportent. Les activités des équipes de l’Agence ne nécessitant pas actuellement l’intervention de doublon, peut-être qu’ils auraient juste besoin de l’autorisation du « Vieux » pour commencer à travailler sur la disparition d’une jeune femme, la belle-fille de Bidard. Il se laisse tomber sur le canapé, étire ses jambes en les posant sur la table basse et décide de retourner visionner son film. Le chien pose son museau sur sa jambe et remue la queue de plaisir. Il sent que son maître n’est pas aussi serein qu’en début d’après-midi, et lui lèche la main droite ce qui lui vaut une caresse sur la tête. La vie reprend ses droits. Bruce dans son uniforme barré de cartouchières avançait vers une ville, seul. Son fusil pendant à bout de bras, il évite de se faire repérer par des
groupes d’hommes armés vêtus d’uniformes bruns qui marchent en colonne sur une route et interpellent tous les passants pour vérifier leurs papiers. Bruce traverse au pas de course un terrain vague et se réfugie dans une des premières ruelles de la ville. Un cri plus loin, un homme en uniforme brun lui ordonne dans un sabir anglo-allemand-russe - que le traducteur n’avait pas compris puisqu’il n’avait pas pris la peine de sous-titrer - de s’approcher, le menaçant d’un fusil d’assaut Stg 44. Là Sorai se relève et commence à maudire le scénariste et l’équipementier du film. « UnSturmgewehr 44, sans déconner. Le fusil d’assaut des troupes allemandes. » Déjà que Bruce Willis dans son accoutrement ressemblait à cette photo noir et blanc de Capa représentant un brigadiste international fauché par une balle en sortant d’une tranchée pendant la Guerre d’Espagne... Ce n’est plus du rétro-futurisme, c’est du « On n’a pas les moyens de payer un styliste » ! Il laisse défiler le film. Une question le taraude : « Est-ce que le divisionnaire Giraud lui permettrait de s’occuper des soucis de Bidard ? » Le vieux aimait à diriger ses équipes sur des affaires qui lui étaient présentées d’en haut, de très haut même. Cette histoire d’enlèvement - ou de fugue - doublée d’une rivalité municipale ne portait aucune connotation nationale... sauf si quelqu’un décidait que l’attention portée au Sud-Ouest relevait de la Sécurité nationale... C’était peut-être une pièce à jouer pour se voir confier l’enquête. Des coups de feu attirent son attention vers l’écran : Bruce vient d’éliminer deux soldats qui tentaient de violer une jeune fille dans une maison tirée d’un catalogue Phénix. Il demande ensuite à la jeune femme des vêtements pour se changer et juste après s’enfuit avec elle dans une voiture d’époque garée devant la porte, une Simca 4 noire. Ils traversent un pont ferroviaire bombardé et passablement délabré pour atteindre l’autre rive du fleuve ou d’un détroit. Tout en manipulant la direction avec aisance, roulant sur des traverses à moitié arrachées, Bruce engage la conversation : - Alors cet homme que j’ai trouvé mort accroché à la portière était ton mari ? - Nous étions mariés de la veille et voulions rejoindre son frère à la capitale. - Ça ne te gêne pas que je porte ses vêtements ? - Crois-tu; je ne le connaissais que depuis trois jours. maintenant, c’est toi mon mari puisque tu as pris ses papiers pour traverser les lignes de front. Si tu veux, je peux te montrer à quel point je sais être docile... sa main glissant sur l’entrejambe de Bruce. - Attend, je conduis... « Bon » se dit Sorai. Là, il va se faire la fille. Il regarde l’heure à sa montre et appuie sur pause. La tension commence à monter, l’histoire et les personnages sont en place. Il décide de reporter la suite de l’action et claque des doigts, signal pour le chien qu’il est l’heure de quitter la pièce et de se réfugier sur les tommettes de la cuisine au sous-sol. Svatika connaît son maître, aussi bon soit-il, jamais la moindre hésitation quand il ne réagit pas au quart de tour. Le coup de pied aux fesses ne tarde pas. Debout, Sorai finit sa bière au goulot, puis direction la douche. Shampoing, après-shampoing, parfum... L’homme ragaillardi se mate dans le miroir au-dessus des doubles vasques obligatoires de toute salle de bain élaborée par une femme qui lit chaque moisCosmopolitanen version originale. Satisfait, il se sourit. Qui c’est qu’est Bruce aujourd’hui ? Puis Sorai revient au film : il appuie sur le « on » de la télécommande, mais c’est maintenant une jolie berbère qui pratique une fellation à un acteur tatoué au corps anabolisé;
« Qu’est ce que c’est que cette merde ? Attends dimanche prochain mon coco... » s’insurge-t-il, en parlant de Samir, tu vas voir si on peut me rouler ! 3 Pour se garer dans le Vème arrondissement, quartier Berthollet - chez le capitaine Siclieri - il faut d’abord s’armer de patience ou prendre la précaution de brûler un cierge avant de démarrer. N’ayant aucun des deux arguments dans sa musette, Sorai prend le parti pris de déposer sa voiture sur la zebra crossing du haut de la rue des Lyonnais, sise juste en face de l’entrée de l’immeuble. Il abaisse le pare-soleil pour laisser apparaître la plaque « police », par mesure de sécurité contre les rondeurs privés chargés de remplir les caisses de la mairie en enlevant les voitures mal stationnées. Devant l’huis, il appuie sur la sonnette qui débloque le loquet. Ici pas d’interphone. La gardienne, madame Dubus, est sur le pas de la porte vitrée de la loge, devant l’escalier. - Monsieur Sorai, eh bien il y a longtemps que l’on ne vous a vu dans les parages. La vieille femme, fidèle au poste, surveille toutes les entrées dans l’immeuble. Bigoudis et moustache tremblent à chaque pas de la grosse femme qui s’essuie les mains sur son tablier à fleurs, avant de lui en tendre une. - C’est parce que ce soir, c’est pot-au-feu à l’étage. - Alors amusez-vous bien et dites à Fabien qu’il a oublié son recommandé. - Je n’y manquerai pas dit-il en fuyant vers l’escalier ciré et l’étage. La bonhomie de la concierge cache - il le sait bien - une pipelette redoutable doublée d’une chienne de garde sauvage quand il s’agit de Siclo qu’elle connaît depuis l’enfance. Siclieri ouvre la porte avant qu’il n’atteigne le pallier du premier étage, les bras ouverts, comme si ils s’étaient quittés depuis des années, alors que la veille ils s’étaient croisés « chez Jules », le bureau du patron de l’Agence. Isabelle, sa compagne, plus sobre, sourit et l’embrasse sur les joues en l’accueillant dans le hall de leur appartement : - Bonsoir Jacques, comment vas-tu ? - Je vais, je vais avec mon lot de mauvaises nouvelles. Comment va Victoire, votre fille ? Concernant Isabelle, il préférait le vouvoiement. - Oh, bien je suppose. Elle est dans un lycée en Irlande. Elle perfectionne son anglais et apprend le gaëlique. Je crois que c’est une bonne idée pour l’avenir, ne dit-on pas que ce pays attire toutes les multinationales pour ses impôts avantageux ? Elle cligne des yeux pour lui avoir poser la question. Je pars la rejoindre demain pour les vacances de printemps, elles sont décalées par rapport à la France. Puis plus bas, alors que son équipier est parti chercher une bouteille dans la cuisine : « Cet éloignement est bénéfique, Fabien m’en faisait un vrai garçon manqué, ils sont très attachés l’un à l’autre. » La décoration du trois pièces avait changé depuis sa dernière visite. La présence d’Isabelle l’avait considérablement améliorée; au premier coup d’œil on y voyait d’abord l’appartement d’un mec. Au mur, face à la porte d’entrée, des photos encadrées du capitaine posant devant sa mythique Renault V automatique, du capitaine sur un voilier en vacances avec Isabelle et sa fille Victoire, du capitaine à New York... Il ne manquait que des paraphes sur celles-ci pour se croire dans un bar ou un restaurant italien vantant la présence de personnalités venues dégustées les spécialités du chef. C’est vrai, le frigo où le maître des lieux entreposait ses chaussures avait quitté le hall d’entrée pour être remplacé par un secrétaire de belle facture, des fleurs en pot étalonnaient les rebords de fenêtres, deux tableaux signés
se faisaient face dans l’entrée et surtout, surtout, les peintures avaient perdues cet aspect cigareto-déprimé qui teintent les murs des appartements des fumeurs de génération en génération. La touche féminine, sans doute. Siclieri, de retour de la cuisine, lui passe un bras autour de l’épaule pour l’attirer vers la pièce principale. - Eh bien, viens m’en parler autour d’un verre au salon, dit-il. Une façon de délimiter l’intime du professionnel. Il n’était pas courant que Sorai le dérange chez lui pour parler « travail », c’était plutôt l’inverse. Une fois installé dans un fauteuil Chesterfield qui avait dû connaître Churchill, il lui semble évident que la touche féminine a pris le dessus sur les aspirations décoratives du maître des lieux. - Ça a changé, hein ? remarque Sorai. En mieux s’entend. - Si tu avais fait les Arts Déco, je serais au courant. Alors oui, ça a changé mais ne dit pas de mal de ce qui existait avant où je parle de chez toi. J’ai des dossiers mon vieux ! Parle-moi plutôt de Bidard et de ses problèmes. Isabelle ne peut retenir un sourire et s’éclipse discrètement à la recherche de quelques excuses. Sorai prend une inspiration et débute son récit : - Tu te rappelles de Bidard. Après notre aventure en commun et sa blessure, l’administration lui a offert sa retraite et il est parti en vadrouille. En fait il s’est arrimé dans le Sud-Ouest. Vit le parfait amour avec « La Baronne » - je n’ai pas d’explication - dans un petit château qui jouxte un camping dont il est devenu propriétaire avec ses économies et ses pensions. La baronne - dans une autre vie - a eu une fille avec qui Bidard s’entend très bien et qui fait ses études à Paris. Jusque-là tout va bien. Le problème, c’est que la fille d’une vingtaine d’années ne donne plus de nouvelles depuis une semaine et que c’est totalement inhabituel. « D’autre part, le camping est séparé du château par un chemin communal qui donne accès direct à la plage. Depuis qu’ils ont obtenu de la mairie d’interdire le passage aux voitures, il semblerait qu’une campagne orchestrée par un des élus locaux se soient mis en place pour l’obliger à réouvrir l’accès. Ce qui trouble notre ami, c’est que cet élu voulait lui aussi acheter le camping. Il nous demande si on ne pourrait pas vérifier un peu ce qu’il advient de sa belle-fille... enfin, tu vois, c’est délicat... Je n’entre pas dans les détails, je résume mais sans tourner autour du pot, il y aurait de la pression dans l’air que cela ne l’étonnerait pas. » - Si je comprends bien, Bidard voudrait qu’on s’occupe de retrouver la fille de La Baronne dans un premier temps et vérifier la raison de l’acharnement de cet élu récalcitrant ? Pourquoi n’a-t-il pas fait appel aux services de police locaux ? - Ben tu vois, je crois que La Baronne n’est pas en odeur de sainteté auprès de l’administration. Il y a un passé, si j’ai bien compris. - Un passé ? - Bidard n’a pas été très précis, mais je pense qu’elle a séjourné en taule et que son château de famille n’est pas réellement un héritage mais une sorte de contrepartie. Je voulais t’en parler avant et peut-être si le patron est d’accord, prendre le temps d’y aller voir... Si Bidard m’a téléphoné, c’est qu’il y a forcément quelque chose à gratter pour nous... Je ne sais pas, qu’est ce que tu en penses, chef ? - J’appelle le Vieux, c’est lui qui décide. - A cette heure ? - Tu sais bien qu’il ne dort jamais ! Trois sonneries plus tard, Siclieri entre en contact avec son chef hiérarchique à qui brièvement il expose la situation puis raccroche. - Il nous attend demain à huit heures.
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