JUDAS, L’AMBASSADEUR ET MOI
212 pages
Français

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JUDAS, L’AMBASSADEUR ET MOI , livre ebook

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Description

Dans le Tanger du 19 ème siècle, anti chambre de l'Europe et de l'Afrique, Sidi Murad, alias Judas, se prépare à changer de vie. Il rencontre par hasard un Italien, ancien ambassadeur, agnostic et excentrique, amoureux de mots et de femmes. Judas, voit ses certitudes se diluer sous l'effet des mots, et au contact de la petite société mondaine de Tanger : Olga, Igorseff, Mardocchée, Guido, des personnes différentes avec qui il se sent bien. Pour traduire ce qui lui reste de ses certitudes, il n'a plus que la prière et son attachement amoureux pour Zoubeïda, sa promise, malheureusement convoitée par Hajj Omar, un assasin déguisé sous les traits de la notabilité de Fez, et qui avait fait de Judas son lieutenant pour son juteux commerce de plumes d'autruche. Judas dès lors n'entrevoit qu'une issue à sa vie : partir avec Guido en Toscane et découvrir le monde à partir de l'autre rive de la méditerranée. Dévoré par l'ambition il n'a plus qu'une seule hâte : revenir en conquérent et demander la main de Zoubeïda.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2022
Nombre de lectures 0
EAN13 9789954210733
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

JUDAS
L’AMBASSADEUR ET MOI
Roman
EditionsEditions
Marsam
Ateliers : 6, rue Oskofia (derrière BNDE) - Rabat
Bureaux : 15, avenue des Nations Unies - Rabat
Tél : 037 67 40 28 - Fax : 037 67 40 22
e-mail : marsamquadrichromie@yahoo.fr
Compogravure flashage
Quadrichromie
Impression
Bouregreg
Dépôt légal : 2007 / 0287
I.S.B.N. : 9954 - 21 - 073 - 3 JUDAS
L’AMBASSADEUR ET MOI
Roman
Bouchra Boulouiz
EditionsDu même auteur
— Une irlandaise à Tanger, Roman, Préface A.
Lahjomri,
Edition Centre Tarik Ibn Zyad-Juillet 2003

Couverture
Personnage - huile sur bois (43 x 22)
Nabili
Collection Marsam Il y a des choses qui ne peuvent être apprises
rapidement, et le temps, qui est notre seul bien, sert
à payer cher leur acquisition. Ce sont les choses les
plus simples, et, parce qu’il faut toute une vie
humaine pour les connaître, le peu de neuf que
chaque homme tire de l’existence lui est très coûteux,
et c’est le seul héritage qu’il ait à léguer.
Ernest Hemingway.

5Judas, L’ambassadeur et moi.

A Bachir,
A mon père, Sidi AbdelKader
A ma mère, Lalla Hanifa
6
Tanger 1890
7Judas, L’ambassadeur et moi.
8Judas
Dans les yeux de Judas, une lueur étrange passa.
Je m’approchai de son visage. Il gigota sur son
fauteuil. L’oblique de son œil gauche s’accentua. Gêné,
il fixa le plafond, puis le bout de ses babouches,
couleur crème.
Je mis de la distance entre nous. Il me jeta alors
un regard en coin, et, rassuré, il bâilla à s'en
décrocher la mâchoire. La sonnerie de la pendule du salon
vint troubler le silence. Il se mit alors à raconter
l’histoire de cet arbre qui devait son nom à un
empereur romain et dont la coloration de la fleur variait
selon la nature du terrain.
— Romulus Cosus Hydratus !
Il prononça assez rapidement ce terme, c’était la
manière savante de Judas de détourner l’attention de
lui. Puis il redemanda du café en nous expliquant
qu’il attendait justement un arrivage de café du
Brésil et de cigares de Cuba :
— Exclusivement pour toi, l’ambassadeur ! dit-il
en posant familièrement la main sur l’épaule de ce
dernier.
— Tou es romain, Judas ! Je m’en doutais un peu,
dit l’ambassadeur.
Le visage de Judas s’épanouit en un large sourire.
Le compliment lui alla droit au cœur.
Mais pourquoi donc Judas aurait-il tant voulu
être Romain ?
Judas fixait maintenant candidement Son
Excellence l’Ambassadeur, avec l’air de dire : " Ce
n’est pas moi. Mais enfin, comment aurais-je pu
9Judas, L’ambassadeur et moi.
faire une chose pareille ! "
— Ma… ma… Je ne comprends pas, Judas ! dit
l’ambassadeur. Tou aimes les choses difficiles,
ma… c’est bien ! Ma… pas n’importe quelle
chose !
La difficulté procurait en général à Judas une
jouissance particulière. Ayant forgé sa réputation sur
sa bonté et sa générosité, il cherchait des mots
aimables pour faire oublier ses actions tordues. Il
mettait une telle innocence dans son sourire qu’il
arrivait avec aisance à désarmer la situation.
Parvenant avec peine à dissimuler sa profonde
jubilation, il savait comment parler au vaincu, et il
arrivait par une manœuvre de diable à se mettre à l’abri
de tout soupçon, concernant son intégrité.
Cette fois-ci, l’ambassadeur s’impatienta dans
son fauteuil. Sirotant un cognac vieux d’âge, il finit
par intervenir indigné et dans un français plutôt
chaotique dont lui seul avait le secret, ponctué de
Ma… à la place de mais et de tou… à la place de tu.
— Ma… tou m’avais pas dit ça ! Ma… tou devais
être au rendez-vous et donner la chose…, come se
dicé… le samovar ! Ma… pourquoi tou mens ?
Judas, me prenant à témoin, répondit du tac au tac
qu’en tant que descendant direct de Moulay Idris, le
petit-fils du cousin et gendre du prophète Mohammed,
que Dieu garde intactes sa mémoire, celle de Ali et de
tous les Musulmans…, il ne pouvait mentir. Il n’était
pas un menteur. Puis, s’avisant que l’ambassadeur
était légèrement irrité contre lui, il ajouta : " Que
Dieu protège les Romains, nos ancêtres et les gens
du livre. "
Avec le temps, Judas s’était forgé une solide
réputation d’homme de science et, rendant grâce à Dieu,
il avait acquis une rhétorique particulière, bien à lui.
10Judas
Homme pieux par ailleurs, à chaque prière,
ponctuée par un Allah ou Akbar sonore, son prosélytisme
prenait de l’ampleur.
Savoir et foi se mêlaient dans son esprit et
formaient un ensemble qui le rendait impénétrable à ceux
dont il recherchait l’estime. Je faisais parti de ceux là
et l’ambassadeur aussi. Pour le reste, il était important,
voire vital, pensait-il, de ne rien révéler sur sa
véritable nature. Aussi veillait-il toujours à laisser ici et là
quelques zones d’ombre dans lesquelles il pouvait
faire retraite en cas de danger.
L’ambassadeur, se doutant de la grande légende
qui habitait l’esprit de Judas, s’indigna :
— Ma… Tou avais promis… Tou m’as trahi !
Ma… Tou es Musulman, tou ne dois pas trahir !
Silence méditatif de Judas. Un chérif, ça ne trahit
pas ? Et lui, ce chérif en particulier, éprouvait un
orgueil à l’égard de ses ancêtres qui avaient fui la
despotie en Orient et s’étaient lancés à la conquête
de l’occident africain, de l’Europe et de la
Méditerranée.
Il se vanta :
— Ma distinction naturelle me vient de là ! Il
coule dans mes veines une générosité typiquement
nubienne.
— Ma… Tou es Nubien ou Arabe ? dit l’ambassadeur,
curieux. Sais-tou que les Africains étaient des
Romains, ils lisaient et écrivaient le grec et le latin,
aussi bien que César.
Judas hésita. Etre Romain, Africain, Musulman et
arabe… Cela fait beaucoup non ?
Puis, il se jeta à l’eau :
— Les Arabes, à peine avaient-ils enterré le
Prophète, Dieu ait son âme, qu’ils se sont mis en
querelle les uns contre les autres, sans parvenir
11Judas, L’ambassadeur et moi.
depuis à la réconciliation. Par le grand Saint Patron
de Tanger, la baraka d’Allah a servi leur victoire !
Puis avec une petite pointe de fierté, il ajouta :
— Nous avons des ancêtres communs, alors,
l’ambassadeur ? Nous sommes pareils, tu vois, je te
l’avais dit !
— Si tou veux être mon cousin… nous pouvons !
Ma… Peut-être, faut-il que tou acceptes que les
Africains étaient aussi chrétiens, suggéra
l’ambassadeur.
— Ah non ! Romain, je veux bien ! Mais n’en
profite pas pour me placer Jésus Christ… et toute ta
Jahilya !
L’ambassadeur renchérit avec un épouvantable
accent où les mots en u devenaient en ou, le e
devenait é…
— La Ja… quoi ?
— La préhistoire des musulmans, en quelque
sorte, précisais-je.
Leur dialogue croisait le fer entre un humour
acerbe, teinté de relents de sincérité, et une sorte
d’apostasie savamment neutralisée, et finalement,
chacun retombait sur ses pieds, apportant la preuve
qu’aucune tragédie ne résistait à l’intelligence des
mots.
— Ma… La préhistoire, c’est de l’histoire aussi…
Elle est nécessaire pour comprendre l’histoire. Il faut
l’étudier attentivement. Ma… Si tou lis la
préhistoire, tou comprends l’histoire des hommes. Et tou
sauras que les premiers monothéistes en Afrique
étaient des Juifs. Que le roi Juba d’Afrique était un
helléniste. Que les romains du Maroc, Massinissa,
Apulée et Hannon, étaient d’excellents hellénistes
aussi. Que l’école chrétienne de Cyprien, de Saint
Augustin, a fait du latin la langue de relais…
12Judas
— Tais-toi, l’ambassadeur… Tu parles le langage
du Croisé… Vous voulez réoccuper l’Afrique sous
prétexte qu’elle fut chrétienne, avant d’être
musulmane.
— Ma… Je ne veux rien, moi ! Ma... tou as raison
c’est le parti colonial de l’Europe qui dit cela. Ma…
il n’empêche, que l’Afrique, avant d’être musulmane
et arabe, était juive et berbère, puis chrétienne. Puis
grâce à ces influences, elle a pu quitter l’univers
païen. Et l’Islam a pu en profiter à son tour. C’est ce
que l’on appelle le syncrétisme de toutes les
religions.

Puis, revenant à un sujet plus trivial,
l’ambassadeur dit :
— Ma… Tou dois comprendre qu’un être
rationnel ne peut avoir le comportement d’un primate !
Silence de Judas. Une jubilation profonde se
lisait sur son visage. Tantôt rationnel et tantôt
irrationnel, tantôt les deux, il tirait indifféremment
profit des bénédictions de chacun des États et voyageait
sans état d’âme, d’un temple à l’autre, d’un ancêtre
à l’autre. La rationalité dont il était question, Judas
n’en éprouvait guère le besoin. Muselés par la
despotie, ses ancêtres, avaient condamné la raison à son
âge d’or, pour en arriver à ce fatal résultat :
mélanger foi et loi, sciences et foi, esprit et matière.
L’ambassadeur devait sûrement savoir, lui, dont
l’esprit n’est occupé que par la science et… par les
femmes, ce que Judas ne savait pas encore ! La
patrie de l’ambassadeur, à coup de guerres, de
pogrom, de schismes, avait mis les idées de la
Renaissance à contribution pour cet autre fatal
résultat : séparer foi et loi, sciences et foi, esprit et
matière.
13
Judas, L’ambassadeur et moi.
Judas rappela quand même :
— Vous, vous séparez, nous on mélange… Mais
ne sommes-nous pas tous les enfants d’Abraham ?
— Si… et alors ?
L’ambassadeur fit mine de ne pas comprendre.
Judas tenta alors une diversion.
— La différence, c’est que vous Chrétiens, vous
travaillez tout le temps et en silence !
Silence de l’ambassadeur, absorbé par le ravissant
camaïeu orangeâtre qui s’organisait sur le canapé du
salon, sous l’effet des derniers rayons de soleil de la
journée.
— Et nous, les Musulmans, nous avons besoin
d’agitation et de bavardage, de légendes et
d’ancêtres… de tambours et de trompettes… Ne sommes
nous pas un peuple de la fête et de la joie !
Désarmé, l’ambassadeur se mit à rire.
— Judas, parle-nous plutôt de Fez, la ville aux
mille et une terrasses, qui a vu naître la légende de
Hajj Omar !
L’ambassadeur, familiarisé avec les
contradictions volontaires et involontaires, mais souvent
excentriques de Judas, connaissait ses multiples
facettes. Il les connaissait autant que moi. À la
différence que, j’y avais consacré un peu plus

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