L Apollon de Lillebonne
119 pages
Français

L'Apollon de Lillebonne , livre ebook

-

119 pages
Français

Description

L'Apollon de Lillebonne, sculpture exposée au Louvre, porte le nom de la petite ville du Pays de Caux où elle fut trouvée. Lillebonne fournit à l'auteur le motif initial de ce récit biographique. Texte traversé par les souvenirs issus surtout de la famille paternelle. La trajectoire sociale du père occupe une place centrale. Avec comme cadre du récit la ville du Havre, avant et après la seconde guerre mondiale. Dans la boutique du père, marchand de vin, se déroulent des échanges qui détermineront l'ouverture au monde de l'auteur.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2012
Nombre de lectures 24
EAN13 9782296492103
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait


© L’Harmattan, 2012
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-96539-3
EAN : 9782296965393

L’Apollon de Lillebonne

Du même auteur

L’Auréole de la peinture,
collection Ouverture philosophique,
L’Harmattan, Paris 2004.

L’Artdans sarelationau lieu,
ouvrage collectif sous la direction de DominiqueBerthet,
collection Ouverture philosophique,
L’Harmattan, Paris 2012.

Gisèle Grammare

L’Apollon de Lillebonne

Récit biographique

L’Harmattan

ur le toit de tuiles rouges de la maison d’Octeville, près
S
du Havre, un chat en faïence courait après un oiseau
blanc comme lui. Située un peu à l’écart, on la voyait de
loin sur la route d’Etretat, mes parents l’appelaient le petit
chalet.Dans le jardin poussaient des camélias rouges que
ma mère aimait, longtemps après avoir quitté la maison, elle
en parlait encore.De part et d’autre de l’étroite allée
centrale recouverte de petits cailloux blancs,
s’arrondissaient des poiriers et des pommiers en espalier. Je
grimpais dans le cerisier le plus accessible, celui dont le
tronc se divisait en une fourche.De là j’apercevais les
champs et la cour de la petite fermière chez qui nous
achetions le lait.Derrière la maison s’allongeait un grand
garage où mon père garait sa traction avant noireCitroën,
une neuf chevaux, elle côtoyait les lapins quel’onélevait,
jusqu’à cinquante,paraît-il.Maisc’estàvélo,très souvent,
qu’il partait lelong descheminsalentourarracher pour
eux,toutes sortesd’herbes.Il revenaitavec de grands sacs
detoile dejute,sanglés sur leporte-bagages,pleinsà
craquer.Lepoulailler se cachaitaufond,sur le côté dela
maison.Prèsdelaporte dela cuisine,sortait souvent le
soir,uncrapaud.Jenourrissais les poulesencriant pour
qu’ellesaccourent: «Ah les poules!»,mamère enavait
peur.
Nousélevionsaussi des sourisblanchesdestinéesau
laboratoire,undémarcheur zélé avait suconvaincre du

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L’APOLLONDELILLEBONNE

bénéfice facilement obtenu par la revente de ces animaux se
reproduisant si vite. Ma mère n’appréciait pas non plus les
grenouilles vertes de jardin que j’attrapais à main nue dans
l’herbe ou au bord d’une mare où nous allions souvent
attendre qu’elles sautent sur le bord. Je les mettais dans un
bocal rempli d’eau et pourvu d’une échelle de fortune, afin
de savoir s’il ferait beau.
Ce matin, 12 mars 2011, si loin de ce souvenir
d’enfance, en pensant toucher la jeune pousse d’une feuille
de tulipe naissante, une petite grenouille verte a bondi hors
d’une jardinière le long de la terrasse où je surveille avec
impatience les prémices du printemps, heureux présage ?
Un jour on entendit gémir devant le portail,
quelqu’un avait jeté un chien hors d’une voiture et s’était
enfui.Après avoir été nourrie et soignée dehors pendant
quelques jours, Rita fut adoptée.C’était une petite chienne
rousse à poil long. Mon père était très fier qu’elle saute par
— dessus le feu, dans le jardin, pour le suivre. Il pleura
quand elle mourut sans avoir pu mettre ses petits au
monde, j’en fus bouleversée. Ma mère racontait l’histoire de
la chèvre de Monsieur Seguin, je pleurais aussi. J’avais
appris à aimer les animaux.
Avant cela, rueCasimirDelavigne, où mon père
était marchand de vin, au Havre, mes parents avaient deux
chats. Titine, la mère eut la bonne idée de dissimuler à la
cave, dans le tas de charbon, le futurBambouli, seul
rescapé d’une portée qui fut noyée. Quand on le découvrit,
il était déjà trop grand, alors on le garda. Titine avait
appartenu à ma grand-mère paternelle, et ne se laissait pas
toucher par ma mère qui la craignait.C’était une chatte
noire, demi-angora, qui restait été comme hiver couchée

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contre la vitrine du magasin.Bambouli était noir aussi, mais
à poil court. Ils furent mes premiers chats noirs, héros
d’une longue dynastie qui accompagne ma vie encore
aujourd’hui. Un jourBambouli disparut, on raconta,
comme on l’entendait souvent dire en ces années de
rationnement d’après-guerre, qu’il avait sans doute été volé
pour être mangé.
Quelques photos prises aux printemps 1946, 1947 et
1948 nous montrent ensemble ou séparées ma mère et moi.
Nous sommes dans la rue ou au jardin de l’Hôtelde Ville
encore dévastépar la guerre.Les photosen noiretblanc
laissentdeviner leshabits neufs, clairsetfraîchement
repassés.
Puis nousavions quittélarueCasimir,comme
disaient mes parents,pour nousinstaller,pendant plusde
deuxansà Octeville.
Devant lamaison, exposée au sud,s’ouvrait le
window,une espèce depetit jardind’hiver, entièrement
vitré,peintenblanc.Lewindow,unempreintfait sans
doute auBowWindowsdes
maisonsanglaisesd’outreManche.Bien plus tard, en plus luxueux,j’aireconnu
quelque chose de ce genre dans lejardind’hiverdela
maisonde VictorHugo,Hauteville house, àGuernesey.
En traversant laroute d’Etretat,nousallionschez
Marie-Rose,unepetite fille demonâge, elle habitait une
maisonau solen terre battue.Samère avaitconseillé de
conduiremonfrère, âgé deseizemoiset quinemarchait
pasencore, aucalvairesitué àuncroisementde chemins,
superstition paysanne àlaquellemamèretrèscitadine,ne
croyait pasdu tout.Lescalvaires,très nombreuxdans la
campagne, étaientainsil’objetdemultiplesdemandes.

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Quelquefois, nous descendions au bourg à pied,
mon frère dans sa poussette, la route était en pente. Le
centre d’Octeville apparaissait en creux coupé par la route
d’Etretat qui faisait un large virage. Je me souviens d’une
grande épicerie fine où l’on trouvait tout.Au jour de l’an,
les bons clients avaient droit à des étrennes comme ces
moulages de plâtre peints en brun, représentant une scène
champêtre, ils ornèrent longtemps un mur de cuisine.
D’autres fois nous prenions le car gris pour aller au
Havre.
Autour de quelques photographies, les souvenirs de
ces moments passés au Havre se reconstituent. Sur l’une
d’elles, datant de l’époque où nous habitions encore rue
Casimir, j’apparais bien petite et intimidée, j’ai deux ans,
guère plus, au troisième rang d’une grande photo de
groupe, soutenue à mi-corps par ma mère et ma tante pour
qu’on me voie un peu.Devant sont alignés des enfants de
trois à cinq ans environ. Il y a des danseuses en tutu, une
petite niçoise en costume régional, un jeune garçon de café
tenant de la main droite un plateau miniature en
aluminium, sur lequel s’accrochent des tasses et des
soucoupes, près de lui, un curieux prince arabe à la
moustache charbonneuse.Dans les rangs suivants, à
l’arrière, on retrouve un peu la même distribution de
costumes. Les coiffes blanches ornées de broderies aux
styles de toutes les régions deFrance, où presque,
émergent. On remarque aussi des clowns, des
bohémiennes, des fakirs.Matante Juliette est la créatrice du
costumequejeporte,jesuisdéguisée enPetitChaperon
rouge, avecun joli bolérodevelourset unbéguindu même
tissu noué d’un rubanautourducou.Cesbalscostumés

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d’enfants se déroulent au Mardi gras ou à la Mi-Carême, au
Casino Marie-Christine sur le boulevard maritime, face aux
bains de mer du même nom.
L’année suivante j’ai grandi. Je suis au premier rang
de la photo, à ma gauche un grand Pierrot, à ma droite, un
joueur de tambour, plus loin, un charmant couple de
marquis, âgés de cinq ou six ans, très élégants. Ma tante a
confectionné avec l’aide de ma mère un costume de fée. La
longue robe blanche est en tulle doublé de satin, avec un
empiècement brodé. Je suis coiffée d’un long chapeau
pointu décoré d’étoiles et je tiens à deux mains bien serrées
une belle baguette magique.
Pas de photo de groupe pour la dernière année des
bals costumés, il ne me reste qu’une photo en solitaire.A

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