L éveilleuse
90 pages
Français

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Description

Éva, jeune architecte en errance part à la rencontre de son destin. Sa dérive planétaire l'amènera à se découvrir et à rendre meilleurs ceux qu'elle rencontre, parfois à leur insu. Un roman initiatique aux dimensions mystiques, érotiques et politiques.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 10 février 2012
Nombre de lectures 16
EAN13 9782312119601
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0250€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’éveilleuse

Ramdane Issaad

L’éveilleuse

LES ÉDITIONS DU NET
70, quai Dion Bouton 92800 Puteaux




A celle qui se reconnaîtra


Du même auteur :
Romans :
Inconnu à l’adresse indiquée , L’Harmattan.
Rushes , Seuil.
L’Enchaînement , Flammarion.
Laisse-moi le temps , Denoël.
Pégase , Denoël.
Le vertige des Abbesses , Denoël.
A Flux Tendu , (Kindle Amazon)
Papy Boum , Les É ditions du Net

Essais :
La dictature d’Hippocrate , Denoël.

En anglais
Fault lines , (Kindle Amazon)


© Les Éditions du Net 2012
ISBN : 978-2-312-11960-1



1
« Les mots sautent d’arbre en arbre, comme des singes, mais dans l’obscur domaine où l’on prend racine, on est privé de leur amicale entremise. »
Robert Musil
L’homme sans qualités
La fièvre est tombée. É va se sent comme son jean, brûlée par la lumière, délavée par la vie. Elle a eu trente ans hier. L’âge où je me tuerai, s’était-elle juré quand elle en avait quinze, et ce matin, elle est là, bien en vie, plutôt gironde d’après les types qui l’ont aimée. Pourquoi continuer ? Pas de réponse, le ciel est muet, les sternes s’affolent au dessus du phare, une éclaireuse s’approche en frôlant l’écume. Les marées d’octobre ont vérolé la plage de bouteilles en plastiques. Rêves d’été qui s’évanouissent. Ici même, en août, elle croyait encore au bonheur. Pauvre tarte ! Le bonheur, les sentiments, tout ça c’est rien que du réchauffé ! Du rance ! Il n’y a rien à espérer. Elle soupire, une algue qui allait et venait dans le ressac s’immobilise, les minutes filent, un petit vent tiède s’est levé ; c’est merveilleux, elle flotte comme l’algue au milieu des vagues, loin du monde et de ses mensonges, elle n’attend plus personne, personne ne viendra la délivrer, elle est libre. Ses ultimes prisons se sont consumées hier devant la petite cabane de roseaux. Autodafé privé. Elle a brûlé ses derniers souvenirs, ses livres, ses plus beaux oripeaux, désormais tout peut arriver, elle s’en fout.
Les cendres et les chiffons noircis tourbillonnent. Quelques bouts de robes, un feuillet du Yi King, une couverture de Bible, un paquet de tarots rongés émergent encore du tas grisâtre ; le Rimbaud relié pleine peau est resté presque intact, le premier pourtant a disparaître en crépitant dans les flammes. Les mots l’épuisent, elle a décidé d’en finir avec leur vacarme, sans tricher. Planqué dans un petit coffret de cuir brun au fond de sa poche, son jeu des anges la démange. Pas grand chose, juste un paquet de petits cartons nunuches pour midinettes en mal de vivre. Avant, chaque matin, elle en tirait un au hasard. C’est fini ma poule, va falloir trancher. Un sanglot lui monte, une bulle d’enfance qui s’en vient crever comme un chiot au bout du rouleau. Il faut tout sacrifier. Le clapotis de l’eau reprend, annonciateur de tempête ; il n’y a jamais de repos, même pas pour la flotte. Elle s’accroupit au ras des vagues, lance un galet de toutes ses forces, il rebondit une fois, deux fois, une vague le happe. Le moment venu, elle sera cette pierre, elle plongera sans regret. De l’autre côté de la baie, la ville se découpe en chicots sombres dans le contre-jour tendre de l’aube. Bientôt, les derniers touristes arriveront, des retraités qui profitent des prix de l’arrière-saison. Ils se joueront la comédie des vacances, pépé jouera à la pétanque, mamie tricotera en radotant dans le vide. « Il paraît qu’on appelle ça l’été indien, il fera beau demain, n’est ce pas ? » Et ils cligneront de concert leurs paupières parcheminées pour guetter à l’horizon les nuages montants du grand large. Avant, elle haïssait les vieux, à présent que la fièvre est tombée, elle les observera comme au zoo. C’est ça, l’amour.
Tout près de l’ongle de son gros orteil, un bébé crabe fouille frénétiquement le sable, paniqué par cette chose immense qui dérange la tranquillité du rivage. L’animal semble la fixer de ses minuscules billes noires. Que sait-il de la mort ? Si elle l’écrase, qui le saura ? Et elle, si elle vire putain et qu’elle en crève, qui ça gênera ? Elle réalise soudain qu’elle s’en moque comme du reste, qu’elle a seulement faim, soif aussi, de vin et de sexe. Dans la cabane, il reste un peu de café, un quignon sec et un morceau de chèvre dur. Elle s’en contentera ; mais le jeu des anges lui brûle toujours les doigts. Elle résiste encore. « Quel mal y a-t-il à ça ? » Elle sait bien qu’elle est comme tout le monde, prête à s’accrocher à n’importe quoi plutôt que d’accepter le chaos qui fait mal. Il n’y a rien, pas plus d’anges que de vérité. Banco. Les oracles de carton s’éparpillent sur l’eau grise, un retardataire surnage un instant et comme par hasard, c’est le mot « amour » qui flotte dans un remous avant de sombrer. « C’est drôle, songe-t-elle amusée, aujourd’hui j’en rigole mais demain je pourrais aussi bien en chialer… ». Et son animale fringale de vivre reprend le dessus.
Manger, picoler, baiser, dormir, oublier et puis recommencer, voilà, ce sera simple. Elle veut la paix, rien que la paix. Un pas, un autre pas, une idée bleue qui s’envole, une autre qui revient, bien noire, bien visqueuse. Elle remonte la dune pieds nus, le sable est encore frais de la nuit, dans une heure il sera impossible d’y marcher. Elle a déjà tenté l’expérience en serrant les dents pour voir jusqu’où elle tiendrait. Elle n’a pas tenu, et elle s’est dit que Jésus non plus quand il a gémi :« Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Silence, le vide la dissout. Marre des discours et des prières ! Elle n’aura plus d’autre foi que celle de l’instant ! Où est-il ce miracle ? Là-bas, où alors ici, à ses pieds. Emporté par un glissement de terrain, un scarabée pataud vient de capoter sur le dos. Elle le retourne d’un doigt léger, comme ça, juste pour le plaisir de découvrir sa carapace irisée de vert. Pas de morale, pas de projets ; elle ira là où le vent la pousse, et plus vite ça finira, mieux ce sera. Elle pense à son gosse, à cette garce de juge qui a dit : « Il lui faut une vie de famille, vous aurez un droit de visite… ». Elle avait raison, la juge, il n’y avait pas d’autre solution. La petite cabane de roseaux flotte soudain au loin, toute trouble au milieu des herbes jaunies. Le chagrin revient. Ce putain de blues qui lui poisse l’âme, elle n’en veut plus, elle n’en peut plus ! Elle sent qu’elle pourrait rester là à chialer jusqu’à en claquer, mais à quoi ça sert de se lamenter sur son sort ? L’instant est là, impeccable, elle a une forme d’enfer, un corps de battante, et il fait beau. Elle se retourne, les yeux secs ; en bas, un goéland pique droit sur le miroir de l’eau et remonte plein gaz, un poisson brillant tout gigotant dans le bec. C’est ça la vie, ma cocotte ; du plaisir et de la tripe, faut de l’estomac mais pas trop de coeur. A l’horizon, le soleil rouge a l’air d’un nez de Gugusse, la nuit s’en va mourir dans les bacchantes sombres qui s’effilochent au large et les larmes reviennent, aveuglantes. Il n’y avait pas d’autre solution. Si au moins elle avait eu un boulot, elle aurait pu le faire garder, mais elle n’arrivait même plus à donner le change, elle s’est laissée glisser. Ces nuits dingues où elle faisait n’importe quoi, les joints, le champagne, des boîtes de capotes dans les chambres d’hôtel, des ombres qui passaient, la prenaient, la jetaient. C’est Paul qui avait commencé, lui aussi avait des maîtresses, mais la juge n’a rien voulu entendre, et Paul a trouvé des témoins, des vrais, des gens corrects qui ont raconté qu’elle n’était qu’une traînée. Ils n’ont rien voulu entendre. Elle ne cherchait pas à s’envoyer en l’air, elle voulait un homme, juste un à elle, et il a fallu qu’elle tombe sur Kamal. Ca n’a rien arrangé. Kamal est mort, sinon il aurait écrit… Kamal… L’amour nomade englouti par les sables ; Kamal ne reviendra pas. Elle sourit à la douleur qui lui semble so

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