L'homme allongé et autres nouvelles… , livre ebook

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À cœur perdu : Quand on est aussi vieux que Thor, tomber amoureux d’une jeune artiste peintre réserve bien des surprises… pas nécessairement celles qu’on aurait pu imaginer. L’homme allongé : Qui est cet homme et pourquoi est-il allongé par terre chez Marguerite, dominatrice septuagénaire de grand renom ? Une belle-mère à durée indéterminée : Quelle tragédie lorsqu’une mère voit son fils unique la délaisser pour une femme trop jeune pour être à la hauteur de ses exigences… Roméo en Juillet : Un croque-mort qui prend son travail au sérieux a-t-il le droit de tomber éperdument amoureux d’une Valentine légère et volage ? Une tête en trop : Lorsqu’on a vingt ans, perdre la tête est, somme toute, une occurrence assez courante et on arrive à s’en remettre assez facilement. Mais quand on a soixante-dix ans ? Un hématome sur l’épaule : Le golf est un sport d’une grande violence, qui l’eut cru ? La mort, cette empêcheuse de tourner en rond, est le fil rouge qui sinue d’un récit à l’autre pour nous rappeler que nous sommes sur terre en location de courte durée et qu’il suffit parfois d’un événement anodin pour que le bail soit annulé…
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Publié par

Date de parution

20 juin 2016

Nombre de lectures

0

EAN13

9782955690512

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

1 Mo

Édith Couture Saint-André
L’homme allongé et autres nouvelles...

Il faut de tout pour faire un monde. Il me faut toi pour faire le mien.
anonyme
1
Thor ne serait pas devant la porte de cette immense maison s’il n’en avait pas fait la promesse solennelle à Halvor, son petit-fils, terrassé par un rhume qui menace de se transformer en bronchite.
Résolument rouge, la porte brille de toute son effronterie, se dresse en effigie rebelle face à un paysage opiniâtrement Hitchcockien : neige épaisse et ronde dressée en palissade, arbres aux bras macabres, volutes de fumée éphémères et boisées, consommées illico et sans modération par un vent sec, aigu et sans merci.
Le soleil brûle ses prunelles par réverbération, il a froid, il veut rentrer chez lui, hésite entre son devoir sacré de grand-père et son envie de fuir à toutes pompes. Bref, on l’aura compris, Thor est un grand timide ce qui la fout assez mal pour l’homonyme du dieu du tonnerre mais, que voulez-vous, à son âge, on ne se refait pas. De plus, comme il a passé sa vie à soigner des malades à la campagne, là où les paysans sont des taiseux – tout comme lui du reste – ça ne s’est pas arrangé avec le temps, loin s’en faut.
Alors, il procrastine, tergiverse et délibère en circuit fermé de l’utilité de signaler sa présence en appuyant sur la sonnette d’alarme, sauve qui peut, est-ce vraiment indispensable, pourquoi ne pas glisser ce foutu journal sous l’effigie contestataire, tourner les talons et rentrer se mettre à l’abri des autres.
Malgré tout, et bien à contrecœur, il éprouve de la reconnaissance envers cette effrontée car elle excave des profondeurs ataviques de sa mémoire des images enfouies, estompées par le temps, floutées par la distance et qu’il croyait disparues. Crayonnées avec application de sa main enfantine, les images des maisons peintes de jaune provocateur, de bleu cérulé, de rouge ardent, se dressent avec fierté devant des fjords éternels, lunaires et glacés.
Mais ce matin, loin des aurores boréales de son enfance, empêtré dans sa corpulence, Thor est tenté de glisser le journal dans la boîte aux lettres, pourquoi pas, ça se fait, si, si demandez à n’importe quel facteur, pour ensuite sonner et déguerpir. Ou ne pas sonner et déguerpir. Mais une promesse est une promesse, faut pas exagérer et, surtout, il aurait l’air de quoi ? Alors il sonne. Et attend.
Il n’est pas déçu, la porte s’ouvre sur un ange.
Jamais vu une femme aussi belle ! En tout cas pas en vrai. Au cinéma, à la télé bien sûr. Mais en personne, jamais. Du coup, il reste planté sur le pas de la porte comme un demeuré dont les traces d’intelligence se seraient fossilisées au fond de sa cervelle. Indépendamment de sa volonté, ses grandes mains se mettent à rouler le journal en un télescope de plus en plus serré.
Halvor l’avait prévenu pourtant, avait chuchoté son secret tout en coulant profusément du nez :
« Tu sais grand-père, Lucie ? Eh, bien sa jambe n’est plus du tout cassée ».
« Ah, bon ? »
Le petit avait hoché la tête avec véhémence, ce qui n’avait rien arrangé côté écoulement nasal.
« Tu gardes pour toi, hein grand-père ? Mais elle aime bien que je continue à faire des courses pour elle. Et tu sais quoi grand-père ? »
« Non, quoi donc ? »
« Elle me donne des cours de peinture » avait-il confié tout en abaissant les paupières pâles et tragiques de l’amoureux du dix-neuvième siècle. Il s’était mouché en trompette et avait soupiré.
« Tu verras grand-père, tu verras comme elle est belle Lucie. On dirait une princesse ».
Mais Halvor a neuf ans et les princesses font partie de son quotidien, ce qui fait que Thor avait sourit et bordé le petit avant d’enfiler son manteau et ses bottes pour aller s’acquitter de sa mission.
Il aurait mieux fait d’écouter. Parce que même si les dieux scandinaves sont tout aussi héroïques et courageux que leurs confrères de l’Olympe, ils ne sont pas immortels, eux. Les dieux d’Asgard peuvent mourir.
Et souffrir.
Physiquement et psychologiquement.
Et Thor comprend pour la première fois de sa vie ce que tout cela signifie, sait avec certitude qu’il va souffrir, qu’il a même commencé à le faire ici même sur le pas de cette porte et que ce n’est pas près de s’arrêter parce que, de toute évidence, le coup de foudre c’est pas pour les pétochards, en tout cas pas pour les fragiles du myocarde comme lui.
Il pense à La Liste , pose une main en factionnaire sur sa poitrine et avec l’autre, tend le journal devenu la perche qui doit le sauver.
Investi de tremblements spasmodiques et de balbutiements erratiques Thor déglutit, annonce qu’il s’appelle Thor, qu’il est là en tant que grand-père d’un petit-fils enrhumé, qu’il a promis… euh, que Halvor lui a demandé… désolé, je vous dérange, je vous laisse.
Vive, la princesse tend la main, attrape le bout du journal qui est à sa portée et sourit.
« Vous ne me dérangez pas du tout. Au contraire. Vous avez bien une minute ? J’ai fait du chocolat pour le petit, nous partagerons ».
Elle recule en tirant la porte, en le tirant lui aussi par la même occasion vu qu’il n’a pas lâché son bout de perche.
« Ne restez pas là, vous risquez de prendre froid ».
Pris de vitesse, il tente quand même d’ouvrir la bouche pour prétexter d’un rendez-vous, de quelque chose, n’importe quoi qui lui permettrait de repartir avec sa dignité indemne et un cœur intact mais l’odeur du chocolat arrive à ce moment-là, alors il lâche le journal et la suit à l’intérieur.
Elle désigne une pièce sur la gauche, l’invite à s’y installer, lui dit qu’elle revient tout de suite et Thor prend un instant pour la regarder s’éloigner le long du couloir qui mène au fond de la maison. Elle est presque aussi grande que lui, ce qui n’est pas peu dire, et sa chevelure argentée flotte sur ses épaules, légère comme les ‘cheveux d’anges’ avec lesquels il a décoré son sapin de Noël.
Quel âge peut-elle bien avoir pour dégager à la fois autant de jeune énergie et de solide affirmation ? La quarantaine ? Pas encore cinquante en tout cas. Sa peau est lumineuse et ses cheveux sont du blanc des très jeunes enfants, pas celui des vieilles personnes. À ses côtés, il fait vieux monsieur sexagénaire dont le cœur peut lâcher à tout moment, un cœur qui lui a valu d’être inscrit sur La Liste, celle des receveurs en attente de donneurs.
Il soupire et entre dans la pièce qui est en réalité un vaste atelier au plafond en verrière, aux murs recouverts de tableaux, pas un centimètre de libre. Il y en a par terre, appuyés les uns sur les autres à même les huisseries et deux autres sont en train de sécher, lui semble-t-il, sur leurs chevalets respectifs. Au fond à droite, des bûches flambent dans un âtre où l’on pourrait faire tourner un bœuf en broche.
Il admire les huiles rutilantes de lumière, débordantes de sensualité. Les couleurs impétueuses, épaisses et gourmandes, donnent à Thor l’envie de toucher, de goûter presque. Il enlève un gant, approche un index prudent pour caresser, ici, le bleu d’une nuit tourmentée, là, le rose d’un pétale qui semble vouloir se décrocher pour flotter jusqu’au sol et, un peu plus loin, le rouge orangé d’une lune d’automne sur les blés gras et barbus d’un champ immense.
« Que pensez-vous de mes œuvres ? »
La voix qu’il n’attendait pas est si près de lui qu’il manque de sauter hors de ses bottes.
« Je suis désolée, je ne voulais pas vous effrayer. Donnez-moi votre manteau s’il vous plaît, voilà, et asseyez-vous, asseyez-vous, la crème chantilly est servie à part, c’est comme ça que Halvor préfère ».
Cœur battant, il gagne le fauteuil qu’elle désigne d’une main aux doigts longs et fins, tachés de couleurs. Elle sourit, prend place de l’autre côté de la petite table qui sépare leurs deux fauteuils et sur laquelle elle a posé un plateau. Des deux mains, elle soulève une énorme chocolatière et remplit leurs tasses d’un liquide mauve et mousseux.
Ses gestes sont longs et souples, son pull améthyste rappelle la couleur de ses yeux. Il la regarde mettre un iceberg de crème à flotter dans sa tasse, ramener ses jambes sous elle pour se pelotonner comme une chatte sur les coussins. Son regard pétille au-dessus de sa tasse et sa joue se creuse d’une fossette.
« Votre père s’appelait Odin ? »
D’un coup, la réserve de Thor tombe par terre et son rire fait trembler les petites cuillères dans leurs soucoupes.
« Presque. Il s’appelait Odon. Et avec Halvor, on reste dans la tradition Norvégienne ».
« Un rhume m’avez-vous dit ? »
Thor fait oui de la tête, avale une gorgée du nectar chocolaté et allonge ses jambes vers les flammes.
« Il parle du nez et il tousse. Il sera sur pied dans trois ou quatre jours ».
Il fait un tour visuel des murs encombrés de tableaux, revient vers Lucie.
« Vous avez beaucoup de talent. Bravo ».
« Venez, je vous fais la visite guidée ».
Tasses à la main, ils font le tour des œuvres, ici des paysages, là des natures « vivantes » précise Lucie et Thor acquiesce. Il serait mal venu, voire inconvenant de parler de natures mortes en contemplant des fruits dans lesquels on voudrait mordre, des légumes qui donnent envie de se mettre à la cuisine vapeur.
Et des fleurs.
Des fleurs sur lesquelles Thor se penche, persuadé d’y humer le parfum sucré des roses, l’odeur charnelle et envoûtante des lys, la senteur subtile de pivoines blanches au cœur carmin. Encouragé par Lucie, il pose un index sur le pétale rouge d’une tulipe dont la texture troublante rappelle celle d’une peau émue.
« Venez » lui dit Lucie.
Elle prend sa main et ouvre une porte qu’il n’avait pas remarquée.
« Ici, je range les portraits ».
Thor entre dans un monde peuplé de visages. Pour la première fois de sa vie, il a envie d’adresser la parole à ces gens qui le regardent, qui lui sourient avec bienveillance, qui semblent heureux de le voir.
Deux heures plus tard il en est à sa troisième tasse de chocolat qu’il avale en comprenant avec fatalisme qu’il est perdu, pour de bon, se dit ça avec le désespoir indulgent et optimiste que l’on réserve au

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