L  OU GENEALOGIE D UN AGENT DOUBLE   RECIT
90 pages
Français

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L' OU GENEALOGIE D'UN AGENT DOUBLE RECIT , livre ebook

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Français

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Description

Ainsi , à part l'aphasie et quelques jurons anglais poussés à l'occasion d'un coin de table manqué, l'héritage paternel et la alngue chinoise se limitèrent pour nous à ces trois propositions : les chinois, à présent, mangent tous à leur faim; la police de Tchang Kaï tchek noyait les gens dans la merde; aux Etats-Unis, quand on triche au poker, on prend cinq balles dans le ventre.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2011
Nombre de lectures 138
EAN13 9782296465442
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-55204-3
EAN : 9782296552043

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
(L’) ou généalogie d’un agent double
Du même auteur


Philosophie

Lignes d’erres, L’Harmattan, Paris, 2006.
Béatrice Han Kia-Ki


(L’) ou généalogie
d’un agent double


récit


L’Harmattan
Chapitre I


(L’ ) est un agent double. C’est un agent secret dans l’ordre de la pensée. C’est un agent secret dans l’ordre du sensible. Entre les deux domaines de la réalité, (l’) n’a pas pu choisir de quel côté aller, d’abord parce qu’il fallait avant tout exister et puis qu’(l’) est métis, qu’elle n’avait pas de pays, de racines, d’alibi : seulement deux panoplies, un père, une mère qui fonctionnaient chacun dans deux sortes d’histoires, de langues et d’enfants.
(L’) est un agent double, mais ce n’est pas son métier. Un métier, ça se change, ça demeure contingent. Pour elle, c’est différent, c’est comme ça qu’elle est née : qu’(l’) est. L’histoire d’(l’) est très simple: (l’) n’est pas compliquée. Car, c’est le fait des choses de n’être jamais simples, d’être toujours complexes, mélangées et contradictoires. (L’) est un agent double, l’agent fidèle des choses qui ne sont jamais simples, leur conversation lente, leur existence errante, la liaison silencieuse de leurs longues envies, l’alternance infinie d’un non-récit sans fin.
Les choses commencent comme ça. Il y avait deux camps et pas d’Eurasie.
Comment naît-on agent double puisque cela ne s’apprend pas et que l’on ne choisit pas ? Cela dépend tout d’abord du nombre de frères et sœurs, du lieu où l’on est né et des données de la démographie. C’est une affaire de géographie, une question de situation.
À l’époque, un enfant sur quatre était chinois. Ils étaient quatre enfants, deux filles et deux garçons. Deux étaient nés à Lille, deux autres à Nancy, de père chinois et de mère française. Les quatre étaient français par leur lieu de naissance car, à cette période-là, il suffisait qu’on naisse sur le sol d’un pays pour hériter de droit d’une nationalité. Mais, cela ne signifiait pas que leurs parents étaient tous les deux français. En effet, même quand on se mariait avec une française et que l’on travaillait et résidait en France depuis plusieurs années, il fallait faire la queue au bureau des immigrés pendant au moins dix ans, surtout quand on venait d’un pays étranger à l’identité de la démocratie : la Chine communiste avec tous ses enfants répartis dans le monde, aussi inassignables que non identifiables, invisible menace dans le contexte mondial de la guerre froide. Notre père élevait donc des enfants étrangers en pays étranger ; notre mère se mariait, enfantait et vivait avec des gens étranges qui ne lui ressemblaient pas, n’étant d’ailleurs elle-même ni Lilloise ni communiste, de mère repriseuse et de père élevé par l’Assistance publique, de surcroît fille unique.
Nous étions quatre enfants, deux filles et deux garçons, nous avions deux parents : les quatre étaient chinois aux yeux des vrais français, mais aucun de nous quatre n’avait la moindre idée de ce qu’était la Chine. Nous n’étions ni lillois ni chinois d’origine, tout le monde vivait à Lille, personne n’allait en Chine et dans l’impossibilité où nous étions chacun de parvenir ainsi à naître quelque part, nous serions tous tombés dans l’absence d’Eurasie sans la démographie et ses chiffres implacables, le courage et la force de ce couple infernal qui persistait à croire à l’amour et à l’eau fraîche.


Les choses auraient été très simples s’il nous avait suffi de n’être pas français pour devenir chinois ou de ne pas naître chinois pour être un vrai français.
Forts de l’application du principe de noncontradiction et du tiers-exclu, nous nous serions contentés d’être seulement français de nationalité en distinguant d’emblée la question des papiers, du problème plus profond de notre identité, par une sorte de truchement très habile des idées qui nous aurait sauvés de la non-Eurasie. Nous aurions pu sinon laisser-là la logique, faire fi de la raison, choisir de devenir aussitôt schizophrènes, grandir dans deux pays, penser dans deux systèmes, éduquer nos parents à nous cohabiter dans deux moitiés coupées qui ne communiquent pas. Nous aurions dû peut-être imaginer un lieu, une sorte d’alliance ou un passage secret qui nous aurait liés sur ce sol étranger et revêtus du droit de répondre à l’école à tous nos camarades, que nos cheveux très drus, impossibles à coiffer, n’étaient pas le signe suffisant d’une obédience quelconque à la Chine communiste. Preuve en était alors que notre père chinois passait tous ses dimanches à nous faire des « anglaises », à nous, ses filles, pendant que les garçons s’évertuaient vainement à vouloir ressembler à un bonze chinois. Nous éludions soigneusement auprès de nos parents, la délicate question de la Chine tibétaine qui était l’une des sources de la fierté chinoise et qui continuait, malgré toutes ces années de quotidien lillois, à être pour notre père qui n’était plus chinois, une évidence chinoise très indéracinable. Stratagème inutile, précaution ridicule. Pérémère s’engueulaient sur le mode tibétain avec une véhémence universalisable à tous les autres cas d’impérialisme notoire qui sévissaient réciproquement en France, à propos des frontières de l’hygiène personnelle, des mœurs en société et du droit de cracher dans les maisons privées. La règle d’usage était, qu’à défaut d’intégrer les habitudes françaises de vie en société ou de tartiner du beurre au petit déjeuner, il convenait néanmoins qu’un chinois isolé finisse par se plier à quelques grands principes minimaux et vitaux tels : éviter d’enlever un dentier en mangeant, finir de s’habiller avant de quitter les chiottes, ne pas se racler la gorge longuement et grassement en présence d’invités qui n’avaient rien demandé ou simplement comprendre qu’il y avait une baignoire et que l’usage constant et exclusif du bidet ne remplaçait jamais un décrassage complet.
Dans cette course effrénée à l’assimilation qui transformait souvent notre vie familiale en melting-pot raté de dialectes inconnus, nous étions cisaillés entre le désir d’être dans la majorité et le sentiment vague d’être les héritiers d’une sorte d’étrangeté impossible à lisser. À l’époque, c’était la mode des bigoudis et des longs cheveux blonds. Nous, que grand-mère coupait à la fillette chinoise avec une mèche épaisse et un carré bien droit, étions l’enjeu vivant d’une politique de naturalisation des intellectuels immigrés et lillois dont notre père était l’un des pionniers chinois. Il s’escrimait, pour faire preuve de sa bonne volonté et témoigner de sa non-affiliation au parti communiste, à tortiller nos cheveux de boucles en forme d’anglaises en espérant qu’un jour, il nous pousse également des taches de rousseur. Mais, c’était sans compter la perspicacité de nos petits camarades qui y trouvaient toujours quelque chose de suspect et de faussement raté.
(L’) commença ainsi sa carrière d’agent double en étant embauchée comme « vrai garçon manqué », cette sorte de monstre hybride et de transsexuel, de traître et travesti qui tient lieu de bridé non-naturalisé.


Heureusement pour nous, pérémère formait un couple inaliénable et nous ne savions rien de la technique de pointe pour débrider les yeux.
Malgré l’insistance d’enfants très ignorants à nous confondre avec des moitiés de japonais, nous persistions fièrement à rester « mal foutus » et à ignorer tout de l’héroïsme pass

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