La bande des Pieds Nickelés T1 Romans
126 pages
Français

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La bande des Pieds Nickelés T1 Romans , livre ebook

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Description

Réédition des romans des Pieds Nickelés

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Publié par
Date de parution 06 mai 2021
Nombre de lectures 0
EAN13 9782375040010
Langue Français
Poids de l'ouvrage 15 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Sorti le matin même de Fresnes où il avait été prendre un repos bien mérité, Croquignol arpentait le pavé d'un air triste. « C'est pas l'tout, se dit-il, fini d'être logé, nourri, éclairé et blanchi aux frais du gouvernement, va falloir se r'mettre auturbin, c'est malheureux ! J'com-mençais à m'y faire, à ma p'tite vie de rentier. » Or leturbin auquel Croquignol faisait allusion consistait en filouteries, vols, cambriolages et autres expéditions de ce genre, dont il avait fait sa profession très peu recommandable. A errer ainsi à l'aventure, Croquignol prit soif. « Tiens, se dit-il, v'là un bistro, j'vas un peu m'rincer la dalle. » Quel ne fut pas son étonnement en y rencontrant deux de ses an-ciens compagnons, Filochard et Ribouldingue, deux «Zigues à la coule »qui furent non moins surpris en voyant Croquignol. « Ah ! Mais c'est lui ! Mais oui, c'est c'vieux frangin d'Croquignol ! s'écria Ribouldingue. Ben, mon vieux, y avait rudement longtemps qu'on ne s'avait pas vu ! T'as donc été à la campagne ? » Bref, on vida de nombreux litres, et on cau-sa « affaires ». Croquignol proposa à ses deux vieux copains de s'associer avec lui, ce qui fut conclu séance tenante. Les trois amis trin-quèrent à la prospérité de la nouvelle associa-tion, et, de joie, en pincèrent un rigodon des plus réussis. La bande des Pieds-Nickelés s'était fondée. A l'unanimité ils décidèrent de ne pas la faire publier dans lesPetites Affiches, parsimple modestie, n'en doutez pas. « Allons ! Allons ! C'est pas l'tout d'rigoler, dit soudain Ribouldingue, va falloir se mettre à l'ouvrage. Partons ! J'ai justement que'qu'chose à vous annoncer. Il s'agit d'un marchand de vin de la banlieue qui vient de gagner le gros lot de la loterie du sanatorium d'Asticot-sur-Brie. — Oui, mais c'est loin et on peut pas y aller à pied,
dit alors Filochard, on pourrait s'arranger pour prendre un sapin. — C'est ça, dit Croquignol, laissez-moi faire. Ribouldingue et Filochard s'étant cachés, Croquignol appela un cocher qui passait juste-ment. « Eh ! Dis donc, mon vieux, y a-t-y moyen d'grimper dans ta guimbarde ? — J'vas r'layer. — Ça n'fait rien. T'as donc pas confiance ? Tu vois donc pas que t'as affaire à des gens d'la haute ! J'vais justement d'ce côté-là, laisse-moi monter, j'paierai un verre en route. » Le cocher
ayant enfin accepté, Croquignol monta dans le véhicule. Il avait donné ses instructions à Riboul-dingue et à Filochard qui, dès que le sapin se mit en route, s'installèrent derrière le fiacre. Aussitôt qu'on fut sorti des fortifications, Cro-quignol passa la tête à la portière pour avertir ses acolytes que le moment d'agir approchait. Au signal convenu, Filochard, s'étant glissé sur le toit du fiacre, plaça son foulard sur la bouche de l'automédon, tandis que Croquignol explorait les poches du cocher, qui fut soulagé de son porte-monnaie. Ribouldingue endossa sa livrée et grimpa sur le siège, tandis que Filo-chard et Croquignol prirent place dans la voi-ture.
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 « Hue ! Cocotte ! » A tour de bras, Riboul-dingue tape sur le malheureux canasson. Les trois compères se félicitent d'avoir réussi à s'emparer de l'équipage et le fiacre se dirige, ventre à terre, vers le coin de banlieue où habite le bistro qui a gagné le gros lot de la loterie du sanatorium d'Asticot-sur-Brie. On arrive à la tombée de la nuit. Laissant le véhicule et leur conscience devant la porte de l'établissement, Croquignol, Ribouldingue et Fi-lochard pénètrent chez le « chand de vin » et se font servir à boire et à manger en attendant le moment propice pour bâillonner le patron et le dévaliser. Les trois copains vidèrent de si nombreux litres qu'en peu de temps ils furent complète-
ment ivres et laissèrent échapper quelques pa-roles imprudentes. Le patron les entendit et s'empressa d'aller chercher la police pendant qu'ils cuvaient leur vin. Les agents, convaincus que les trois gredins dormaient, prirent leur courage à deux mains et les entassèrent dans le fiacre qui prit la direc-tion du commissariat. Le lendemain matin, Croquignol s'écria en se réveillant : « Quoi qu'ça veut dire ? On est bouclé ! Eh ben ! Nous v'là propres. C'est pas tout ça, y s'agit de n'pas moisir ici ; faut trouver la façon de s'tirer des flûtes. » Croquignol, Ribouldingue et Filochard étaient en train de discuter sur le meilleur pro-jet d'évasion, quand soudain un bruit de voix se fit entendre dans le couloir du violon et dans la cellule voisine de celle occupée par les trois amis. « Chut ! Ecoutez, v'là quelqu'un, dit Cro-
quignol, ça doit être des confrères. » Les hommes que les agents amenaient au poste n'étaient pas des cambrioleurs, mais trois poivrots qui sortaient d'un bal masqué. Les trois masques, qui étaient pleins comme des boudins, furent mis dans la cellule située à côté ie de celle où se trouvaient Croquignol et C .
« Là, mes gaillards, vous pouvez brailler tout à votre aise, dit l'un des agents en bouclant la porte, on vous relâchera demain quand vous aurez cuvé votre vin. » Dans la cellule, les trois pochards se mirent à chanter à tue-tête d'une voix avinée, et firent un pétard de tous les diables. « Faut voir ce que c'est », dit Croquignol en entendant le bruit qui se faisait à côté. Filo-chard lui fit la courte échelle et il plaça son vi-sage contre les barreaux de la lucarne qui don-nait dans la cellule voisine. Tout à coup les chants cessèrent comme par enchantement, et quand Croquignol jeta un re-gard dans la pièce il vit les trois poivrots qui ronflaient comme des tuyaux d'orgue et qui dormaient à poings fermés. « Une idée ! dit Ribouldingue. On va passer à côté, mettre nos chaussettes dans la bouche de ces messieurs, prendre leurs frusques et les cacher sous le banc. Et demain matin ça sera nous qu'on relâchera à leur place. » Ils n'eurent pas de peine à se rendre maîtres des troissoulardsréveillés en sursaut, ne qui, savaient même pas ce qui se passait; ils se lais-sèrent déshabiller et porter sous les bancs, sans même avoir la force de protester, et se remirent à ronfler de plus belle !
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Croquignol, Ribouldingue et Filochard se dévêtirent et endossèrent les déguisements en-levés à leurs victimes. Croquignol prit le cos-tume de pierrot, Filochard se transforma en clown, et Ribouldingue se pavana dans le « complet » de mousquetaire chie-en-lit. « Ça, c'est une riche idée, dit Filochard, ça me donne des envies de me faire engager au cirque Médrano. — C'est comme moi, dit à son tour Ribouldingue, en prenant une pose gro-tesque, ça m'rappelle mon temps de splendeur quand je figurais à l'Ambigu. — Allons, les amis, c'est pas l'tout de rigoler, dit Croquignol, silence, et surtout attention de ne pas faire de gaffes. » Peu après, un bruit de clefs et de verrous se fit entendre, et la porte de la cellule s'ouvrit.
« Allons, là, vous autres, avez-vous enfin fini de brailler, tas d'poivrots ? Allons, ouste, fichez-moi l'camp et tâchez de ne pas vous refaire pin-cer à faire du boucan sur la voie publique, ou sans ça gare ! » Et le brave agent, qui avait reçu l'ordre de renvoyer les trois pochards, leur don-na la clef des champs. Naturellement, Croquignol, Riboulingue et Filochard ne se le firent pas dire deux fois et prirent vivement la poudre d'escampette. « Ohé, ohé, lespoteaux! Filons , filons vite ! Car s'ils s'aperçoivent du coup, ils seraient capables de s'mettre à nos trousses. » Et les trois amis s'em-pressèrent de déguerpir au plus vite, peu sou-cieux de se faire repincer. Quand, quelque temps après, un des agents vint ouvrir la cellule où se trouvaient les trois pochards, il fut bien étonné d'apercevoir trois
hommes en chemise, à moitié dégrisés, et ayant l'air complètement abrutis. Il eut bientôt la clef du mystère, en allant visiter la cellule voisine. Décampés ! Personne ! Le pauvre agent donna l'éveil et avertit le poste, mais hélas ! un peu tard. Croquignol Ribouldingue et Filochard étaient déjà loin. Croquignol, Ribouldingue et Filochard étaient venus se réfugier dans un bouchon, où se réunissaient généralement les escarpes et les filous de toutes sortes. « C'est pas l'tout, dit
Croquignol, on peut tout d'même pas s'balader avec ces nippes-là sur le dos, l'mardi gras est passé ! » A ce moment, le patron, qui était aux petits soins pour tous ses clients et qui leur indiquait volontiers un coup à faire, s'approcha du groupe : « Dites donc, vous autres, je connais del'ouvrageloin d'ici, et justement si vous pas avez besoin de remonter votre garde-robe, c'est l'moment. » Et il indiqua complaisamment à la bande l'adresse d'un particulier qui devait être absent de chez lui depuis la veille. Ne pouvant, sans risquer de se faire remar-quer et peut-être reconnaître, sortir en plein jour dans leurs accoutrements carnavalesques, les trois amis attendirent la tombée de la nuit pour se rendre à l'adresse indiquée par le pa-tron. Rasant les murs, Croquignol, Riboul-dingue et Filochard se dirigèrent donc, lorsqu'il fit noir, vers la demeure duparticulier recom-mandé à leurs bons soins par lebistro. Briser un carreau et ouvrir une fenêtre du rez-de-chaussée fut pour Filochard l'affaire d'un instant, et tous trois pénétrèrent dans la
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maison : « N'en v'là une boîte, remarqua Cro-quignol, y a même pas d'paillasson pour s'es-suyer les pieds en entrant ! Heureusement qu'on a les pieds propres, sans ça on salirait le parquet. » Dans la première pièce qu'ilsvisitèrent, Croquignol, Ribouldingue et Filochard trou-vèrent trois grandes malles remplies d'effets. « Vrai, on n'a que l'embarras du choix ! » s'écria Filochard. Immédiatement les troisvisiteurs se déshabillèrent et sortirent tous les vêtements qui se trouvaient dans les malles afin de faire leur choix. Soudain un léger bruit se fit entendre à la porte d'entrée : « Chut ! Écoutez ! V'là du monde ! T'as pas entendu, toi, Ribouldingue ? dit Croquignol en dressant l'oreille. — Mais si, il me semble bien qu'on ouvre la porte, répondit Ribouldingue, peu rassuré. — Oui, ajouta Filo-chard, ça y est :l'borgeoisqui rentre ! Vite, ca-chons-nous. »
Comme un seul homme, les trois associés disparurent au fond des malles avec une rapidi-té surprenante, et le silence le plus complet ré-gna bientôt dans la pièce. Au même moment, la porte s'ouvrit tout doucement. Puis une tête apparut. Ayant jeté un coup d'œil scrutateur, l'individu s'avança doucement et, avec l'habileté et la rapidité d'un homme qui connaît son métier, le nouveau venudébarrassa tous les objets et bibelots de valeur quiencom-braientl'appartement. Puis il ramassa tous les vêtements qu'il avait trouvés épars à côté des malles, il en fit soigneusement un ballot et disparut, aussi tran-quillement qu'il était entré, en homme bien éle-
vé, sans oublier de fermer la porte derrière lui. N'entendant plus rien, les trois amis qui dans leurs malles se faisaient des cheveux, avaient hâte de sortir de leurs peu confortables retraites, pour terminer au plus vite leur petite opération et filer illico. Prudemment, ils soule-vèrent d'abord le couvercle des malles et, s'étant assurés que le mystérieux visiteur était reparti, ils sortirent de leur cachette. Mais à peine eurent-ils jeté un coup d'œil dans la pièce qu'ils s'aperçurent non sans stupé-faction que les vêtements contenus dans les malles avaient disparu et que les leurs avaient pris le même chemin ! Elle était raide, celle-là, par exemple ! Être obligé de s'en retourner en bannières ! Ah ! Pour un sale coup, ça, c'était un sale coup ! Et cette fois les Pieds-Nickelés n'avaient pas eu de chance. Ils n'étaient pour-tant pas au bout de leurs peines ! Ayant constaté avec douleur que leurs frusques avaient disparu, les Pieds-Nickelés fai-saient piteuses mines. « Nous ne pouvons tout d'même pas partir en liquette, dit Filochard. » Comme ils discutaient, un bruit se fit de nou-veau entendre à la porte. « Zut ! V'là encore quelqu'un ! » s'exclama Ribouldingue. Une clef tourna dans la serrure et, à peine les trois amis eurent-ils le temps de serembal-ler, qu'un homme entra. C'était le locataire de l'appartement. Il avait dû retarder son voyage et ne devait partir que le lendemain matin. « Avant de me coucher, se dit-il, il faut que je ferme mes malles à clef, ce sera toujours ça de fait. » Et aussitôt, M. Potiron, qui avait préparé ses bagages la veille et ne s'était pas aperçu de la visite des cambrioleurs, s'empressa de fermer à clef les trois malles, puis il alla se coucher dans la pièce voisine. « Cette fois, c'est l'bouquet ! dirent en chœur les trois filous, dès qu'ils entendirent M. Potiron ronfler dans sa chambre. Nous sommes fichus, et dire qu'il n'y a pas moyen d'appeler au secours ! » Croquignol et ses dignes amis pas-sèrent ainsi le reste de la nuit sans pouvoir fer-mer l'œil et n'osant remuer de peur de se faire pincer. Le lendemain matin, ils se sentirent re-mués, puis soulevés ; c'était le pipelet qui aidait
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un cocher à les hisser sur sa guimbarde ; caho-tés, bousculés au fond de leur complet en planches, les trois membres de la bande des Pieds-Nickelés durent ronger leur frein en si-lence. Les trois colis une fois placés sur le sapin, le véhicule se dirigea cahin-caha vers la gare du Nord. Croquignol et Ribouldingue se trouvaient côte à côte sur la galeriedu fiacre tandis que Filo-chard, placé à côté du co-cher, avait les pieds enl'air. Bref, au bout d'un quart d'heure qui leursembla un siècle, les troisamis furent descendusà terre avec la prévenance etla précaution dont sont gé-néralement remplis les hommes d'équipe à l'égard des bagages, et, avec la douceur que vous savez, furent entassés dans un fourgon d'un train en partance pour la Belgique. Au bout d'une heure, le convoi se mit en marche et fila à toute vitesse. Soudain le train stoppa. On était arrivé à la frontière et les trois malheureux « Pieds-Nicke-lés » entendirent une voix qui informait les voyageurs qu'ils devaient descendre pour faire visiter les bagages à la douane. Cette nouvelle leur donna un peu d'espoir et ils songèrent qu'ils auraient peut-être l'occasion de sortir de leur caisse où ils étaient entassés, comme des harengs marinés dans des boîtes à conserves.
Bientôt ils se sentirent soulevés et projetés délicatement (oh ! Très délicatement) sur le
quai. Puis ils entendirent beaucoup de bruit au-tour d'eux. Ils étaient dans la salle de visite de la douane belge. « Allez allez, dépêchez-vous d'ouvrir, pour une fois », dit à Potiron, un doua-nier, avec cet accentparisien(?) bien connu en Belgique. M. Potiron donna un tour de clef à chacune de ses malles, et tout à coup, les cou-vercles se soulevèrent comme mus par un res-
sort et trois hommes en sortirent, tels des diables dans une boîte, jetant la panique parmi les voyageurs et le personnel du chemin de fer. Ahuri, M. Potiron s'enfuit sans vouloir en en-tendre davantage, Croquignol, Ribouldingue et Filochard se mirent à pousser en chœur des cris épouvantables qui mirent en fuite toutes les personnes qui se trouvaient là. L'effroi était in-descriptible, et bientôt la salle de visite fut complètement déserte. Profitant alors du désarroi, les trois amis détalèrent au plus vite. Bannières au vent, Cro-quignol, Ribouldingue et Filochard, gagnèrent la frontière de toute la vitesse de leurs jambes et allèrent se cacher dans un petit bois, pour se reposer et se remettre des émotions que leur avait causées ce voyage inattendu. Les trois compagnons se trouvaient dans une tenuelégèrement négligée. Ne pouvant se montrer en public dans cet accoutrement sans risquer de se faire arrêter, ils décidèrent de se mettre à la recherche de vêtements un peu moins légers et plus confortables. A travers bois, ils arrivèrent près d'une mai-sonnette isolée ; aucun bruit ne se faisait en-tendre à l'intérieur. Prudemment, les trois amis s'approchèrent et restèrent quelques instants en faction derrière une haie pour s'assurer que la maison était bien vide. Résolument ils escaladèrent la haie et péné-trèrent à l'intérieur. La porte n'était fermée
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qu'au loquet et ils entrèrent là comme chez eux. « Y a personne, dit Ribouldingue en poussant la porte, et y a même pas de concierge pour se renseigner. En v'là un immeuble ! » Croquignol et ses deux copains parvinrent à trouver quelques nippes consistant en deux blouses, un pantalon, des vieux souliers, une paire de bottes, un jupon et un caraco. C'était maigre, mais ils durent s'en contenter et s'em-presser de s'habiller. Les trois camarades avaient terminé leur toilette, lorsque la petite barrière devant la mai-son s'ouvrit et un paysan entra dans la cour. C'était le maître de céans, le père Boulautrou,
qui revenait des champs en fumant tranquille-ment sa bouffarde. Immédiatement, Riboul-dingue, Filochard et Croquignol songèrent à fuir. Mais par où ? « V'là notre affaire »,dit Croquignol. Et avisant une énorme huche qui se trouvait là, il s'y glissa avec ses compagnons qui,se souvenant de leur sé-jour un peu trop prolongé au fond des malles en-trèrent dans le coffreà demi rassurés. « Pourvu qu'on n'soit pas obligéd'rester là dedans troplongtemps, dit Ribouldingue, j'en ai assez, moi, des caisses d'emballage ! » Soudain, le père Boulautrou, assis dans la pièce voisine, entendit un léger bruit. Croyant qu'on avait frappé, il se dirigea vers la porte.
Mais personne n'avait frappé : c'était Riboul-dingue qui s'était...oublié, remplissant la huche d'un parfum auprès duquel le corylopsis du Ja-pon n'était que de la roupie de sansonnet. Les trois associés, près d'asphyxier, soulevèrent vio-lemment le couvercle. Devant cette apparition, le père Boulautrou poussa un cri de frayeur. Tremblant de tous ses membres, il se préci-pita sous le lit, croyant que les coquins vou-laient lui faire un mauvais parti. Pendant ce temps-là ceux-ci s'empressèrent de sortir de la huche. « Ben, mon vieux, heureusement qu'on était pas enfermés à clef comme dans nos malles ! Sans ça qu'est-ce qu'on aurait pris ! dit Filochard en se bouchant le nez. En voilà un malpropre ! » A ce moment la porte s'ouvrit et Croqui-gnol, Ribouldingue et Filochard aperçurent un gendarme, attiré par les cris de Boulautrou, qui entrait dans la maison. Néanmoins, ils réus-sirent, sans être vus, à sortir par la fenêtre, pen-dant que le représentant de l'autorité poussait la porte, et ils s'empressèrent de déguerpir avec rapidité et précipitation. Le pandore fut bien étonné de ne trouver personne dans la première pièce, mais, pous-sant plus loin ses investigations, il aperçut les pieds de Boulautrou sous le lit dans l'autre chambre. « Ah ! Je le tiens, le brigand, s'écria-t-il en tirant le paysan par les jambes, je ne me trompais pas ! » Le père Boulautrou voulut pro-tester.
Ses explications ne firent qu'aggraver la si-tuation. Et bon gré mal gré, le père Boulautrou dut emboîter le pas au gendarme qui le condui-sit au violon. Pendant ce temps, les trois com-pagnons avaient gagné du terrain et s'étaient ar-
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rêtés dans un champ au bord de la route pour se reposer un peu. Et lorsque le gendarme passa avec son prisonnier, il vit trois braves paysans qui se trouvaient derrière une haie et qui riaient de la mine piteuse de Boulautrou. Dès que le gendarme fut suffisamment éloigné, les trois fi-lous partirent, dans la direction opposée, à la recherche d'une nouvelle aventure. Croquignol, Ribouldingue et Filochard, qui s'étaient introduits dans la maison d'un brave paysan au détriment duquel ils avaient remonté leur garde-robe, arrivèrent dans un village. Leur premier soin fut de chercher un endroit où ils pourraient s'offrir à manger et à boire, car les trois amis avaient fait du chemin et avaient l'es-tomac dans les talons. « C'est bien l'diable si on ne trouve pas un Duval dans c'patelin-là, » dit Ribouldingue qui avait toujours un boyau de vide. En passant devant l'auberge duSoleil d'Or ils aperçurent une automobile qui stationnait dans la cour. « Tiens, tiens, dit Filochard, ça f'rait bien notre affaire. Seulement voilà : si on l'achèteon sera peut-être embarrassé pour sortir sans bruit de la cour, ça fait un pétard épouvan-table, ces machines-là, et ça donnerait l'éveil, et puis j'aime pas faire de l'auto avant mes repas. Entrons donc toujours déjeuner, on verra après. » Croquignol et ses dignes compagnons en-trèrent donc auSoleil d'Or, ils se firent servir à boire tandis qu'on leur préparait à manger, et discutèrent sur le meilleur moyen de s'emparer de l'automobile qu'ils avaient vue dans la cour de l'auberge. Dans la pièce voisine le chauffeur de l'auto en question déjeunait tranquillement. Les trois gredins l'enten-dirent qui causait avec l'auber-giste. Le chauffeur avait fini demanger et prenait tranquille-ment son café, tout en fumantsa cigarette, puis, s'étant enfilétrois ou quatre petits verresd'alcoolle dans moteur, il de-manda l'addition au patron. Pendant ce temps-là, Cro-quignol, Ribouldingue et Filo-chard, sachant que le chauffeur n'allait pas tar-der à s'en aller, engloutirent avec précipitation
le succulent repas gratuit qu'ils avaient com-mandé. Puis, profitant de ce que l'aubergiste était dans la pièce voisine, ils sortirent dans la cour sans être vus. Avisant l'automobile, ils grimpèrent dedans et se cachèrent sous les banquettes, puis atten-dirent patiemment le départ du véhicule. « Est-ce qu'il va nous faire poiroter longtemps, c'dé-goûtant-là ? » dit tout bas Ribouldingue qui avait hâte de quitter l'auberge, car le patron s'était aperçu de leur disparition et jetait les hauts cris. Enfin, l'automobiliste, le ventre plein et la bourse légère, sortit dans la cour, donna deux ou trois tours de manivelle à son orgue de Bar-barie et le moteur se mit à ronfler avec fracas, secouant les trois amis de la plus belle façon, histoire de leur faire faire la digestion. Deux mi-nutes après, l'automobile quittait la cour duSo-leil d'Or et filait à toute vitesse sur la gran-d'route. Croquignol, Ribouldingue et Filochard at-tendaient au fond de la voiture le moment pro-pice pour se débarrasser du chauffeur et s'em-parer de l'automobile. L'occasion ne tarda pas à se présenter. Le vent qui soufflait avec violence enleva soudain la casquette du conducteur, qui arrêta aussitôt et descendit de voiture pour courir après son couvre-chef. Filochard sortit à ce moment la tête de dessous la banquette pour voir quel était le motif de ce brusque arrêt, et, s'apercevant de la disparition du chauffeur, il prévint ses acolytes. En un clin d'œil les trois compagnons sor-tirent de leur cachette. Ribouldingue, qui s'y connaissait, se mit au volant, tandis que Cro-
quignol et Filochard s'installèrent confortable-ment sur les coussins. Et sous le nez du mal-
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heureux chauffeur, l'automobile fila, laissant au milieu de la route l'infortuné qui n'en revenait pas, puis disparut bientôt dans un nuage de poussière, emportant à plus de 80 à l'heure les trois membres de la bande des Pieds-Nickelés.
En voyant ces trois touristes filer sur la route à une allure vertigineuse, il serait difficile de reconnaître Croquignol, Ribouldingue et Fi-lochard ! Pourtant ce sont bien les trois asso-ciés, qui, après s'être emparés de l'auto, ont fait main basse sur les vêtements qu'ils ont trouvés dans le véhicule. Transformés des pieds à la tête, ils arrivent dans un village. Ils trouvent tout le monde sens dessus des-sous ; des gens courent à droite et à gauche ; d'autres coiffent à la hâte leur casque de pom-pier. Un clairon sonne l'alarme et va de porte en porte prévenir les habitants. Il y a le feu ! En ef-fet un incendie s'est déclaré dans la ferme du père Chautepie à deux kilomètres du village. Nos trois voyageurs, arrivant au milieu de tout ce branle-bas, ont soudain une idée. Ils de-mandent à parler au maire qui, le bidon sanglé dans son écharpe, s'apprête à se rendre sur les lieux du sinistre. Ils proposent àmossieu l'maire de le conduire ainsi que les pompiers et la pompe jusqu'à la ferme en question.Mossieu l'maireest enchanté. Immédiatement, la pompe à bras de la com-mune est attachée der-rière l'automobile,dans laquelle prennentplace les pompiers,mossieu l'maire et lestrois amis. On file àtoute vitesse au milieudes acclamations detous les paysans qui fé-licitent les trois tou-ristes de leur généreuxconcours, car, grâce àeux, en quelques minutes on sera arrivé ! En effet, l'automobile s'arrête bientôt près de la ferme du père Chautepie. En un clin d'œil la pompe est mise en batterie, et les pompiers
arrosent de leur mieux. Tout le monde fait lachaîne, et Croquignol et Filochard en profitent, pour faire lamontreet leporte-monnaiedes paysans occupés à éteindre l'incendie. Il ne sera pas dit qu'ils ne feront rien, lorsque tout le monde travaille, oh ! Non ! Et les trois lascars s'occupent, je vous prie de le croire. Ribouldingue a gracieusement offert au fer-mier de jeter ce qu'il a de précieux dans son au-tomobile, pour queça ne s'abîme pas. Le fer-mier, enchanté d'une offre si gracieuse, lance par la fenêtre ce qu'il veut sauver des flammes : meubles, bijoux, économies. Le fermier ne sait comment remercier Ribouldingue. Bref, tout le monde acclame les trois sauveteurs qui ont bien voulu aider à maîtriser le sinistre et à organiser le sauvetage. Lorsque tout danger est conjuré, mossieu le maire tient lui-même à remercier les trois tou-ristes, mais, au grand étonnement de tous, il est impossible de les trouver nulle part. D'un natu-rel très modeste, Croquignol, Ribouldingue et Filochard se sont dérobés aux félicitations et ont filé à l'anglaise, emportant,sans le faire ex-près probablement, tout ce qu'ils ont recueilli dans l'automobile. Mais soudain plusieurs paysans s'aper-çoivent de la disparition de leur montre ou de leur porte-monnaie, le père Chautepie réclame à grands cris ses objets et ses économies qu'il avait jetés dans l'automobile sur les conseils de Ribouldingue,afin de les sauver, ce qui, du
reste, ne manqua pas, car les économies de l'in-fortuné fermier se sauvèrent avec les chauf-feurs. Bref, tout le monde eut bientôt la convic-tion d'avoir eu affaire à trois filous.
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