La controverse des temps
202 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

La controverse des temps , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
202 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Histoire de l'amour impossible entre Houda, la guidance, et Ilyas un maître soufi qui, comme le prophète du même nom, est dépourvu de tout désir sensuel. De Ibn Rochd à Saint Thomas d'Aquin, en passan par Ibn Arabi, Rajae Benchemsi tisse, sur le motif ardent de la controverse entre spiritualité et philosophie, un texte dans une langue lyrique et sensuelle. Elle parvient à donner chair aux drames qui traversent ses personnages, dessinant un très actuel malaise dans la civilisation », qui porte bien au-delà des limites propres au monde marocain. A travers la peinture d'un microcosme place au confluent des civilisations, ce roman est aussi une fresque des controverses qui agitent le monde contemporain.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2012
Nombre de lectures 5
EAN13 9789954212745
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La controverse des tempsEditions
© Marsam - 2012
Collection dirigée par Rachid Chraïbi
6, rue Mohamed Rifaï (Place Moulay Hassan ex. Pietri) Rabat
Tél. : (+212) 537 67 40 28 / 67 10 29 / Fax : (+212) 537 67 40 22
E-mail : marsamquadrichromie@yahoo.fr
Site web : www.marsam-editions.com
Compogravure flashage
Quadrichromie
Impression
Bouregreg - Salé
Dépôt légal : 0292/2012
I.S.B.N. : 9954-21-274-5Rajae Benchemsi
La controverse des tempsDu même auteure
• Parole de Nuit, poèsie, Éditions Marsam, 1997
• Fracture du désir, nouvelles, Actes Sud, 1998
• Marrakech, lumière d'exil, roman, Sabine Wespieser éditeur, 2003
Réedité par les Editions Marsam, 2012
• La controverse des temps, roman, Sabine Wespieser éditeur, 2006
Réedité par les Edit
• L'interprète des éphémères, nouvelle, Editions Filigrane
• La main, nouvelle, Editions Elyzad, 2007
• Mon père, récit, Editions Chèvre-feuille étoilé, 2007
• L'intuition créatrice, essai, publié par Venise cadre, 2010
Réedité par les Editions Marsam, 2012
• Sur mes traces, nouvelles, Editions Marsam, 2012
Couverture
Farid Belkahia
Le savoir, 2004, relief en cuivre, O 200 cm5
I
Est-il bon de perpétuer l’amitié éternelle entre le
silence et la mort ? Les silences d’autrefois s’en sont
allés. Évanouis dans les vacarmes multiples et divers
de la place al-Hadim à Meknès. Place de la Ruine.
Antichambre de la cité. Lieu de brassage de toutes sortes
de marchandises mais aussi de paroles ; d’imagination ;
de légendes. Les êtres saluent leur entrée dans la ville en
traversant cette place publique.
« Place al-Hadim. Littéralement place de la Ruine.
– Peut-être est-ce un signe, me dit Ilyas. L’avènement
de toute place publique nécessite sans doute
l’effondrement, réel ou légendaire, d’un bâtiment, d’une
idée ou d’un principe. Symboliquement du moins... À
Marrakech la place Jamâa-Al-Fna n’est-elle pas celle de
la ‘‘ mosquée de l’anéantissement ’’ ?
– Je te trouve bien nihiliste mon ami ! lui dis-je.
– Pas le moins du monde. C’est sans doute une
manière de nous rappeler que la mort rôde toujours
aux abords des villes chargées d’histoire. Une certaine
sagesse qui nous oblige à intérioriser le temps et ses
vicissitudes.
– Il est vrai que lire cela sur les murs d’une cité est
passion nant. C’est l’intérêt des grandes architectures
traditionnelles ; elles sont toujours liées à des principes
de vie ! Aujourd’hui des dizaines de voitures sont 6 La controverse des temps
stationnées là et veillent à dissiper la possibilité d’un tel
déchiffrement. Une masse informe de tôles clinquantes
ou déglinguées gît sans vergogne au pied de l’une des
plus belles portes de l’architecture islami que : Bâb
Mansour al-Alj. Tu te rends compte ? »
Auguste et majestueuse, elle semble non pas
appartenir à un autre temps mais à un temps où la
puissance d’une esthétique parfaite fnit par fraterniser
avec celle, mystérieuse, de l’éternité. Elle trône avec
indifférence sur ce siècle frénétique. Les échoppes qui
jadis bordaient la place, comme la rime achève un vers
juste et équilibré, ne sont plus que de vulgaires trous,
sombres et décatis. L’horizon saturé de chaleur diffuse
sur la ville une poussière grise. En se déposant sur les
pas sants hagards, elle paraît les envelopper d’un voile
qui les dessaisit d’une part de leur réalité mais aussi de
leur vigilance. La place publique à l’orée de la cité
intramuros est le lieu même où la parole se fait libre et s’arroge
le droit de défer le temps. L’édifcation des murailles
epréserve les habitants et les siècles. Le xviii siècle
semble réclamer encore sa part d’histoire cependant
eque le xxi siècle, ivre de bruit, mord déjà à pleines
dents sa part d’arrogance. Tournant le dos à l’une de
ces tristes échoppes, spécialisées dans les nattes de jonc,
je vois un vieil homme, les bras au ciel et s’apprêtant
à parler. Quelques cheveux blancs s’échappent d’un
turban blanc lui aussi.
Un chapelet d’ébène enserre un poignet d’une
maigreur d’ascète. Il entame la basmalla :
Au nom de Dieu, clément et miséricordieux. C’est à Lui que
nous demandons secours, il n’est d’hostilité qu’envers les injustes
et de force qu’en Dieu le Très Haut, le Très Grand ! Louanges à La controverse des temps 7
Celui qui ft descendre le livre clair sur notre seigneur Muhammed,
le guide des envoyés, le maître des Prophètes ! Que le salut et la
bénédiction de Dieu soient sur sa famille, ses compagnons et tous
les prophètes ! Gloire à Celui qui a fait de l’histoire des anciens
un exemple pour les contemporains !
Fascinée par sa présence si surprenante au milieu
d’un tel chaos, je m’arrête et invite les amis qui
m’accompagnent à entrer dans le cercle du conteur.
Je proftais de ce que nous revenions du festival des
Musiques sacrées de Fès pour leur faire découvrir la
ville de Meknès que l’on ne visite plus guère aujourd’hui
et qui, dans ma tête, se confond avec l’histoire du roi
Moulay Ismaïl. Notre présence à ce festival cette année
était d’autant plus motivée que Nathalie, une ancienne
amie de France, y avait chanté des laudes du temps
de Saint François d’Assise. D’autres amis, que nous
connaissions depuis l’époque de nos études à Paris,
étaient du voyage, ainsi qu’Ilyas, l’oncle de Hiba, un
souf autrefois grand spécialiste de philosophie arabe
et islamique. En fait le souvenir de ces années de vie
estudiantine nous liait davantage que de réelles affnités.
Nous nous voyions cependant assez régulièrement à
Casablanca car les rouages sociaux étaient à ce point
dislo qués qu’il n’était guère nécessaire de se comprendre
ni encore moins de s’entendre pour se fréquenter. Des
liens s’étaient ainsi tissés dont le centre était Hiba,
professeur d’anglais à l’université Muhammed V qui,
avec son mari Zakaria, avait pris l’habitude d’organiser
régulièrement des dîners quelquefois très mondains à
Casablanca, où se retrouvait bien souvent toute l’élite
rfnancière mais aussi intellectuelle. Le D Jalil, qui
nous accompagnait également, était un cardiolo gue 8 La controverse des temps
de renom à l’hôpital Ibn Rochd. Grâce à son amitié
avec Hiba, il était naturellement devenu le médecin
de sa mère qui souffrait depuis très longtemps de
problèmes coronariens. Yasmina, sa femme, journaliste
de formation, avait créé une agence de communication
et de publicité et travaillait beau coup pour la grande
banque dont Zakaria était le président-directeur général.
Quant à moi, après des études d’histoire de l’art, je
m’étais peu à peu orientée vers l’histoire du Maroc.
Nathalie, somptueuse mezzo-soprano, qui avait eu
autrefois des relations amoureuses avec Ilyas, était aussi
du voyage. Une fréquentation régulière et passionnée
du grand répertoire de la musique religieuse chrétienne
l’avait confrmée dans sa foi et cela avait contribué à
les éloigner l’un de l’autre. Ilyas s’était marié et avait eu
deux enfants mais une complicité réelle continuait de
les lier.
Je réussis, sans grande diffculté je l’avoue, à les
convaincre de prendre le temps d’écouter ce vieux
conteur, ne serait-ce qu’un instant. Nous nous joignîmes
au cercle déjà constitué autour de lui. Son regard presque
aveugle me ft d’abord penser à un célèbre conteur de la
place Jamaâ-Al-Fna, Belfaïda, mort depuis si longtemps
maintenant. Mais peu à peu cette image fut chassée par
celle du gyrovague d’Ibn el-Khatib dans Bourgs et Cités
d’Al-Andalus et du Maroc, dont je reconnus les paroles :
Paix et salut sur ce bas monde.
Nous en avons appréhendé nos dus
Chevauché les dangers et traversé les contrées.
Cénacles et assemblées avons animé et
Des parures du temps, vieilles et neuves, nous sommes vêtus.
J’ai percé mystères et secrets etLa controverse des temps 9
Comme Salomon djinns et démons ai vaincus.
D’Inde et de Chine, je recueillis les joyaux de la raison
Tandis qu’en Constantinople je parachevai le livre des
Latins
J’ai vu et piétiné les péripatéticiens,
L’abîme des esprits, les astres du Waq-Wâq,
De Koufa et de Bassora.
Du Tigre et de l’Euphrate, le fdèle je fus et d’eux
À pleines mains je bus.
En Jérusalem je fréquentai les juifs
À la Ka’aba puis à Alexandrie je m’initiai à la science des
dévoilements
Puis enfn au Maghreb comme le soleil j’achevai mon couchant.
Il clama ces vers du grand maître et vizir
d’AlAndalus comme pour s’autoriser de lui. Il s’inscrivait
de ce fait dans un double héritage, celui du conte mais
aussi celui de la grande littérature, bien évidemment
eécrite. Ces vers du plus grand des écrivains du xiv siècle
rendaient soudain à Meknès un peu de sa gloire d’antan.
Peut-être un peu de celle du temps où elle était capitale
du royaume. Les gens, jeunes et vieux, qui l’écoutaient,
semblaient réconciliés avec leur passé. Leurs cœurs
paraissaient apaisés. De nouveau présents à leur être, ils
étaient érigés au rang d’hommes de lettres et d’histoire
par le pouvoir magique de l’écoute.
Les jambes légèrement écartées, le turban
soigneusement attaché, le dos droit et les bras levés vers
le ciel, il ft soudain rouler sa parole comme un tonnerre.
Sa voix de plus en plus claire était un rien menaçante.
« Antara ! Vous connaissez tous Antara Ibn Chaddad ! » 10 La controverse des temps
L’exaltation contamina très vite l’assemblée, toujours
prête à s’enfammer au son siffant d’un des plus illustres
sabres de la chevalerie arabe.
« Mais savez-vous, dit-il avant d’entamer pour une
énième fois la célèbre légende antéislamique, d’où nous
tenons la légitimité de ce conte, ici, dans cette ville ? Le
savez-vous en ce temps chauve et désincarné, ténébreux
et hostile, vil et cupide ? »
L’assemblée commençait à se fger. Personne n’osa
susur rer la moindre suggestion. Mes amis et moi-même,
bien qu’étant plus habituée qu’eux à ces situations, étions
tout aussi subjugués par son imposante éloquence. Puis
se tournant vers les remparts de Moulay Ismaïl il ajouta :
« De lui, le grand bâtisseur. Celui qui réunifa son
pays. Qui

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents