145
pages
Français
Ebooks
2015
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Ebook
2015
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Publié par
Date de parution
15 janvier 2015
Nombre de lectures
2
EAN13
9782895966104
Langue
Français
Publié par
Date de parution
15 janvier 2015
Nombre de lectures
2
EAN13
9782895966104
Langue
Français
--> --> la guerre civile espagnole --> Traduit du portugais par Daniel Matias -->
La collection «Orphée» est dirigée par Alexandre Sánchez
Dans la même collection:
Edward Bellamy, C’était demain
John Berger, La liberté de Corker
Lewis Carroll, La chasse au Snark
Richard Desjardins, Aliénor
Bernard Emond, 20 h 17 rue Darling
Eduardo Galeano , Le livre des étreintes
Eduardo Galeano, Les voix du temps
Eduardo Galeano, Paroles vagabondes
Hector de Saint-Denys Garneau, Regards et jeux dans l’espace
Rodolfo Walsh, Les métiers terrestres
Couverture: photographe inconnu, tous droits réservés
© 2012 Miguel Sanches Neto, représenté par Villas-Boas & Moss Literary Agency and Consultancy, Brésil, et L’Autre agence, France Titre original: A máquina de madeira
© Lux Éditeur, 2015 pour la traduction française www.luxediteur.com
Ouvrage publié grâce à l’appui du ministère de la Culture du Brésil / Fundação Biblioteca Nacional Obra publicada com o apoio do Ministério da Cultura do Brasil / Fundação Biblioteca Nacional
Dépôt légal: 1 er trimestre 2015 Bibliothèque et Archives Canada Bibliothèque et Archives nationales du Québec
ISBN (epub): 978-2-89596-610-4
ISBN (papier): 978-2-89796-178-9
Ce qui frappe d’abord, ce n’est point ce que les hommes font aujourd’hui, mais ce qu’ils feront plus tard. Le génie humain commence à se familiariser avec la puissance de la matière.
A.J. W IERTZ , 1870 Le livre des passages, de Walter B ENJAMIN
LONDRES
MAINS
Q UICONQUE AURAIT observé les mains de Francisco João de Azevedo s’appuyant sur le bastingage du navire aurait vu les mains d’un ouvrier. Non pas qu’elles fussent grandes – elles avaient des dimensions plutôt féminines –, mais elles étaient rudes comme les mains de celui qui se consacre aux travaux manuels. La peau des doigts était éraflée, les ongles écaillés et sales, et des callosités étaient visibles à la bordure des paumes. Souvent, dans la solitude de son atelier, Francisco observait ses mains, la partie de son être qu’il connaissait le mieux, toujours aussi inquiètes que son esprit, tandis que le reste de son corps gardait une attitude réservée. Nous commençons à mourir par les mains, pensa-t-il avec tristesse. Ses mains étaient plus âgées que lui, elles s’abîmaient à grande vitesse. Le vieillissement s’imprimait dans les veines et les nerfs saillants, sur la surface rugueuse, dans ses doigts massifs de paysan. D’ailleurs, il n’avait pas honte de leur aspect, au fond il en était fier, car elles lui rappelaient son passé d’orphelin rompu au travail.
— Vous semblez ne pas apprécier la cité impériale, lui dit une femme à côté de lui.
Il leva les yeux et fut aveuglé par le soleil se reflétant sur ses vêtements blancs et ses dentelles.
— Au contraire, la ville me plaît beaucoup.
— Vous avez dû y séjourner à plusieurs reprises ; elle n’a plus de secrets pour vous.
— C’est la première fois que je viens.
— Et il n’y a aucune lueur dans vos yeux? Aucun sourire d’admiration?
— Je priais, mentit-il.
— Ah, désolée de vous avoir importuné, dit-elle en scrutant de nouveau la terre qui continuait d’approcher.
Les gens autour de lui parlaient de la ville, si belle vue de la mer par une matinée ensoleillée. Quelqu’un reconnaissait des tours d’églises, une colline, le palais impérial, manifestant ainsi l’euphorie propre à celui qui arrive à la cité impériale en ayant laissé derrière lui la province et qui rêve de vivre de grands évènements. Francisco João de Azevedo désirait lui aussi goûter au plaisir, mais celui-ci ne se trouvait ni dans le paysage, ni derrière les vitrines de la rue do Ouvidor [1] , ni dans les restaurants, ni au théâtre. Les choses du monde ne le fascinaient point. En vérité, ses mains ne le retenaient pas au navire, elles le retenaient à lui-même. Vêtu d’une redingote noire, de pantalons larges et de bottines bien cirées, il donnait l’impression d’être un homme raffiné. Seules les mains détonnaient. Elles n’étaient bonnes ni à faire le signe de croix, ni à se joindre en un geste de contrition, et encore moins à administrer les sacrements. Quand elles serraient les mains d’autres religieux, elles provoquaient même un certain embarras. Le tissu adipeux des mains des prêtres, lisses comme du molleton, contrastait avec l’âpreté des siennes. Les religieux s’éloignaient avec effroi lorsque leurs mains rencontraient les siennes, comme s’ils avaient touché un insecte répugnant.
Le bateau à vapeur avait jeté l’ancre, les gens saluaient en direction du port où familiers et anonymes attendaient les voyageurs, les uns pour accueillir parents et amis, les autres pour décrocher un travail quelconque. Le père Azevedo demeurait agrippé au bastingage. Il n’y a pas de voyages, ni arrivées ni départs, pour celui qui se consacre à ses propres idées.
Les objets naissent d’abord dans l’imagination avant de prendre place ou non dans le monde, pensait-il tandis qu’il suivait du regard le déchargement de ses bagages se résumant à une lourde caisse en bois. L’inventeur et l’homme de religion partaient tous deux de la même situation d’absence, croyant d’emblée en quelque chose d’impalpable. Ils étaient guidés uniquement par la conviction. Presque tout ce que le père Azevedo avait imaginé s’était poursuivi sans exister ; or là, il transportait un objet. Ce n’était pas un rêveur pur et simple, certaines de ses idées prenaient chair. Le père Azevedo sourit pour la première fois. L’emploi de termes bibliques pour se référer à son invention l’avait amusé. Il aurait été plus juste de dire que ses idées se muaient en choses et non en chair. Le prêtre insérait des termes dans la tête de l’inventeur. Oui, une chose, un objet. Mais aussi de la chair. Son sourire discret, dont personne ne s’était aperçu, persistait. Tous étaient trop occupés à débarquer. On sentait l’urgence d’arriver au plus vite. Les dames émettaient des bruits d’étoffes et de talons, parlaient entre elles ; les hommes donnaient des instructions aux domestiques qui venaient d’apparaître afin de recueillir les malles ; et les chevaux s’agitaient dans l’attente du signal de départ. Un autre voyage commençait.
Après avoir assisté à la livraison de la caisse, déposée à terre, au milieu d’un grand nombre de malles, de sacs et de personnes se déplaçant avec hâte et agitation, le prêtre s’immobilisa. Les porteurs ne se précipitaient pas à sa rencontre. Avaient-ils suffisamment de travail avec les autres passagers? De loin, triste à côté d’une caisse qui semblait un cercueil, il avait l’air de veiller un mort. C’est sans doute pour cela que les porteurs l’évitaient ; ils ne voulaient pas même penser à transporter un cadavre. Comme personne ne lui proposait son aide, il n’avait plus qu’à prendre l’initiative. Lui qui était timide, cela l’obligeait à parler à des inconnus, à organiser le transport de ses affaires et à leur indiquer une adresse. Tout le fatiguait, lui était imposé par le monde immédiat. En traînant des pieds, il laissa la caisse pour se diriger vers la rue. Il ne restait plus que les cochers les plus vieux et leurs voitures en piteux état.
— Voulez-vous un carrosse, monsieur? demanda le premier d’entre eux.
— Non, une charrette, répondit-il.
L’homme indiqua, un peu plus loin, une charrette tirée par deux chevaux.
Lorsque le père Azevedo fut près de lui, un vieil homme bedonnant, aux yeux rouges, s’avança.
— Je vous dépose?
Le prêtre acquiesça de la tête, soulagé de ne pas avoir à parler. Ils se mirent en route, en silence, vers l’endroit où la caisse était restée. Le charretier boitait un peu, mais le prêtre ne s’en aperçut pas. Il était retourné dans son monde intérieur.
Ce ne fut qu’après avoir contourné la caisse qu’il se rendit compte de la situation. Ils n’arriveraient jamais à la charger. Des contretemps de ce genre, bien que minimes, décourageaient le père Azevedo à tel point qu’il n’avait qu’une envie: s’isoler dans son atelier de l’Arsenal de guerre ou dans sa maison. Quiconque osait contrarier l’apathie d