LA TERRE DES ANGES
318 pages
Français

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LA TERRE DES ANGES , livre ebook

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Description

Pour la vie de gosse, les rues et ruelles d’Abobo recèlent de trésors faramineux, de jeux et d’amusements. C’est une terre du peuple avec des rues qui grouillent de gens qui bougent incessamment. C’est, du moins, ainsi que je la vis tout de suite, du haut de mes culottes courtes et de mes bottines de randonneur refréné. Pour des enfants des années quatre-vingts que nous étions, c’était «La Terre des anges», celle de nos rêves les plus fous de férus de foot-ball.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 02 septembre 2020
Nombre de lectures 246
EAN13 9782372231725
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

GBIDI Roland
LA TERRE DES ANGES ROMAN
CIV 3172
our la vie de gosse, les rues et ruelles d’Abobo dePnous établir ; un peu par habitude et aussi en vertu recèlent de trésors faramineux, de jeux et d’amusements. C’est là que mon père a décidé de l’amitié. Et pour plus d’une vie, vraisemblablement. Il venait de quitter la faculté de droit et s’en allait de la cité étudiante d’Abobo. Celle qu’occupent les étudiants vivant en couple. J’y ai de spontanés souvenirs, ainsi que ma sœur, plus jeune de peu d’ans. Notre voisin de pallier, Monsieur Kassi, le cher Kassi de mon père, le père de Stacy, avait repéré deux maisons rapprochées qui attendaient d’être étrennées. « Pourquoi pas ? », avait décidé papa…
Après la commune de Treichville, où je vins au monde et où je vécus sans régularité jusqu’à l’âge de trois ans, et celle de Yopougon habitée brièvement, Abobo est la troisième commune de notre capitale économique que j’éprouve en à peine cinq piges de vie. C’est une terre du peuple avec des rues qui grouillent de gens 1 qui bougent incessamment. Des vendeuses dedji2 3 glacé aux repreneurs desamalakoloet defanikolo(sujets d’un fameux tube de rap made in Abidjan). C’est, du moins, ainsi que je la vis tout de suite, du haut de mes culottes courtes et de mes bottines de randonneur refréné. Cette impression n’a pas beaucoup varié avec le temps. Mon père, suivi de ma mère, a également séjourné à la cité estudiantine de Port-Bouët, la commune qui abrite notre aéroport international Félix Houphouët-Boigny. De vrais globe-trotters. De là-bas, ce
1. Dji : Eau, en malinké 2. Samalakolo : Repreneur de vieilles chaussures, en malinké 3. Fanikolo : Repreneur de vieux vêtements, en malinké
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La Terre des anges
qui survit encore en mon esprit est si brumeux qu’il ne faudrait, honnêtement, pas le nommer souvenir.
Assez rapidement, l’univers tout entier s’est condensé en un Abobo revêtu d’une aura de rudesse et de terreur imminentes. Nos sempiternelles chasses aux scarabées et bousiers, Stacy et moi, au bas d’immeubles jaune cassé et à l’architecture dépouillée, allaient bientôt le céder à une surveillance stricte et des recommandations sans appel de parents qui étaient d’avis qu’on n’était jamais sufsamment avisé ou prudent. L’aspect de cité dortoir au repos le soir, le loyer compréhensible des habitations et le coût abordable du marché des vivriers n’étaient cependant pas des attraits à négliger pour des adultes.
La renommée farouche de cette cité a trop tôt, et même un rien pompeusement, connu une poussée fulgurante. Il reste tout de même que la démarcation entre ceux qui y vivent et tous ceux qui jurent de n’y mettre jamais le pied n’a plus besoin d’un mur de Berlin, tant elle est constante. Tout ceci est bien périphérique pour les enfants que nous sommes. Les enfants des années quatre-vingts. Les années Ful ou Podium, Fela, Woya, Weah, les années Tyson, Jackson, Reagan, Blondy, Rocky et autres.
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Abobo, cîté verte
Abobo est la porte nord de la ville d’Abidjan. C’est un portail de verdure et de vie dure aussi. Nous y revien-drons, la vie dure. Placée à une enjambée de la cité du kola, la ville d’Anyama, elle est sise à l’écart, comme un poste avancé ou une sentinelle, quoique s’étendant dans une plaine à forte végétation, avec des crevasses et des dénivèlements abrupts et impressionnants du sol.
Une quasi-ceinture de ravins et de précipices, qui allient ore abondante et faune secrète, s’insinue à travers la commune, comme les vergetures d’une mère prolique. C’est une mère des arts, semblable à une vaste toile qui ne demande qu’à être mise en musique. Et l’enfant d’Abobo est un artiste dans l’âme. Moins un tragédien qu’un personnage vrai, qu’un écorché vif. Rien qu’à entendre parler de quartiers tels Gotham, Kennedy, Marley, Kaza et son avenue, Zion, Désert… ou des personnalités aux sobriquets pleins de panache comme John Pololo, Saxon Muller, Végas, Saint-Sim, Awell, Koki et Kata ou encore Kakato, on ne pouvait qu’être enlevé et rêveur. Ces derniers n’étaient nullement des angelots mais, ô combien ils paraissaient beaux et attachants, avec leurs styles haut en couleurs et leurs manières de durs à cuire qui nous transportaient dans les méandres d’un Brooklyn made in Eburnéa.
Dans ses rues, dont beaucoup manque à la perfection : le tracé, le revêtement et tout ce que l’on peut imagi-ner se rapprochant du développement, où le tonnerre résonne néanmoins plus souvent que les fusils, l’on
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La Terre des anges
entend couramment plus d’une langue. Des langues plus classiques et une, particulière, matérialisée à tra-vers cette énergie brute, jeune, unique, au contact d’un monde où la richesse est voilée par le manque. Richesse humaine, humanité en permanent état de survie.
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4 Nouchîgléou
Chez nous, ce n’est ni le javanais ni le verlan ou le pidgin, comme ailleurs. À Abidjan, c’est le nouchi. Le nouchi composé à partir de morceaux d’oralité collectés dans le magma linguistique ivoirien. C’est l’argot local. La voix du sans voie, rebelle, aux journées balafrées de sillons qui ressemblent à des chemins qui ne mènent nulle part. Le nouchi a, dès sa naissance dans les années quatre-vingts, fait partie du quoti-dien de l’enfant d’Abobo, autant que le français ou le dioula (langue du marché), le bété (langue des hits de la musique) et l’anglais aussi, langue des sachants ou des dragueurs-vendeurs-d’illusions.
On ne faisait pas, à l’origine, des phrases pures en parler nouchi. Il fallait ajouter par-ci un mot de fran-çais, par-là un mot d’ivoirien... Mais est-il besoin de le préciser, le nouchi n’était pas qu’emprunt ; il était aussi empreinte. L’empreinte de l’ambiance abidjanaise, cette atmosphère urbaine en ébullition d’une cité dy-namique, cernée et pénétrée de bidonvilles.
Les pauvres parlent vite, parlent haché. Ce n’est pas propre à l’homme d’Abobo. C’est comme si la vie, et aussi la survie, l’exigeaient. C’est une posture ins-tinctive et volontaire à la fois. Un choix de survie. On doit construire des digests, des abrégés du langage. Car aligner tout un tas de mots, c’est dépenser du soufe.
4. Nouchigléou : Attitude, esprit, caractère liés au nouchi
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La Terre des anges
Les mots, dans les bouches, sont allégés, transformés pour les contracter, les fondre, les déformer et leur faire dire plusieurs choses à la fois ; le reste est coné au ton, au regard ou à une gestuelle énigmatique. Le contexte quoi ! Un peu comme toutes les autres lan-gues, nalement.
En nouchi, on ne dit pas tout mais on se comprend. C’était nouveau à nos yeux et nos oreilles avides d’enfants. Très beau, magniquement beau ! Dans nos cités, le noussi (celui dont le parler ou le mode est exclusivement le nouchi) gravite autour de lieux bien particuliers. Pour notre Abobo, il y a le Ciné-cool, l’Étoile, La rue des anges noirs et d’autres places mythiques où le vêtement, le geste et le parler s’harmonisent pour produire une marque qui est dénitivement celle de l’Abobolais.
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