Le coffre et le fruit
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Le coffre et le fruit , livre ebook

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Description

En ce jour de retrouvailles maman prenait joyeusement des nouvelles fraîches de papi Edmond qui conduisait. Je devinais plus tard ce rôle interprèté parfaitement par ma mère rieuse et pleine d’entrain. Ce camouflage lyrique dont mon grand-père s’était masqué tout aussi bien. La dissimulation de la gêne provoqué par l’échec de notre aventure africaine était ici faite avec une jovialité presque sincère. Mais aussi en des manières pudiques si fréquemment employées afin qu’illusoirement on ne montre rien de ses vrais sentiments. Et effectivement j’étais dupe de cette forme de politesse. Du haut de ses dix ans, mon grand frère quand à lui savait déjà aussi travestir les pensées qu’il donnait à voir. Daouda assis sagement près de moi était à demi plongé dans sa bande-dessinée superman. Un soleil levant projetait une lumière de feu créant une aube vaporeuse, ouate et fraîche. Devant la lumière perçante, au travers de la vitre de la Peugeot 504 bleu métalisé, mon regard d’enfant curieux et tout aussi innocent de cinq ans se noyait dans des étendues de verdures champêtres.

Informations

Publié par
Date de parution 06 août 2019
Nombre de lectures 1
EAN13 9782312067391
Langue Français

Extrait

Le coffre et le fruit
Djibi Diarra
Le coffre et le fruit
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2019
ISBN : 978-2-312-06739-1
Chapitre 1
En ce jour de retrouvailles maman prenait joyeusement des nouvelles fraîches de papi Edmond qui conduisait. Je devinais plus tard ce rôle interprèté parfaitement par ma mère rieuse et pleine d’entrain. Ce camouflage lyrique dont mon grand-père s’était masqué tout aussi bien. La dissimulation de la gêne provoqué par l’échec de notre aventure africaine était ici faite avec une jovialité presque sincère. Mais aussi en des manières pudiques si fréquemment employées afin qu’illusoirement on ne montre rien de ses vrais sentiments. Et effectivement j’étais dupe de cette forme de politesse. Du haut de ses dix ans, mon grand frère quand à lui savait déjà aussi travestir les pensées qu’il donnait à voir. Daouda assis sagement près de moi était à demi plongé dans sa bande-dessinée superman. Un soleil levant projetait une lumière de feu créant une aube vaporeuse, ouate et fraîche. Devant la lumière perçante, au travers de la vitre de la Peugeot 504 bleu métalisé, mon regard d’enfant curieux et tout aussi innocent de cinq ans se noyait dans des étendues de verdures champêtres. Je découvrais subjugué une corne d’abondance, les midis Dakarois , ses minarets et ses rues ensablées étaient si loin. Déjà perdu comme une vague en remplace une autre et rythme la vie pour que si possible on s’avance encore fatalement en elle. La veille encore je jouais sur le continent noir avec ses nuées d’enfants si malicieux, dans ses quartiers populaires à la végétation si rare et tellement précieuse. A présent dans ce nord de France devant cette nature verte, foisonnante et perlée d’humiditée lumineuse un désir naissait en moi. Je n’avais plus qu’une seule préoccupation enfantine, m’immerger tout entier dans cette océan de flore et sentir une fraîcheur inconnue m’envelopper. A notre arrivée mon songe de plongeon bucolique fut chassé de mon esprit par l’accueil chaleureux de la famille comme le soleil de midi, les bises, les voix inconnues et les verres qui montent distraient en des façons curieuses le petit étranger que j’étais. Mais quand je partis à la découverte du jardin mon fantasme me reprit. Sur la droite au bord de la terrasse, un massif de roses baccarat baroques éclaté de pourpres, ces fleurs m’étaient inconnues et bien que je fus ébloui par leurs beautées je n’y prêtais guère attention, car je recherchais un océan d’herbes hautes. Dans mes yeux s’était engouffrée une nature foisonnante dans laquelle je voulais m’enrouler et m’enivrer d’exaltation. J’aperçus alors une petite barrière bleue derrière laquelle j’espérais trouver ce que je désirais. Un univers inconnu s’offrit à moi, une verdure où de hautes plantes entremêlées se dressaient les unes contre les autres. Elles étaient mélangées à de plus petites qui semblaient être leurs progénitures. Je l’avais enfin trouvé ce sein frais presque maternelle, des centaines de tiges me tendaient leurs milliers de feuilles. J’enlevais en toute hâte mes vêtements et il fallait que mon corps potelé connût une nouvelle sensation dans le contact de ses feuilles. Je plongeais de toutes mes forces, les bras écartés dans la végétation. Un hurlement déchira l’air et ma famille accourut paniquée puis stupéfaite du spectacle que je leur offrais. Tout en pleurant je courais vers eux la peau attaquée par je ne sais quel venin, ma mère déclara en me saisissant sur un ton qui cherchait à me rassurer :
– « Ce sont des orties, ça pique mais il n’y a rien de grave mon petit. »
– « C’est bon pour le sang » ajouta Evelyne dubitative.
Quelques minutes plus tard, la peau boursouflée de petites cloques, j’infusais humilié et recroquevillé dans une bassine d’eau chaude vinaigrée sous les sourires narquois de ma famille. La France dans une de ses sauvages natures venait de me donner une première leçon. Mais malgré cette expérience malheureuse, au fil des jours de cet été de 1982, le monde qui se trouvait derrière la petite barrière bleue était devenu mon terrain de jeux. C’était une jungle à explorer sans cesse, je la parcourais et j’aimais m’adonner à l’un de mes loisirs favoris « l’arrosage de toile ». Tout comme en Afrique, ce jeu m’avait été inspiré par le recyclage d’un objet destiné à être rejeté. A l’origine ce vaporisateur en plastique contenait un nettoyant pour vitre. Je l’avais rincé et rempli d’eau, armé de la sorte je partais alors à la recherche de pièges au centre desquelles régnaient de belles arachnides à robe fauve. Quand j’en trouvais une, je braquais sur elle mon pistolet et pulvérisais une nuée sur son œuvre. J’admirais alors ce spectacle où des centaines de perles de rosées scintillaient dans une spirale tissée par l’ingénieuse bête. J’éprouvais pendant des heures ce coin négligé qui me semblait un monde vierge et à la fin de ces après-midi ensoleillés Evelyne m’interpellait. Ma grand-mère était une femme approchant la soixantaine d’année, svelte avec un visage fin qui n’avait pas laissé le temps lui enlever toute sa beauté. Sa courte chevelure noire coiffée en vagues courtes était striée de soies blanches. Elle se tenait droite dans une blouse aux imprimés floraux délavés. Elle était d’une nature assurée et pudique, vers quatre heures elle m’interrompait subitement dans mes jeux en me déclarant tranquillement :
– « Christophe vient goûter. »
Debout et nu dans la baignoire je sentais les gouttes d’eau rouler depuis la base de mes cheveux coiffés à l’afro jusqu’à mes pieds. Pendant que je frissonnais ma grand-mère frottait un savon rose parfumé sur un gant de toilette le faisant mousser. Ensuite les bras plein d’assurance Evelyne me frictionnait vigoureusement le corps, arrivé aux genoux naturellement plus foncés que le reste de ma peau, elle insistait et redoublait d’énergie. Ce qui me surprenait toujours, je lui déclarais alors curieusement : – « Tu sais mamie c’est propre maintenant. »
– « Non ! C’est encore sale. » Répondait-elle sans agressiviter mais sur un ton déterminé. Elle ne s’arrêtait pas, ses fines mains s’essayaient à me décaper les rotules avec plus d’énergie encore comme si mamie voulait faire disparaître cette sombre nuance. J’avais décidé de la laisser faire en me disant qu’elle s’arrêterait bien quand elle aurait compris qu’elle s’attaquait à mon épiderme. Puis après m’avoir rinçé, Evelyne me séchait encore vigoureusement dans une grande serviette sentant bon la lavande en me déclarant d’une voix pleine de son sourire et de sa malice : « Voilà, t’es beau comme un camion tout neuf. » Je compris très vite que pour ma grand-mère ma couleur noisette était handicapante, comme niellée d’effluves acres. Avec cette toilette Evelyne m’avisait éfficacement d’une réalité douloureuse. Mamie me tanait délibérément elle-même le cuir, sachant peut-être à tord qu’après ses petites tortures subtiles plus aucun pieu raciste n’auraient pu me faire souffrir. Un jour après le bain mon grand frère m’interpella. Il attendait son tour assis dans la cuisine sous le crucifix, tout en levant un peu le menton, il me jeta en wolof :
– « Tu te fais encore savonner comme un bébé ».
Ce qui me vexa au point que je lui rétorquais dans la même langue tout en fronçant les sourcils :
– « Bouges de là, toi tu n’es qu’un œuf ! »
Mon frère sauta de sa chaise et se précipita vers moi en me menaçant qu’il allait me casser le sexe. Ma grand-mère ne comprenait rien à ces insultes prononcées dans une langue africaine. Ces mots avaient le pouvoir de l’énerver et nous le savions. Elle nous ordonnait donc toujours sèchement et sans larmes pour nous de nous exprimer en Français sans vraiment chercher à comprendre ce que nous disions. Pour elle nous ne parlions qu’un dialecte de sauvage sans commune mesure avec une langue civilisée. Elle pensait qu’il fallait y mettre un terme, nous devions apprendre le bon français et les bonnes manières. C’était pour notre bien pensait-elle sûrement, Evelyne nous reprenait donc chaque fois que l’Afrique s’invitait, elle nous séchait comme des éponges pour mieux nous plonger dans la culture de l’hexagone. Au bout de quelques mois nous perdîmes tout deux l’usage du wolof jusqu’à ce qu’il s’efface comme des marques sur le sable. Cette langue ne traçait plus ses paysages dans nos esprits mais le français continuait de modeler puissamment un univers dynamique, en expension. Une partie de ma famille nous saisissait et nous apprenait avec les forces d’un amour conditionner par le rejet d’une partie de nous même. Daouda et moi devions mettre une fin au régne pui

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