Le prix à payer
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Description

En une seule journée, le destin d'un couple, déjà amputé d'une part de son identité, à cheval sur deux mondes séparés par ce que l'auteure appelle "la mer du Milieu", bascule dans l'innommable. Récit court, dense et sombre qui s'inscrit dans une trame humaniste et universaliste, car il traite de la condition humaine.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2011
Nombre de lectures 23
EAN13 9782296468610
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0070€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le prix à payer
Yanna DIMANELe prix à payer
© L’Harmattan, 2011 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-55421-4 EAN : 9782296554214
I-La traversée (Ou de l'Afrique à l'Europe)
L'Accionne, chargé d'un nombre impressionnant de voyageurs, —parmi eux des immigrés, transformés en vacanciers, de retour au pays d'accueil—, trace sa route sans encombre sur une mer assagie. La veille, pourtant, des vents d'Ouest lourds de menaces avaient noirci le ciel, laissant présager la tempête. Ce matin, au contraire, un soleil radieux a, dès son apparition au Levant, rendu au ciel son éclat et sa sérénité habituels, ce ciel de la fin du mois d'août par quoi s'annonce la lente, très lente agonie d'un été caniculaire. Une brise tiède accompagne le navire dans sa traversée, griffant de vaguelettes frangées d'écume la surface des eaux turquoise. Dans le ventre du bateau-transbordeur, les passagers, essentiellement des familles nombreuses, en prennent à leur aise. Alors que certaines se dirigent vers des cabines qui leur assurent
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une intimité de bon aloi, d'autres s'égaillent, à la recherche du moindre refuge. Qu'importe l'endroit —salles-dortoirs, couloirs, parties communes réservées à la détente—, tout est bon à investir. Des tapis sont déroulés un peu partout, sur lesquels s'affalent des femmes enhidjab, d'autres endjellabas. Certaines gardent leur tenue traditionnelle, d'autres, indifférentes aux allées et venues, se découvrent. Assises à même le parquet ciré ou moquetté, selon le cas, bras nus et jambes croisées, elles attirent à elles des sacs énormes dont elles retirent des vêtements de rechange qu'elles mettent de côté, en prévision, déjà, du débarquement. Les hommes, époux, pères, frères ou fils, ignorant les sièges, les imitent. Avec des gestes lents, parfois maladroits, souvent efficaces, ils secondent leurs parentes dans une ambiance familiale reproduite à l'échelle d'un ferry. Dans cet étrange remue-ménage, un couple de quadragénaires visiblement harassés, se repose dans deux fauteuils en surplomb, dans l'une des salles diteséconomiques, salles réservées soit aux gens ayant peu de moyens, soit à ceux, arrivés parmi les derniers, qui n'ont pas pu trouver de couchettes. Il semble à bout de forces. Alors que la femme clôt ses paupières, les bras croisés sur sa poitrine, l'homme inspecte le lieu d'un œil atone : le spectacle qui se déroule devant lui l'accable plus qu'il ne le réconforte. Il lance un dernier regard à sa compagne, et se met à la recherche du bar, encore désert. Il s'installe à une table, commande un café, tire de la poche de sa chemisette un paquet de cigarettes qu'il garde à la main. Le regard perdu, les épaules fléchies, l'expression éteinte, traduisent son degré d'abattement. Le barman le considère d'un œil rond, car son attitude cadre mal avec l'ambiance enfiévrée de la masse, l'excitation étant de mise, aussi bien de la part des touristes qui débutent leur temps
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de loisirs, que de ceux qui rentrent pour reprendre leur tâche quotidienne. L'homme feint l'assoupissement. Soudain agacé, il se lève, sort dans la coursive, et s'accoude à la rambarde. Son isolement est bientôt rompu par l'arrivée de groupes épars qui, se reconnaissant entre eux, expriment leur surprise à voix haute, et s'interpellent bruyamment. Des liens éphémères sont renoués. Déchaînés, des enfants jouent à cache-cache et, dans leurs courses-poursuites, le bousculent sans ménagment, puis disparaissent sans qu'il ait le temps de réagir. Désemparé, le regard vague, il se redresse avec peine, retourne dans la salle grouillant de vie, et se laisse choir sur son siège. Les paupières closes, il sombre à son tour dans une torpeur inhibitrice. Au bout d'un temps dont il n'apprécie pas la longueur, il se réveille, réveille sa compagne. Sans un mot, il lui fait signe qu'ils doivent rejoindre le coin-repas pour se faire servir un en-cas. Les yeux à peine ouverts, titubant comme si elle s'était enivrée, elle dont la sobriété est remarquable, elle le suit. La pause dure quelques minutes à peine, puis ils retournent à leur place. De nouveau, l'homme se lève, et revient peu après avec deux gobelets de café. La femme avale quelques gorgées, ne finit pas le breuvage. Elle repose le gobelet à demi-plein sur le rebord de la baie vitrée, et appuie sa tête douloureuse contre le dossier de son fauteuil. Sa fatigue se devine à l'afffaissement de son corps. L'homme l'observe un moment, rectifie la position de sa nuque, et ressort dans la coursive. Accoudé, il laisse errer son regard morne sur l'étendue liquide, dont la surface miroitante et ondulante refléchit des milliers de lamelles de feu, puis s'appesantit sur les remous à la crête blanchâtre que crée derrière lui l'Accionne. Le voyage dure depuis des heures ; le jour commence à décroître, la lumière crue baisse d'intensité. Bientôt, du couchant ne parviennent que des halos bleutés, intermittents, fugaces, qui embrasent les flancs du navire, avant de disparaître par degrés.
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Quand enfin il redresse le buste, il distingue dans le lointain, sous forme de lavis sur coup de pinceau, le littoral ibérique à peine ébauché ; au fil des nœuds qu'avale le bâtiment flottant, la côte fragmentée se rapproche, se précise, des points lumineux encore falots en accentuent le tracé tourmenté. Puis le soir tombe de toute sa masse, un soir épais, compact, un soir sans lune, qui semble ralentir l'allure du ferry. Durant quelques minutes, il lui apparaît que sa marche se fait à l'aveugle, Comme il vire de bord, deux puissants faisceux lumineux, jusqu'alors cachés, trouent l'horizon d'un immense halo coloré vers lequel se dirige le mastodonte ronflant : le port est tout proche. Peu à peu, le bruit des moteurs se transforme en ronron, et le bateau semble glisser à mesure qu'il se rapproche de la jetée. Il ralentit encore, et vire la passe mètre après mètre, dans une progression dosée, calculée, aidé par un petit remorqueur, frêle esquif repérable à son fanal. Le port, récemment réaménagé, agrandi pour accueillir de plus en plus de voyageurs et de fret, surgit avec ses quais et ses bâtiments éclairésa giorno.Des ordres brefs, des grincements de chaînes que l'on tire indiquent la fin du voyage. Une voix anonyme qu'amplifie un haut-parleur, résonne dans les coursives, et somme les automobilistes de rejoindre la cale où sont alignés, par rangées de trois, des véhicules de tout tonnage. L'homme redresse sa haute stature, se secoue ; il rejoint en hâte la salle où repose sa compagne ; un flot de passagers impatients lui barre le chemin. Il se hausse sur la pointe de ses chaussures, fouille d'un œil inquiet la foule qui se presse, et se rassure : elle est debout, et a déjà ramassé les affaires éparses dont ils se sont servis tout au long de la longue après-midi et de la soirée, qui leur ont paru interminables bien qu'ils n'eussent à souffrir d'aucune contrariété majeure. Seule la fatigue accumulée au cours d'un séjour
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