Le retour à la vie du prisonnier
162 pages
Français

Le retour à la vie du prisonnier , livre ebook

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162 pages
Français

Description

A la suite d'un changement de dirigeant à la tête de l'Etat, Phillipe Makang sort d'un internement administratif de près de vingt ans. Désormais libre, il souhaite reconquérir son épouse qui, le croyant mort, s'est remariée entretemps, retrouver ses enfants et identifier le responsable de son arrestation.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2012
Nombre de lectures 36
EAN13 9782296483880
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le retour à la vie du prisonnier
FEMMES ET SAVOIRS Collection dirigée par Alice Delphine TANG
La collection « Femmes et savoirs » intègre tous les ouvrages qui contiennent des savoirs diffusés par les femmes, des savoirs diffusés pour les femmes et des savoirs diffusés sur les femmes. Dans ces rubriques se retrouvent aussi bien les œuvres de fiction (roman, nouvelle, poésie, théâtre, épopée, conte, etc.) que les essais littéraires, philosophiques, ethnologiques, anthropologiques, sociologiques et mythologiques. La collection « Femmes et savoirs » est un espace scientifique dont le but est de donner une grande lisibilité des écrits réalisés par les femmes ou portant sur les femmes.
Déjà parus
Marie-Rose ABOMO-MAURIN,L’écriture du politique dans le roman camerounais, 2012. A. FAHA TALENG et Paule S. NANFAH,L’hydre dans le verger. Poèmes, 2012. Marie Françoise ROSEL NGO BANEG,Méandres. Roman, 2011. Marie-Rose ABOMO-MAURIN et Alice Delphine TANG, L’A-Fricde Jacques Fame Ndongo et la rénovation de l’esthétique romanesque, 2011. Eustache OMGBA AHANDA,Soupirs de l’âme. Poésie, 2011. Jean-Paul ADA BEKOA,Misères publiques, Poésie, 2011. Sylvie Marie Berthe ONDOA NDO,La réécriture de l'histoire dans les romans de Romain Gary et d'André Malraux, 2010.
Paul Emmanuel Bassama Oum Le retour à la vie du prisonnier
Roman
© L’Harmattan, 2012 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-96456-3 EAN : 9782296964563
1.
Lorsque, dans la nuit, Philippe avait entendu des camions déverser des moellons dans la cour arrière, il avait pesté en se disant que demain sera une longue et rude journée de travail, consacrée au concassage des pierres, sous une chaleur suffocante. Cette besogne était nouvelle, datant de quatre, voire cinq mois maintenant. Un jour qu’il était astreint au ménage des bureaux, Philippe avait surpris une conversation des gardiens qui lui avaient appris que le concassage de pierres était une « affaire » du directeur de l’établissement qui arrondissait ainsi ses fins de mois en revendant les gravillons obtenus à des entrepreneurs et à des particuliers qui construisaient leurs maisons. Philippe imaginait l’affaire assez rentable, à voir sa régularité et son suivi, avec une main-d’œuvre totalement gratuite. Il se doutait aussi que le reste du personnel jalousait le directeur, à en croire la dureté des propos qu’il avait surpris. Mais bien sûr, tout cela ne changeait rien à sa condition ni à celle des autres pensionnaires. La seule consolation qu’ils avaient était que le jour de la corvée de concassage de pierres, nul ne subissait ni interrogatoire ni sévices corporels. Alors, assis le lendemain à même le sol à sa place habituelle, Philippe frappait presque machinalement son marteau dans la pierre, réduisant en miettes les blocs qu’il allait chercher dans les masses déversées la veille, conscient
de ce que la journée ne sera pas terminée tant que les moellons n’auront pas tous été émiettés et les gravillons rechargés dans les camions qui reviendraient à la nuit tombée.
Ce jour-là pourtant, un incident allait perturber le cours tranquille de la corvée. Alors qu’il était strictement interdit aux pensionnaires de parler seuls, entre eux ou même aux surveillants, un vieil homme qui était assis à la droite de Philippe réclama, d’une voix suppliante, une seconde ration d’eau. Il faut dire que le soleil était de plomb, et ses rayons martyrisaient à l’extrême limite les corps dénudés des hommes de corvée. Mais alors, l’audace du vieil homme provoqua une véritable alerte chez les trois surveillants qui devisaient en ricanant à l’ombre d’un bâtiment. Ils se précipitèrent sur l’insolent, le regard furieux, la matraque levée.
- Est-ce toi qui as parlé ? demandèrent-ils de concert.
- Oui, répondit courageusement le vieil homme. Il fait très chaud, et je veux une autre bouteille d’eau …
La matraque de l’un des surveillants partit avant que l’homme n’eût fini de parler. Les autres imitèrent, frappant la tête, puis le dos, et les jambes du vieil homme qui s’était affalé. La bastonnade dura une ou deux minutes avant que le chef de la corvée ne l’arrête.
- Stop ! fit-il en s’adressant à ses collègues ; il en a eu assez. Puis, se tournant vers le malheureux recroquevillé sur le sol, il lui dit :
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- Tu as droit à une seule bouteille d’eau et pas plus. Dois-je vous rappeler que vous ne devez pas parler pendant le travail, en s’adressant à tous les pensionnaires. Celui qui enfreindra encore cette règle sera jeté au trou pendant deux jours. Est-ce que c’est clair ?
Philippe opina le premier. Le trou, il savait ce que c’était, une espèce de fosse profonde pleine de boue et de déchets divers où l’on tenait à peine debout. La respiration y était difficile et il fallait en plus se battre contre les rats qu’on y balançait pour vous tenir compagnie. Philippe y avait été envoyé trois fois au début de son séjour, lorsqu’il criait encore, en homme naïf, le respect de ses droits. Il s’était juré depuis de ne plus rien faire qui l’entraînerait vers ce fameux trou.
L’incident ne s’arrêta cependant pas avec la menace du chef de la corvée. L’un des surveillants qui n’avait pas cessé de lorgner Philippe pendant que son chef parlait, s’approcha subitement de lui en le toisant et en agitant sa matraque.
- C’est peut-être toi qui l’as encouragé à désobéir, fit-il en le regardant d’un œil furieux.
En guise de réponse, Philippe lui montra sa propre bouteille qui était encore pleine aux trois quarts. N’osant pas parler pour ne pas commettre lui aussi une entorse au règlement, il essaya autant qu’il pouvait, par la mime et les mains, de prouver qu’il n’était pour rien dans la témérité de son voisin.
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- Réponds-moi quand je te parle, reprit le surveillant, plus menaçant. Tu l’as encouragé, n’est-ce pas ?
Philippe fit non de ses deux mains qu’il croisa ensuite sur sa poitrine en signe de soumission. Il sentait que la matraque allait partir quand le chef de la corvée intima à tous les pensionnaires de se remettre au travail et surtout de « la boucler définitivement ».
Est-ce cet incident qui poussa également les surveillants à modifier le programme établi des jours de concassage de pierres ? Vers vingt heures, alors que les pensionnaires étaient rentrés, avaient pris leur « riz-haricot » en guise de repas et n’attendaient que l’extinction des lumières, Philippe perçut des pas et des voix dans le couloir menant aux chambres. Il crut d’abord que ce n’était qu’une inspection de routine, puis prit peur en entendant la fermeté des ordres et les injures que proféraient les surveillants. Ils étaient trois, peut-être quatre, qui ouvraient chaque porte, constataient l’état du pensionnaire avant de lui intimer l’ordre de se coucher et de se couvrir jusqu’à la tête. « Sale rebelle, criaient-ils, tu ne dors pas encore ? Eh bien, fais-le maintenant et surtout ne ronfle pas… Espèce de cafard, on va t’écraser définitivement si on t’entend encore… ».
Philippe n’attendit pas qu’ils soient devant sa porte. Il referma la Bible qu’il était en train de lire, tira la couverture sur lui et ferma les yeux. Instinctivement, il se mit à prier, exhortant le ciel à renvoyer au plus vite les surveillants vers leurs bureaux. Il trembla en
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entendant le cliquetis des clefs et des chaînes devant sa porte.
- Eh ! Toi Makang, je suis sûr que tu ne dors pas, entendit-il lorsque la porte de sa chambre fut ouverte. Philippe reconnut la voix du surveillant qui l’avait toisé et menacé dans la journée. Il retira sa couverture et s’assit au bord du lit, les bras croisés sur la poitrine pour montrer sa docilité.
- Est-ce notre homme ? demanda un autre, une espèce de titan noir au visage balafré qui mâchonnait encore de la kola à cette heure. Philippe ne l’avait jamais vu auparavant.
- C’est bien lui, répondit le premier. Philippe Makang, fils de maquisard et subversif de son état. Il est là depuis un certain temps pour …
- Emmenez-le, ordonna le titan, il me dira lui-même pourquoi il est là.
- Je n’ai rien fait de mal, protesta Philippe. Laissez-moi dormir, je vous en prie, je suis fatigué.
Mais sa protestation n’y fit rien. Un des surveillants lui passa des menottes aux bras, avant de le pousser dans le couloir. Quand ils arrivèrent dans la salle des tortures située au sous-sol du bâtiment, Philippe tremblait de tout son corps. Il savait qu’il allait bientôt passer un sale temps et se demandait comment il allait pouvoir résister. La corvée de la journée l’avait épuisé, et le « riz-haricot » du repas qu’il avait goulûment avalé lui causait des crampes à l’estomac. Il grimaçait de
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douleur lorsqu’on le fit s’asseoir sur un tabouret au milieu de la salle.
- Alors M. Makang, reprit le titan balafré qui s’était planté devant lui, professeur d’histoire et de géographie… Vous croyez que cela vous donne le droit d’insulter le père de la Nation ?
- Je ne l’ai jamais fait, chef, répondit Philippe. Jamais je n’ai insulté la personne dont vous parlez.
- C’est ça, vous êtes un saint, et moi je suis le diable. Vous croyez que vous êtes là par hasard ou qu’on a fait une confusion ? Vous faites partie d’une organisation subversive et je veux connaître la vérité sur vos activités.
- J’ai toujours dit la vérité, monsieur. Depuis que je suis ici, je n’ai jamais dit que la vérité.
- Les rapports que nous avons me disent le contraire. Vous faites partie d’un groupe qui appelle à la rébellion dans le pays. Donnez-moi les noms des autres membres de ce groupe.
- Je ne suis membre d’aucun groupe, chef, je ne sais pas de quoi vous parlez.
- Non ? Vous voulez dire que vous agissez seul ? Et les tracts qu’on a retrouvés chez vous ? Est-ce vous qui les avez fabriqués ? Qui est votre imprimeur ?
- Je ne sais rien des tracts dont vous parlez. Je ne les ai jamais vus.
- En voilà un, monsieur le professeur ! Il appelle à la résistance et à la guérilla urbaine. Vous ne pouvez pas
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