Les Cheutons
152 pages
Français

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Description

L’histoire commence le 8 novembre 2008, le lac des Settons vient d’être vidé pour des travaux de réfection du barrage. L’histoire se termine quelques mois plus tard quand le lac a retrouvé son aspect lisse et ses activités.
Pendant cette période, Micha, quatorze ans, découvre ce qui se cache sous les apparences. Les secrets de famille même enterrés ne meurent jamais.
Comme une métaphore, le lac répond en écho aux bouleversements vécus par la jeune fille. Une jeune fille qui préfère observer le monde à travers le prisme du théâtre et du cinéma.

Informations

Publié par
Date de parution 02 octobre 2018
Nombre de lectures 0
EAN13 9782312061559
Langue Français

Extrait

Les Cheutons
Geneviève Bonnet - Cadith
Les Cheutons
Roman
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2018
ISBN : 978-2-312-06155-9
Chapitre 1. Samedi 8 novembre 2008
Deux râles comme deux longues plaintes déchirantes et puis plus rien. Le silence s’abattit comme une masse, étouffant la vie des petits bruits.
Un gigantesque cratère entouré de verdure, exhibait sans pudeur sa morbide nudité.
La surface couvrait des milliers d’hectares de sable et de cailloux, avec ici et là, un bloc de granit, une carcasse de voiture, une barque recouverte de glaise, un bidon rouillé. Les nappes de boue qui s’étaient formées, exhalaient des relents de pourriture. De minces filets d’eau couraient entre les ruines du village qu’on distinguait encore. L’église décapitée dominait la masse informe des décombres. Des arbres décharnés, se dressaient vers le ciel, pour protester contre l’inconséquence des hommes.
Couchées sur les rives, des barques sans pêcheur exposaient leurs flancs vaincus, à la curiosité des passants.
A la sortie du barrage, une bouche monstrueuse avalait les derniers poissons avant de les cracher dans de grandes cuves remplies d’eau.
Malgré les efforts des équipes, quelques carpes avaient échappé aux nasses et s’agitaient inutilement dans les flaques. Les ouvriers vaquaient à leurs occupations dans un silence respectueux.
C’était la fin de la journée. Le vidage du lac n’attirait plus personne. Seuls les vieux et quelques enfants, suivaient stoïquement les dernières opérations. Leurs yeux balayaient le vide sans comprendre. Les plus jeunes se taisaient, impressionnés.
Le ciel se mit à pisser dru. La pluie claquait sur le sol provoquant de minuscules explosions. La terre collait aux bottes. Des rideaux liquides masquèrent rapidement le paysage lunaire, puis, le gris du ciel se noya dans la frange brune des arbres, masquant l’horizon dans une harmonie de tons sombres et tourmentés.
C’était le 11 novembre 2008. Le soir tombait sur le lac des Settons. Le vidage du lac s’achevait dans une atmosphère apocalyptique.
La confrérie des pêcheurs s’était réfugiée au café d’Eugénie. Les doutes, les ragots les plus extravagants, échauffaient les conversations. Le groupe s’était peu à peu constitué un répertoire en résonnance avec ses principales préoccupations. Les mots tournaient, s’enflammaient, s’éteignaient, repartaient, mouraient aussi parfois.
– Faut pas croire, si on ne se mobilise pas pour sauvegarder le haut Morvan…
– Tu délires Lucien ! Jamais nos élus n’accepteront de sacrifier notre patrimoine culturel !
– Les élus ? Ils sont comme les autres ! Ils vont se faire mousser pendant Le Poisson d’or et puis…
– Mouais ! Moi je dis qu’il a raison Baptiste , c’est juste pour exploiter les ressources des Settons , et traficoter avec les gars de Rungis .
– Vous êtes totalement à côté de la plaque ! Si on ne vide pas, on perd en oxygénation naturelle et…
– Elle sort d’où celle-là ? Comment tu dis ? Patrimoine halieutique… ?
– Bon, moi je pense que ça va servir à remplir les poissonneries de Rungis, et nos poissons, au lieu de les regarder s’agiter dans les eaux des Settons, on les verra bientôt le ventre en l’air sur les étalages des marchés.
– Vous devriez arrêter le pastis les gars. ! Le vidage se fait de manière scien… ti… fique. Tu peux faire le clown Baptiste ! J’te l’dis comme j’le pense… avec le guidage par les tuyaux et la récupération dans les cuves, pas d’échappatoire.
– Tu m’fais marrer avec tes théories ! Et l’exploitation frauduleuse ? Hein ? T’en fais quoi ? T’as l’œil tout le temps sur ce qu’ils font p’t être ?
– Non mais dans un an, c’est le championnat du monde.
Les éléments s’étaient calmés. Eugénie souleva le rideau qui recouvrait la fenêtre pour contempler le site dévasté qui défiait son établissement. Elle passa sa main sur son visage, pour chasser cette vision déprimante. Je m’étais approchée de la fenêtre pour contempler le désastre. D’ici on avait une vue plongeante sur la retenue et le barrage. Elle finit par prendre conscience de ma présence à ses côtés, alors, elle se tourna vers moi et me sourit.
Eugénie était pour moi une femme sans âge. Une femme, juste assez vieille pour être la mère de ma mère. Veuve très jeune, elle l’avait élevée seule après le décès de mon grand-père.
Discrète et peu bavarde, ma grand-mère se fondait dans le décor très personnel qu’elle s’était créé.
Une partie de son temps libre était consacré à réparer et à transformer des objets qu’elle récupérait dans les brocantes.
Un parquet en bois rustique recouvrait le sol de la grande salle commune. Des tapis confectionnés dans des chutes de tissus, apportaient des notes colorées. La grande terrasse qui prolongeait l’établissement ouvrait sur la retenue vide. Des bibliothèques ajourées modulaient l’espace. Le mobilier récupéré ici et là, était confortable et chaleureux, disparate mais bien assorti.
On venait ici boire un thé dans des tasses anciennes, lire un des ouvrages à disposition sur les étagères, jouer aux échecs ou aux dames, ou simplement se réchauffer près de la grande cheminée.
Les modes naissent et meurent au rythme du besoin de changement. Les modes s’arrêtaient ici, à la porte du café d’Eugénie.
Ma grand-mère ramassa un crayon oublié sur une table et le planta dans son épaisse chevelure relevée en chignon, puis, réajustant son chemisier, elle traversa la salle de son pas souple pour rejoindre le vieux comptoir en zinc.
Eugénie possédait cette sorte de beauté qui ignore les canons en cours. Son charme naturel négligeait les évidences et les artifices. Rien n’était calculé. Elle se contentait d’être elle-même, ni plus, ni moins.
Quand elle prit place derrière le bar, les conversations fléchirent un peu sans s’épuiser. La vigueur et la crudité des propos s’adoucirent. Des pauses de plus en plus longues vinrent interrompre le ronronnement des scénarios fantaisistes repris en boucle.
Selon Eugénie, les mots étaient plus précieux quand on les utilisait avec parcimonie, aussi cultivait-elle l’art du silence et celui de l’écoute. Le parler économe, ses interventions forçaient le respect. On la considérait comme une confidente de qualité. Les secrets qu’elle recueillait, la rendait aussi précieuse que dangereuse, mais sa réputation de « carpe » la protégeait des malveillances.
La patronne s’empara de l’éternel torchon qui pendaient à sa ceinture et entreprit d’essuyer les verres qu’elle venait de rincer. Son sourire illumina un instant son visage, encourageant les pêcheurs à reprendre leur conversation.
C’est alors que la porte d’entrée s’ouvrit. Un vent glacial s’engouffra dans la salle, soulevant les rideaux, ranimant les braises, répandant les feuilles mortes sur le plancher. Deux hommes et une femme pénétraient dans le café.
Ma grand-mère ne releva pas la tête. Je fus sans doute la seule à remarquer le léger frissonnement de ses narines.
Ma grand-mère était mon sujet d’observation préféré.
Hasard des répétitions, j’étais le fruit d’une liaison éphémère d’un homme en transit dans la vie de ma mère. Mon père ? Pas connu, un inconnu en somme.
Je poussais au sein de ce matriarcat affectueux avec un sentiment de liberté dont j’usais avec délices. Nos relations étaient protégées par une bulle de tendresse, dans laquelle nous nous retrouvions pour partager des moments rares et précieux. Margot, ma mère, tenait un petit restaurant de cuisine traditionnelle à Avallon. Elle nous rejoignait le week-end parfois si épuisée, qu’elle ne décollait pas de sa chambre.
Ma grand-mère était mon île. La regarder évoluer me faisait accepter l’idée effrayante de grandir.
Margot avait en bosses ce qu’Eugénie avait en creux. Eugénie jardinait l’ombre. Sa discrétion cachait une détermination redoutable. Margot jouait dans la lumière. Son dynamisme s’imposait de fait, masquant des fêlures invisibles.
Indécise face à ces tempéraments contraires, je me pliais aux évidences. Je serais une femme en demi-teinte.
La discrétion de ma grand-mère attirait les confidences. Je consacrais la mienne à la pratique de l’observation comme d’autres étudient la musique, la danse ou la peinture. Ma passion pour l’examen de tous ceux qui m’approchaient, occupait le plus clair de mon temps.
Les nouveaux arrivants secouèrent leurs cirés trempés, puis s’approchèrent du comptoir pour serrer quelques mains. Ils n’étaient pas à proprement parler des habitués du café.
Pascal, le plus âgé, était un jeune retraité qui avait hérit

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