Les clochettes de lépreux
256 pages
Français

Les clochettes de lépreux , livre ebook

256 pages
Français

Description

Romancier et dramaturge, Papa Samba Badji s'intéresse à tous les domaines de la vie. Après "La femme du démon", roman politique qui a fait voler en éclats bien des tabous, "Les clochettes de lépreux" est un autre pavé jeté dans la mare tranquille de la littérature sénégalaise. Le décor du roman est la campagne sénégalaise. Des paysans, braves travailleurs, bon musulmans et fidèles talibés vont faire face à des catastrophes naturelles ainsi qu'à des pratiques politiques qui finiront par faire douter nombre d'entre eux. Alors débuteront les oppositions. Opposition à l'autorité administrative qui se sucre sur leur dos, opposition à l'ordre religieux, opposition à toute forme d'exploitation. Tous les paysans finiront par accepter de porter les clochettes des lépreux. Ce que certains considèrent comme du fatalisme est simplement de la foi pour les paysans. C'est pourquoi quand ils décident de réagir, la situation échappe toujours à ceux qui pensent être les décideurs.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 11
EAN13 9791092966169
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les clochettes de lépreux© Les clochettes de lépreux
Avril 2021
ISBN : 979-10-92966-16-9
email : maitresdujeuédtions@gmail.com
Conception : MJEPapa Samba BADJI
Les clochettes de lépreux
Roman
Maîtres du jeu Editions Ce que je crains le plus pour ma communauté, c’est le savant
libertin et l’ignorant dévot : celui-là perd les gens par son
libertinage, celui-ci les égare par sa dévotion.
HadithA toi mon petit-fils, homonyme de papy Vincent France et de
papy Samba Sénégal. En toi la force du lutteur Tréma et la
technicité du budoka Amara Puisses-tu grandir et devenir le
porte-étendard de ceux qui travaillent pour le brassage des
cultures et le respect des différences, ceux qui veulent
entourer le monde d’une ceinture de mains fraternelles.
7Ce roman est une oeuvre de fiction. Toute ressemblance avec
des personnages ou événements ayant réellement existé, est
fortuite et ne saurait engager ni l'auteur ni l'éditeur.1
Toute sa vie durant, Abdou ne devait jamais oublier ce jour
où, pour la première fois, il s’était présenté au poste de santé
pour faire soigner son épouse malade. C’était réellement ce
jour où tout avait commencé. Aujourd’hui encore, enfermé ou
plutôt barricadé dans sa case, avec tout le village prêt à le
défendre, il pensait à ce fameux jour. Cette journée était pourtant
banale dans le contexte de la campagne mais pour Abdou
c’était à partir de ce moment que sa vie allait basculer. Il en
était tellement convaincu qu’il n’entendait pas la clameur des
paysans mais se revoyait dans le bureau de l’infirmier chef de
poste. Ce dernier avait fini d’examiner son épouse et écrivait
sur un bout de papier. C’était sûrement une ordonnance qu’il
ne pourrait pas acheter, se dit Abdou. Mais ce qui le dérangeait
le plus, c’était le silence de l’infirmier. Il n’avait pas ouvert la
bouche depuis le début.
˗ Je m’inquiète beaucoup pour mon épouse, risqua-t-il. Elle ne
dort plus la nuit. Et elle ne sait même pas ce qui lui fait mal
exactement. Je crois que c’est à cause de sa grossesse.
L’infirmier ne semblait pas l’entendre. Abdou détourna son
regard et le fixait sur la photo du grand cheikh accrochée au
mur. Cette image qui, certainement, renseignait les visiteurs
sur les croyances de l’infirmier, réconfortait Abdou. Ils étaient
tous deux de la même confrérie. C’était suffisant pour qu’il lui
fît confiance. Il n’était plus un simple infirmier à ses yeux, mais
un parent, car vénérant le même cheikh. Abdou se demandait
s’il ne devait pas lui dire qu’il était aussi un disciple. Cela
pourrait contribuer à changer l’attitude de l’infirmier. En lui révélant
ses croyances religieuses, il cesserait sûrement d’être ce
simple époux anxieux comme l’infirmier en voyait des dizaines
chaque matin. Il deviendrait un condisciple. Quelqu’un à qui il
devait des égards, comme l’avait recommandé le grand
cheikh. Mais il n’eut pas le temps de se présenter. L’infirmier
9venait de se redresser et lui tendait le papier sur lequel il avait
inscrit une longue liste de médicaments. Abdou prit le papier
sans avoir l’air de comprendre ce que cela signifiait.
˗ Ce n’est pas seulement à cause de sa grossesse. Ton
épouse a une autre maladie.
Le cœur d’Abdou se mit à battre la chamade. Il sentait bien
qu’avec cette indifférence qu’il affichait à son égard, l’infirmier
ne pouvait que lui annoncer une mauvaise nouvelle. Il ne
daigna pas le regarder car il savait que l’infirmier pourrait lui
annoncer la mort de son épouse avec cette même absence de
compassion.
˗ Ton épouse est atteinte de méningite.
Abdou ne savait pas ce que c’était. Mais le ton employé par
l’infirmier ne lui laissait aucun doute sur la gravité de cette
maladie. Il soupira longuement et évoqua le Seigneur
Tout-puissant. Il fixait le soigneur et murmurait : « Une méningite, une
méningite ». Son interlocuteur crut enfin utile de lui expliquer
ce que c’était.
˗ C’est une maladie qui se localise à la gorge et qui à la longue
paralyse tout le corps. Voilà pourquoi ton épouse a mal au cou
et des migraines fréquentes.
Abdou ne savait que dire. Il regardait alternativement
l’infirmier et l’ordonnance qu’il tenait du bout des doigts comme s’il
s’agissait d’un papier d’impôt. La grossesse de son épouse lui
causait de sérieuses inquiétudes. En vingt ans de mariage, ils
n’avaient jamais eu d’enfant. Son épouse s’en trouvait
terriblement affectée. Elle savait que les gens lui feraient porter au
flanc une malédiction, cause de tous leurs malheurs.
Cependant, Abdou s’inquiétait beaucoup plus de son épouse dont la
santé se dégradait de jour en jour que de la venue d’un enfant
fut-il attendu comme un messie. Elle était à nouveau grosse
et n’avait pas besoin de méningite qui compliquerait davantage
les choses.
˗ Qu’est-ce qu’il faut faire alors ?
L’infirmier bougea bruyamment de sa chaise. Il semblait
perplexe. Cette question que tous les visiteurs lui posaient le
10mettait toujours mal à l’aise. Il détourna son regard vers les
étagères qui occupaient toute une partie de la pièce, sur
lesquelles se trouvaient des boites de médicaments certainement
vides, puisque posées n’importe comment, et secoua la tête.
˗ Tu sais, le cas de ton épouse nécessite des soins que ne
peuvent pas lui prodiguer un petit poste de santé, d’ailleurs
totalement démuni, d’un chef-lieu d’arrondissement.
Il ne put s’empêcher de jeter un autre coup d’œil sur les
étagères aux boites vides et ajouta avec une certaine
lassitude dans la voix.
˗ Il faut l’amener à la ville.
˗ On ne peut donc pas la soigner ici, demanda bêtement
Abdou ?
˗ En ce moment, nous ne pouvons même pas soigner une
grippe ou une rage de dents. Il n’y a rien ici, tu entends, rien.
Les médicaments que nous attendons depuis longtemps ne
viennent pas pour des raisons mystérieuses.
Abdou ne savait plus que dire. Il leva les yeux vers le grand
cheikh et semblait l’implorer de lui venir en aide. Il sentait qu’il
n’avait plus rien à faire ici, mais ne se décidait toujours pas à
se lever pour s’en aller. Il paraissait attendre quelque chose.
Un geste, peut-être seulement une parole réconfortante de la
part de cet infirmier qui était un condisciple. On ne pouvait
soigner son épouse dans ce poste de santé. L’infirmier le lui avait
clairement signifié. Mais Abdou gardait espoir.
On ne s’accroche à l’espoir que quand il n’existe
pratiquement plus. Quand on se trouve impuissant et seul face à un
problème délicat, tous ceux en qui on voit quelque chose de
commun, la nationalité, la religion ou même les idées
politiques, sont considérés comme des parents. Et ces parents à
qui, en d’autres circonstances, on n’aurait jeté aucun regard
seront perçus comme des faiseurs de miracles.
L’infirmier était aux yeux d’Abdou ce sauveur.
˗ Tu achèteras ces médicaments. Ils la soulageront jusqu’à ce
que tu puisses l’amener en ville.
Abdou regardait le papier qu’il tenait du bout des doigts. Au
11bout d’un moment, il l’enferma dans son poing, sans se soucier
de ce que pouvait en penser l’infirmier et secoua la tête.
˗ C’est la seule chose que nous pouvons faire. Entre nous, je
me demande ce que nous faisons ici si nous ne pouvons
même pas soigner les braves gens qui tombent malades.
˗ Je me demande la même chose. C’est très facile de prescrire
une ordonnance à quelqu’un, mais il n’en est pas de même
pour acheter ces médicaments pourtant indispensables pour
retrouver la santé. C‘est à croire que nous n’avons pas le droit
de tomber malade.
L’infirmier qui avait décelé de l’amertume dans la voix
d’Abdou, se lança aussitôt dans de longues explications. Les
autorités gouvernementales avaient cédé aux injonctions des
institutions financières internationales et n’investissaient plus
dans les secteurs sociaux comme la santé. Les infrastructures
sanitaires étaient vétustes, les médicaments faisaient défaut,
le personnel qualifié était rare car le gouvernement ne recrutait
plus. Ce dernier refusait également obstinément de revaloriser
leur fonction car, la santé des populations était le cadet de ses
soucis. Les agents de la santé avaient déjà fait la grève mais
sans réussir à améliorer leur situation. L’infirmier avait débité
tout cela sans se soucier de savoir si son interlocuteur
comprendrait ou non. Il voulait présenter leur lutte comme une
mission pro

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