Les collectionneurs , livre ebook

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Après une longue vie de pharmaciens, Louis et Ferdinand Jacquet auraient pu décider de se mettre au golf, au bridge ou bien de partir faire de jolies croisières, ils ont préféré se passionner pour l'art contemporain.
A travers une galerie de personnages hauts en couleurs, Emilie Frèche s’attaque au plus fermé des milieux, mais dans lequel chacun n'aspire qu'à retrouver sa curiosité et son émerveillement d'enfant.
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Publié par

Date de parution

01 mai 2011

Nombre de lectures

5

EAN13

9782918602071

Langue

Français

Les Collectionneurs
Emilie Frèche
ISBN 978-2-36315-236-7

Mai 2011
Storylab Editions
30 rue Lamarck, 75018 Paris
www.storylab.fr
Les ditions StoryLab proposent des fictions et des documents d'actualit lire en moins d'une heure sur smartphones, tablettes et liseuses. Des formats courts et in dits pour un nouveau plaisir de lire.

Table des mati res

La galeriste
La femme du collectionneur
Le collectionneur
L'artiste
L'héritière
L'agent immobilier
La crise
Le critique d'art
Artforum
Biographie
Dans la m me collection
La galeriste
La première fois que Ferdinand Jacquet est entré à la galerie, on aurait dit qu’il allait aux putes. Il portait un vieux pardessus beige qui lui tombait jusqu’aux chevilles, une écharpe d’une longueur interminable et des lunettes à peu près aussi larges qu’un masque de ski. S’il avait pu se glisser sous une burqa, je suis certaine qu’il l’aurait fait.
J’étais d’abord tombée sur cette improbable silhouette en tout début d’après-midi, alors que je sortais du bistrot d’en face. Je venais d’y déjeuner avec un type de la Ville de Paris, une espèce d’autiste qui n’avait jamais entendu parler de Roman Bayler, qui ne voulait surtout pas que je lui en parle, et qui refusait de subventionner sa prochaine production. J’étais furieuse. Roman n’était pas le plus simple, mais le meilleur de mes artistes – celui en tout cas qui me permettait de survivre, et il m’avait prévenue, si je ne lui organisais pas une exposition dans les deux ans, d’autres marchands seraient ravis de l’accueillir. Mais comment allais-je me débrouiller sans aucune subvention ? Roman ne réalisait que des oeuvres monumentales, produire son travail exigeait des sommes astronomiques. De rage, j’avais quitté ce couillon de fonctionnaire en lui serrant la main du bout des doigts, puis traversé la rue tête baissée, percutant de plein fouet un homme à qui j’avais hurlé :
— Connard !

J’ignore si Ferdinand Jacquet, lorsqu’il poussa la porte de ma galerie quelques heures plus tard, reconnut celle qui l’avait insulté. Moi, je le remis tout de suite. Il avait une telle allure… Il était presque trop plouc pour être honnête et, un court instant, j’ai même pensé que c’était un gros industriel qui voulait se la jouer incognito. Puis sa timidité me parut sincère, et je le pris pour un de ces peintres du dimanche que nous autres, pauvres galeristes, voyons défiler à longueur de journée. J’attendis donc qu’il s’approche, sorte son CV, le défroisse, me le tende en souriant gauchement, puis m’explique que l’ensemble de son œuvre était visible sur son site internet pour pouvoir lui rétorquer très poliment que la galerie ne prenait aucun nouvel artiste – quel que soit le talent de l’artiste . Mais Ferdinand Jacquet ne bougea pas. Ferdinand Jacquet resta sur le pas de la porte, avec son air absolument déterminé et, pendant quelques secondes qui durèrent une éternité, j’eus le loisir de me persuader qu’il était un détraqué sexuel et que mon heure avait sonné.
— J’ai mis du temps à vous retrouver, murmura-t-il enfin.
Un froid polaire souffla dans mes veines. Sans savoir comment, je parvins à attraper mon sac qui était posé contre un des pieds de mon bureau et le déposai sur le plateau, loin devant moi, ça voulait dire prenez ce que vous voulez. Ferdinand Jacquet ne comprit rien, évidemment. Alors aux gestes il me fallut joindre les mots :
— Qu’est-ce que vous voulez ?
— Une mer, me dit-il.
— Pardon ?
— Je voudrais une mer. Noire ou blanche, peu importe. Je mettrais le prix qu’il faudra.
Un dingue. J’avais à faire à un doux dingue.
— Sachez qu’une mer, lui rétorquai-je, ça n’a pas de prix.
— C’est ce que me dit toujours la mienne, enchaîna-t-il.
Alors là, je ne savais plus quoi répondre. Sa mère connaissait Sugimoto ? Sa mère connaissait Hiroshi Sugimoto ? Je n’en revenais pas ! Et pourtant, si elle lui avait dit qu’une mer, ça n’a pas de prix, cela signifiait qu’elle connaissait forcément Sugimoto, qu’elle savait qu’il était l’un des plus grands photographes japonais et que sa série des mers avait connu un tel succès que l’on ne trouvait plus aucun de ces tirages sur le premier marché. Mais qui donc était sa mère pour savoir tout cela ?
— Une collectionneuse ? lui demandai-je.
— De savons, me répondit Jacquet. Pendant des années, elle les volait dans les hôtels, mais maintenant qu’elle ne peut plus voyager, eh bien c’est moi qui m’en charge.
Il se mit à ricaner bêtement puis, percevant la désolation que j’éprouvais à son égard et que mon visage ne parvenait manifestement pas à dissimuler, il retrouva son sérieux et me lança :
— Toutes les mères du monde disent qu’elles n’ont pas de prix, non ? Toutes les mères du monde disent que, un jour, on les regrettera. Qu’est-ce que vous voulez, je ne suis pas moins con que les autres, moi aussi je crois que les gens que j’aime sont éternels.

Ce fut à mon tour de rire bêtement. Je n’avais rien compris au jeu de mots de Ferdinand, et cela prouve à quel point je peux parfois être déconnectée ! L’art contemporain est toute ma vie, vous savez... Je ne me suis jamais entendue avec mes parents, je n’ai pas de frères et soeurs, pas de mari, pas d’enfant, alors en dehors des ventes, des foires et des artistes, il n’y a pas beaucoup de choses qui comptent. Moi, lorsqu’on me dit « mer », je ne pense pas à la mienne, je pense à Sugimoto !

Je me sentis si stupide ce jour-là que, pour me racheter, j’allai chercher en réserve la dernière pièce que je possédais du photographe, a Night Seascape datant de 1993, que Xavier Leroy m’avait réservée. Je sais, je n’aurais jamais dû faire une chose pareille, c’est une faute professionnelle grave, mais je tiens tout de même à préciser que Xavier Leroy n’est pas un vrai collectionneur. Xavier Leroy est un spéculateur, un boursicoteur ! D’ailleurs, je ne lui vends que des pièces mineures et encore, quand j’ai vraiment besoin de trésorerie, car il a mis en vente publique la quasi-totalité des oeuvres qu’il m’a achetées !

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