Les errances de Louise Ermante , livre ebook

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2013

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Quand vous videz le grenier d’une maison familiale, vous êtes obligés de trier, nettoyer la poussière, toucher des objets qui se détruisent au contact de l’air et vous tombent des mains, mais aussi de prendre connaissance de lettres, de cartes dont vous avez perdu la mémoire. L’aviez-vous seulement eue ? Et là, s’ébauchent des récits de vie. Celui que vous allez lire est celui d’une femme qui naquit sous le Second Empire et mourut l’année de la bataille de Diên Biên Phu. Elle avait traversé un monde dans lequel elle avait de moins en moins de repères et dans lequel elle errait de lieu de vie en lieu de vie. Son dernier domicile fixe date de 1896. Jusqu’à sa mort en 1954 elle vécut « chez » quelqu’un. Le deuxième roman de l’auteur reprend les mêmes principes que ceux du précédent, « Mutterland » : faire revivre certains membres de sa famille à partir de documents et de traces laissés par eux, elle prolonge ou réinvente les vies et les époques.
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Publié par

Date de parution

12 novembre 2013

Nombre de lectures

0

EAN13

9782312017969

Langue

Français

Les errances de Louise Ermante
Janine Delbecque
Les errances de Louise Ermante













LES ÉDITIONS DU NET
22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
Le temps des œuvres n’est pas le temps défini de l’écriture, mais le temps indéfini de la lecture et de la mémoire

Gérard Genette, Figures, 1, 1966.























© Les Éditions du Net, 2013
ISBN : 978-2-312-01796-9
Victimes, mais aussi héros !
Première partie : Ermante
1862-1882 : A MPLIER
Quand vous veniez d’Arras par la route impériale, vous tourniez à main gauche et arriviez sur le haut du plateau. Devant vous, se déroulait un paysage enchanteur, quelle que soit la saison. L’Authie borde les villages d’Amplier et d’Orville. Elle leur apporte tout : la douceur de vivre par les couleurs moirées et verdâtres et le cliquetis de l’eau de la rivière qui est à la fois animée et dolente, la nourriture par la pêche et les moulins et, enfin, la respiration ! Au-delà : une zone mi-marécageuse, mi-herbeuse, selon la saison. Plus loin encore un patchwork de pâtures et de terres labourées bordées de haies.

Ce jour-là, c’était le 9 décembre, la neige avait contribué à assourdir les pas de Louis qui revenait d’une journée de travail à la manufacture, il fabriquait de la toile. Les tisserands employaient les quelques manouvriers, pendant les saisons creuses de l’hiver : culture et moulin ne leur conféraient plus assez de travail. Louis, ce jour-là, avait quitté plus tôt le travail et se hâtait. Il savait Marie-Louise angoissée. L’accouchement avait été plus facile que pour les sept autres ! Et les voisines l’avaient bien aidée : l’une s’était occupée des grands, l’autre l’avait assistée au moment de la délivrance. Enfin une deuxième fille lui était venue. Espérons quand même, que ce soit le dernier enfant ! A 38 ans, on peut le souhaiter. Marie Louise contemplait son bébé : une belle petite brunette aux yeux bleus, pleine de vie. Elle la serra fort dans ses bras. Une larme coulait.
Mon Dieu ! Quel bonheur !
A la campagne, les filles sont toujours les bienvenues, du moins pour les mères ; elles peuvent aider à la tâche. Mais quelle tristesse ! Elles auraient le même sort qu’elles-mêmes : les ménages, les champs. Toujours trimer, toujours subir la succession d’enfants. Marie- Louise entendit les galoches de Louis. Le pas était hésitant. Voilà qui était lourd de sens. Quand il entra, il vit la petite dans les bras de sa femme.
– Comment allons-nous vivre avec une bouche supplémentaire à nourrir ?
Seuls, les deux plus grands avaient quitté le giron familial, du haut de leurs 15 et 11 ans. Mais les 5 autres : 8 ans, 6 ans, 4 ans, 2 ans, et 1 an ! Certes les aînés l’aideraient au travail. Mais…
Louis se leva et se rendit à la mairie pour déclarer la naissance de Joséphine, Ermante, Louise. Ce fut l’Instituteur-secrétaire de mairie qui signa l’acte, « le comparant ayant déclaré de ne pas savoir signer ». Une légère honte s’empara de lui tant il se sentait inférieur !
Inférieur de ne pas être capable de signer !
Inférieur et coupable !

Louise grandit dans la petite masure. Elle aida sa mère à élever les deux enfants qui suivirent. Ainsi, la famille était-elle composée de dix enfants. Le ciel avait rappelé à lui une autre petite. Tous contribuaient à la vie collective : les filles, outre les tâches quotidiennes, aidaient la mère à faire « la buée », c'est-à-dire la lessive. Tantôt, il fallait faire bouillir le linge blanc, la veille on le faisait tremper, toute une journée, puis il mijotait dans la lessiveuse avec un savon blanc mélangé au phosphate, et là, c’était le rôle des filles de brosser le linge sur une planche de bois à l’aide d’une brosse de paille, de le rincer, de l’essorer, l’une tordait les draps ou autres d’un sens, et l’autre dans le sens opposé. Enfin, il n’y avait plus qu’à l’étendre au soleil quand le temps s’y prêtait, dans le grenier plus généralement. Tantôt, il fallait nettoyer les bleus de travail ou les » cotrons » des filles. Mais cela prenait moins de temps. Les garçons allaient aux champs avec le père : bêcher, biner, sarcler, enlever les mauvaises herbes, récolter. Ils effectuaient par ailleurs mille autres petits travaux, dans leurs lopins de terre ou dans ceux des autres.

Une vie de travail mais aussi de pauvreté.

Très vite, Louise, c’était finalement ce prénom qui lui était resté, prit l’ascendant sur la fratrie, voire sur ses parents. Proche de sa mère, elle avait été amenée à la suppléer dans les tâches diverses. De ce fait, elle dirigeait tout ; ce qui n’était pas sans avoir de répercussions sur ses liens avec les autres membres de la famille : certains la craignaient, tant ses coups de gueule étaient impérieux. Le ton était tranchant et le propos incisif ! D’autres l’appréciaient car elle avait la parole aisée et surtout, elle prenait le temps d’écouter. Tous la respectaient.
Un jour du mois d’août 1880, Elise Morel se rendit chez les Dubois-Contart et prit langue avec Marie-Louise. On la disait plus ou moins marieuse au bourg. De plus, elle possédait des terres sur tous les villages environnants. Aussi, c’est avec un certain intérêt que la mère de Louise la fit entrer dans la maison. Elle sortit deux verres et la bouteille de frênette. Après les propos d’usage sur le temps, la bande de jeunes qui traînaient « à ne rien faire de bon » et ainsi de suite, la discussion s’enclencha :
– Et la Louise que fait-elle ? Elle est fiancée ? Elle a l’air bien courageuse, cette petite ! Quel âge cela lui fait ? »
– Eh bien la question est directe, cousine ! ( Marie Louise se garda bien de dire que sa fille avait le béguin pour un dénommé Alphonse) . Vous savez, Louise, elle ne pense pas à tout ça ! Elle travaille avec moi. Maintenant, elle commence à avoir ses « gens à elle ». Dame ! Elle a 19 ans. Il faudra bien qu’un jour…
– Et son père ?
– Ah ! (après un certain temps de réflexion, elle marmonna entre ses dents) : il est parti, dans les hautes plaines, là-bas, plus loin (puis s’affirma), comme pour tous les gardes-moulins et autres journaliers, l’argent ne rentre pas assez pour nourrir sa famille. Il lui a fallu partir. Il est dans une grosse culture, pas comme chez nous, ça tourne, et mon Louis, malgré ses 57 ans, eh bien, il y gagne bien sa vie et nous envoie quelques sous pour la maison et les enfants qui nous restent. Pour cela, je ne me plains pas ! Et ma Louise n’a pas les bras à la retourne ! Celui qui l’épousera, il fera fortune !
Elise toussota :
– Justement ! Marie-Louise se leva, tira les plis de son tablier et servit une deuxième rasade de frênette puis se rassit. Justement cousine ! Parlons-en. Un mien cousin, du côté de feu mon mari, commence à se faire vieux, Dame ! Il va sur ses 69 ans et sa femme sur ses 64 ! Vous les connaissez peut-être : Louis Bray et Valentine Camus. Ils sont arrivés, il y a peu, de Pommier pour travailler comme garde-moulin à Orville… Silence …C’est un remariage, et ils ont eu des enfants sur le tard - elle baissa le ton – Elle avait 42 ans et lui 46 quand Alphonse arriva. Maintenant, il va finir son service militaire.
– Ah ! Il n’a pas réussi à faire racheter son tirage au sort ?
– Non ! Il faut dire qu’au 1 er juillet, les demandes de main d’œuvre ne manquent pas à la campagne. Difficile de trouver des remplaçants ! Et ses parents n’avaient guère la possibilité de financer.
– Dans quel régiment était-il ?
– A l’artillerie, d’abord à Arras, puis à Laon. Il va faire du voyage ! Trois ans en tout ! Il est temps que cela se termine ! Un moment, il a cru pouvoir être réformé car il ne savait pas nager. Mais ce fut une espérance illusoire ! Il faut voir comme ses parents en sont fiers !
– Comment est-il ?
– Il porte beau, vous savez, du haut de ses un mètre 74, les épaules bien tirées en arrière, ses yeux bruns, perçants. Il est courageux, lui aussi. Mais au moulin, ils ne pourront pas prendre un garde-moulin supplémentaire pour bien longtemps ! Pour bien faire, il faudrait qu’il se mette à son compte…Je me suis laissé dire que votre Louise et Alphonse se voyaient de temps en temps ( ainsi, elle le savait !) Je voulais v

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