Les Mamelles à vendre
176 pages
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Les Mamelles à vendre , livre ebook

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Description

Domo et Hélène font partie de la première de recrue pour l’écolefrancaise. Assidus, ils se lient d’amitié et finissent par se promettre lemariage mais c’était sans compter l’avis de Sagou, le père de Domoqui voyait en Hélène la fille de la femme qui commande son mari.Et comme le dit l’adage, « une fille peut faire tout ce que fait sa ma-man ». Face au refus de Sagou, Domo et sa mère coalisent contre lepatriache pour le faire infléchir. Sagou sentant qu’il perdait son seulgarçon, se ravise et accepte d’apporter les colas chez Jacques, le pèred’Hélène. Mais le sort est contre Domo et Hélène ; en effet, Marc, unjeune magistrat véreux, charge ses parents de lui trouver une femme.Ceux-ci désignent Hélène et comblent les parents de cette dernièrede cadeaux et de promesse d’une vie meilleure. Jacques et sa famillecèdent à la tentation. Hélène épouse Marc non sans résistance. MaisMarc aura-t-il le bonheur qu’une femme est supposée donner à sonmari ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2022
Nombre de lectures 91
EAN13 9789995292461
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Illustration de couverture : Kampo
Anaye SAGARA Amadou LOUGUÉ
Les Mamelles à vendre Roman
© Éditions Sawa Maquette de couverture & Mise en page : édition Sawa Dépôt Légal : Bibliothèque Nationale (Mali), avril 2022 ISBN : 978 - 99952 - 924 - 6 - 1 Tous droits réservés
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Cetteannée-là, les pluies avaient été abondantes. La plupart des maisons du petit village choquait à vue par leurs aspects squelettiques. Comme habitats, il n’en restait que des pierres superposées à la hauteur d’un homme de taille moyenne. Ces habitats restaient encore solides quoique décharnés, n’ayant plus que quelques mottes de terre comme toute jointure. Ces constructions, simples mais originales, rappelaient l’art ancien. Dans ce village d’agriculteurs installés là depuis des siècles, les habitants, pour conserver leurs récoltes, avaient dû concevoir une poterie abondante et aménager des greniers surélevés. Bara ore un aspect d’ensemble digne d’apprivoiser l’at-tention des antiquaires et des touristes. Il est dicile de passer devant ces maisons sans en admirer les merveilles. C’est pour-quoi, il ne se passe de semaine sans qu’un touriste n’y vienne étancher sa soif d’exotisme. Ce matin-là, le Togou-na, grand hangar du village, grouil-lait de monde. Chefs de quartiers, chefs de familles et conseil-lers avaient tous répondu à l’appel du chef de village, Ambara. Sexagénaire, gaillard, Ambara était tout en muscles. Il ressem-blait à son père issu de l’immense famille de dogons agricul-teurs. Ses dents étaient jaunies par le tabac en poudre qu’il chiquait à longueur de jour-née. Il portait toujours un boubou sombre et une chéchia noire jaunie par le soleil. Ambara est le genre de chef qui cherchait à s’imposer partout et à tout prix. Son dos voûté par des an-
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nées de travail le forçait à marcher toujours ployé. Qu’était-il arrivé dans ce village ? Personne n’en savait grand-chose, ex-cepté Ambara. Tous étaient calmes et inquiets. Il y régnait un silence de messe de requiem. Un sourd eut pu entendre les battements d’ailes de mouches. Quelqu’un avait-il oensé un ômôrô, un des dieux de Bara ? Y-avait-il eu une bagarre entre deux vieux dans un cabaret ? Une femme avait-elle manqué de respect à ses beaux-parents ? C’étaient autant de questions pertinentes que chacun se posait, tant l’heure est grave dans le village. De tels rassemblements extraordinaires, surtout pen-dant la journée portaient rarement bonheur. En face, le vieux forgeron avait fermé sa forge. Les apprentis avaient rangé mi-nutieusement les outils. Eux aussi attendaient avec impatience l’ordre du jour de la réunion. L’imam vint prendre place sur une planche, non loin d’Ambara. Il était un homme de petite taille. Très discret, il parlait toujours lentement et ne manque jamais de dire la vérité au moment opportun. C’était un homme de bonté qui maîtrisait le coran. Il était connu de tous parce qu’il ociait tous les baptêmes. A peine avait-il pris place, Ambara rompit avec le silence, comme si c’était lui seulement qu’on attendait : « Bonjour, tout le monde », lança-t-il. L’assistance répondit comme un seul homme. Et le silence retomba avant qu’il ne reprît. – Je vous ai tous conviés, en ce temps d’hivernage, pour deux problèmes touchant notre village. – Nous t’écoutons, dit Amassagou, un doyen des conseil-lers est un homme qui débordait souvent lors des conseils. Il était le seul à pouvoir dire ce qu’il pensait au chef. Malgré tout, c’est un homme dont les traits de l’âge étaient visibles : visage et corps ridés, il s’arc-boutait sur son bâton quand il se dé-plaçait. Il arrivait toujours à donner les meilleurs conseils. Les habitants de Bara étaient ers de lui. – Nous avons deux problèmes urgents, dit Ambara. – Quels sont ces problèmes ? répliqua Amassagou. – Premier problème : le Commandant m’a envoyé un pa-pier que voici. Je l’ai fait lire à la paroisse par le directeur. Voici
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son message : « A l’occasion de l’anniversaire de l’accession de notre pays à l’indépendance, nous demandons au village de Bara de bien vouloir nous faire parvenir, dans les meilleurs délais, cinq moutons gras et une somme de cinq mille francs ». Le discours d’Ambara fut écouté avec grand intérêt. En cette période du mois d’août où les greniers étaient quasiment vides, la demande du commandant paraissait insupportable. Mais que pouvaient-ils faire ? Rien. S’acquitter ou se retrouver en prison. – Le deuxième problème, reprit Ambara, est plus grave. Savez-vous ce que le directeur m’a dit quand il a ni de lire le message ? – Non, répondit Amassagou. Parle, parle, car on ne sau-rait connaître ce qui se trouve dans une toue d’arbre sans la secouer. – Eh bien ! « Ambara, ce n’est pas toi qui m’as envoyé à l’école. Désormais, inscris ton enfant à l’école » lança-t-il. – Que ce directeur est mal éduqué ! dit Amassagou. – Non, je pense plutôt qu’il a parfaitement raison, répondit l’Imam. Comme le disaient nos grands-pères, il a piqué juste sur la plaie. – Cet homme de petite taille squelettique avec sa grosse tête qui pèse sur ses jambes plus que son corps, n’a pas de respect pour notre chef, dit Amassagou. – Ce n’est pas le volume de la tête qui fait l’homme, mais son contenu, dit l’Imam. – D’ailleurs, il est très nerveux. A l’entendre parler, il croit connaître tous les livres de la planète, dit Amassagou. – J’ai toujours dit dans ce village qu’il fallait envoyer les enfants à l’école. Mais on m’a toujours pris pour un fou. Et voilà aujourd’hui les conséquences, dit l’Imam. – Tu es autant fou que ton directeur ! fulmina Amassagou. – Amassagou, reprit Jacques, tu constitues un frein au dé-veloppement du village…
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Le doyen des conseillers avait toujours été allergique aux propos de l’Imam. Pour lui, celui-ci, ainsi que le catéchiste Jacques, le plus jeune du groupe, étaient des gens à chas-ser de ce village. C’étaient eux qui inculquaient de mauvaises idées dans la tête des enfants. Comme tous les jeunes de son âge, Jacques s’entendait rarement avec les vieux. Un conit permanent de générations s’était installé. Respectueux, il ar-rivait à donner raison aux aînés. Sans lui donner le temps de développer ses idées, Amassagou l’interrompit avec énergie. – C’est toi la mauvaise graine dans ce village. Tu as dé-tourné nos enfants vers ta religion. Et maintenant, tu veux les envoyer à l’école. Je m’y oppose. Si le directeur ne veut plus lire nos lettres, qu’il sache qu’il n’est pas le seul lettré ! – Et si les autres nous refoulaient, où irions-nous ? de-manda Jacques. – La poule n’a pas de mamelles, pourtant elle élève très bien ses poussins, répliqua Amassagou. – Je crois que tu ne vois pas plus loin que le bout de ton nez, dit Ambara. – Je vois plus loin que le bout de mon nez, dit Amassagou. – Faire lire sa lettre par quelqu’un d’autre, c’est lui coner ses secrets, dit Ambara. – C’est vrai, approuva l’Imam. – Alors, Amassagou, sache que ramasser les chiures du Hogon sied mieux à son premier conseiller, répondit l’Imam. – Malgré l’opposition de mes parents, je suis allé à l’école jusqu’à ce niveau où je suis. Je sais lire et écrire le dogon. Cela constitue un atout considérable, dit Jacques. Amassagou semblait convaincu par l’exemple que Jacques venait de donner. – Je propose que, pour cette année scolaire, on inscrive au moins cinq enfants à l’école. Pour commencer, j’inscris mon enfant, Adou, dit Ambara. – Quant à moi, ajouta Jacques, j’inscris mes deux lles. En eet, Jacques n’a que deux lles. La plus âgée, Marie
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dix ans et Hélène, sa cadette en avait huit. Mais déjà à cet âge, Hélène semblait plus éveillée que sa sœur. Sa scolarisation semblait plus probable. Mignonne mais très belle, sa poitrine laissait déjà entrevoir deux petites boules en forme de citron. Le destin lui réservait, sans doute, de beaux jours. D’après les aïeux « une bonne récolte se fait sentir dès la première pluie ». – Jacques ! tu me fais vraiment rire. Hélène est éveillée, c’est vrai. Mais, fais attention ! Ses deux petits citrons sur sa poitrine attirent déjà les curieux, dit Amassagou. – Je le sais plus que toi, répliqua Jacques. – Tu ne sais rien. Tu ne sais pas qu’Hélène, ta lle préfère s’amuser avec les garçons ? Je les ai déjà vus jouer sur le sable. – Tout enfant, à cet âge, le fait répondit Jacques. – Pourquoi envoyer les lles à l’école ? Elles ne t’appar-tiennent pas, dit Amassagou. – Je le sais plus que toi. Retiens qu’une lle instruite vaut mieux que cent garçons, dit Jacques. – Comment le sais-tu ? – Je connais le rôle d’une femme dans un foyer, déclara Jacques. – Pour l’instant tu n’as rien dit, reprit Amassagou. – Dans tous les cas, ma décision est prise, conclut Amba-ra. Après avoir mis un terme à leur discussion stérile, Ambara continua : – Quant à toi Amassagou, je voudrais que tu inscrives notre petit Amadomo. Il est intelligent et curieux. L’école aigui-sera mieux sa curiosité. Malgré la réticence d’Amassagou, la décision fut prise : Amadomo ferait partie des cinq enfants retenus pour cette an-née scolaire-là. Il était plus âgé qu’Hélène d’une saison de pluie. Pourtant, celle-ci le dépassait en taille. Réservé de nature, il passait ses journées à bricoler. Fuyait-il ses camarades de même âge ? Avait-il peur d’être la risée de ceux-ci ? Rien n’était
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moins sûr. La tête d’Amadomo n’était pas comme celle du com-mun des mortels. Comme tous les enfants du village, il allait la plupart du temps, torse et pieds nus. Pour clore la réunion, Ambara prit la parole : « Je pense que tout a été dit. S’agissant des cotisations, les conseillers s’en chargeront. Pour l’inscrip-tion des enfants, j’engage chaque parent à conduire son enfant dès le dimanche prochain à la paroisse. Puisque nous sommes en hivernage, je n’abuserai pas de votre temps. Vous pouvez à présent rejoindre vos champs où vos femmes vous attendent. Allez en paix ! Que le Tout-Puissant guide vos pas ! » Sur ce, comme furieux, les gens quittèrent le hangar, cha-cun allant de son côté. Certains, par mégarde, se cognèrent la tête contre les piliers, tandis que d’autres, comme possé-dés, parlaient seuls. Amassagou se voyant dépossédé de son unique garçon, donna libre cours à sa pensée : « Qu’ai-je fait à Dieu ? Pourquoi le choix tombe-t-il sur mon unique garçon ? Qui m’aidera désormais au champ ? Qui donnera de l’eau, le soir, aux animaux ? Qui fera mes nombreuses commissions ? ». Sur le chemin du retour, Amassagou dit à Jacques : – Je ne comprends plus rien. Mon grand-père n’était pas à l’école, mon père non plus. Nous sommes en train d’eacer la trace de notre passé. – Celui qui se retourne contre son passé ne mérite pas d’envisager un avenir. Un jour, les enfants de Bara iront étudier ailleurs.
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