Les marcheurs de Bougreville : T2
208 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Les marcheurs de Bougreville : T2 , livre ebook

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
208 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Si vous ne connaissez pas une toile en centons, lisez ce livre et vous plongerez aussitôt dans une des facettes de l’univers coloré et sinueux de l’écriture-tissage et aussi du cerveau du créateur littéraire qui ne semble répondre qu’à la seule règle qui vaille : la contrainte libre des mots, géniteurs de l’histoire.

Informations

Publié par
Date de parution 03 mai 2017
Nombre de lectures 4
EAN13 9782372230255
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Tome 2
Du MaryLand à La FErmE aux ALBinos
CIV 3025
Les marcheurs de Bougreville
Je dédie les pages 155, 156 et 157 à mes camarades de MP (Mathématiques - Physiques) des années soixante-dix de l’Université d’Abidjan, qui s’échinaient à dénicher le plus fou d’entre nous.
3
Les marcheurs de Bougreville
première partie
Le palimpseste du souvenir
5
Les marcheurs de Bougreville
1.
C e qui restait d’ineffaçable de la mémoire de Makane était cet après-midi de saison d’harmattan où il avait suivi discrètement son grand-père en empruntant routes et pistes à travers les prés et l’avait trouvé assis à terre, adossé à une énorme pierre, la tête retombée sur la poitrine, dans ce champ ne portant aucune culture et ressemblant à un cimetière abandonné, à un royaume des hautes herbes sèches où les seuls habitants, en dehors des maigres arbustes épineux, étaient des rats aimant à bâtir leurs chambres principales sous l’oreiller en motte des locataires fatalement endormis.
L’imam Famakan y dormait également, à cette heure de prière. Et les vents, ayant toujours su aimer cet homme, n’avaient pas eu ce jour-là la force de le secouer an de le réveiller. Ils avaient alors essayé en vain d’amplier et de convoyer vers lui les voix de quinze muezzins alentour psalmodiant au même moment les noms de Dieu.
L’adolescent avait été bouleversé par la vue de son grand-père en proie à la fatigue, et surtout par celle du guide religieux auquel échappait l’appel à la prière pourtant émis juste à côté.
La vitesse nouvelle à laquelle il voyait Grand-père déchoir le rendait profondément triste. Il sentait qu’il ne pourrait plus compter sur lui dans les années à venir pour cheminer, main dans la main, dans le
7
Les marcheurs de Bougreville
jardin botanique que les colons avaient érigé au bas de la colline avec la ferme conviction que ce n’était qu’à cet endroit que le jardin serait le moins souillé par les nègres. En effet, ces blancs prenaient leurs hôtes noirs pour des esthètes — vu leurs masques, leurs tresses et leurs scarications — mais des esthètes dépourvus de romantisme qui n’iraient donc jamais fourrer le nez dans ce qui n’était rien d’autre à leurs yeux qu’un bric-à-brac de plantes sauvages, de feuilles et de branches mortes laissant apparaître çà et là des termitières géantes qui attireraientles fesses de la malédictionet sur lesquelles s’amuseraient les diablotins, les rejetons des créatures dont ils avaient viscéralement peur, tandis qu’eux, toubabs, ne croyant ni à la malédiction ni au diable, voyaient en cet ensemble une forêt d’une splendeur inouïe qu’ils aimaient peindre à leurs moments perdus, ajoutant parfois au décor la statue de Razibus Zegledeou Zouzou, l’enfant noir au ventre bedonnant, aux lèvres lippues et au regard enchanté et bien levé vers son sauveur invisible, le chasseur blanc qui, en ce lieu, l’aurait délivré des griffes d’une bête fabuleuse.
C’était dans le calme, dans le silence de ce jardin botanique que Makane avait, la première fois, senti que Grand-père perdait du soufe après avoir effectué quelques centaines de pas. Il se demandait si c’était bien cet homme qui, à l’âge de cinquante ans, avait marché jusqu’au Proche Orient pour rencontrer des exégètes et discuter de certains messages de Dieu mal compris par nombre de dèles qui allaient jusqu’à épouser les us et coutumes des Arabes d’Arabie. Et à l’école, quand il étudia les tremblements de terre et
8
Les marcheurs de Bougreville
les éruptions volcaniques, il en déduisit qu’il existe bien des convulsions et des éruptions au sein du corps humain, quoique indicibles, et cessa alors de s’étonner de voir l’enthousiasme volubile de son grand-père s’amenuiser et disparaître peu à peu derrière un sourire ressemblant parfois à une pitoyable grimace.
Makane, qui ne supportait pas la déchéance physique de son grand-père, avait alors boudé le bon Dieu, pour la première fois. Il ne percevait pas le motif qui eût poussé le Tout-Puissant à créer l’homme qui s’use tout en donnant à cet être la capacité de fabriquer la pile atomique qui ne s’use pas.
En ce jour triste de cette triste saison, lorsqu’il avait légèrement secoué le vieil homme de l’épaule, ce dernier, alors sorti du sommeil et serrant la main posée sur lui, avait pensé que c’était bien le lieu et le moment de se confesser. Et de sa voix étrie, il avait dit sans réellement dire:
Balkiss était malade, très malade, et disait que la maladie est le seul bien qu’on ne doit pas partager. Pour cette raison, au moment où elle était avec nous, elle s’était déjà retirée dans les profondeurs de son être pour peut-être demeurer à l’abri du sentiment qu’elle éprouverait à se savoir à la charge des autres… Supposons qu’elle soit partie aîn de ne plus croiser le regard de ceux qui nourriraient de la pitié pour elle … Elle est brave, plus brave que moi.
Alors, s’était installé un lourd silence que le vieil homme n’avait pas mis assez de temps à briser en lâchant, avec douceur :Balkiss, tout en fermant les yeux comme le font certains à l’écoute du nom d’une
9
Les marcheurs de Bougreville
personne disparue qui fut d’une douceur ou d’une bonté innie, ou qui eût posé un acte inattendu de portée inestimable à leur endroit.
Puis, comme si sa langue était en train d’être consumée par un secret avant qu’elle ne fût hors d’usage, il s’était dépêché de parler en ouvrant les yeux avec une frayeur imperceptible : Balkiss, ta grand-mère, est certainement allée chercher Sara... L’homme qui venait de libérer ce mot « grand-mère » emprisonné dans son cœur depuis tant d’années avait pris Makane par la main et, par une force très douce, l’avait tiré vers lui.
L’adolescent n’avait pas résisté. Au contraire, il avait laissé tomber sa tête sur les jambes de celui qu’il avait toujours connu comme son grand-père, l’époux de celle qui, en quelque tournure de mots, venait d’être transmuée en grand-mère.
En fermant les yeux à son tour pour mieux appréhender la réalité nouvelle, Makane avait senti qu’il ne pouvait se lever et marcher, ni même parler ; un froid venant des conns de nulle part s’était emparé de ses pieds, de son dos et de sa tête, et le soleil, qui s’était brusquement hissé après avoir eu maille à partir avec les nuages durant toute la matinée, ne pouvait rien contre ce froid.
Ce ne fut que le surlendemain qu’il avait été délivré de l’émotion. Il avait alors commencé à comprendre pourquoi Famakan et Balkiss, les deux personnes qu’il prenait
10
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents