Les Ombres de l'amour

Flora Dosen

Description

Les Ombres de l’amour, ou quand l’écriture se déploie autour d’instants tout en se dérobant à la linéarité du temps. Ou quand l’on plonge dans l’arrière-salle des consciences, en ces lieux où les pensées intimes contredisent les paroles émises. Ou quand affleurent les émotions, les rages secrètes, les nœuds familiaux, les ténèbres des âmes, que ces dernières soient vénales, déçues, dépressives, attristées. Les Ombres de l’amour, ou un texte qui explore, dans une structure-mosaïque, ces liens familiaux, amicaux, tendus et distendus, réconfortants et destructeurs. Épurés, les textes qui composent ces Ombres de l’amour réussissent, avec une économie de moyens, à nous immerger au sein de scènes mélancoliques ou nostalgiques, moments de regrets amers et de désillusions stupéfiantes, où l’oubli et la mort sont des spectres errant autour des personnages qui s’entrecroisent… Des récits concis et fulgurants, qui donnent corps à une œuvre où l’étrangeté des situations se fait familière, envahissante. Comme si, partout en ces pages, l’on ne parlait que de nous…

Informations

• Publié par: publibook
• Nombre de lectures: 25
• EAN13: 9782748352948
• Langue: Français

Extrait

Les Ombres de l’amour

Du même auteur

Poésie

La Poussière des jours, Flammarion, 1972.

Romans

Le Maestro, Flammarion, 1961.

La Messe du lundi, Flammarion, 1962.

Le Prix fou, Flammarion, 1966.

La Vie comme elle vient, Flammarion, 1974.

L’Illyrienne, Flammarion, 1986.

Flora Dosen Les Ombres de l’amour

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La fugue

Ils ont tous accouru, la famille au grand complet. L’alerte a été donnée par leur mère et leur tante. Personne n’osait rester indifférent. Il s’agissait de mamie. Est-elle morte ? Tombée ? Blessée ? Allons, mamie est en pleine forme ! Mais il fallait se réunir chez sa fille : ses deux frères avec leurs femmes et toute la marmaille. Dimanche pour le déjeuner. Chacun aurait droit à sa tranche de jambon, sans façon. Leur tante ne fera pas de chichis comme le faisait mamie dans le temps. Il n’y aurait pas de caviar aux pommes de terre, ni de soufflé au fromage, ni de filet de cerf sauce moutarde. C’était au siècle dernier, quand toute la famille se réunissait régulièrement chez mamie. Aujourd’hui, ils sont tous à table, comme autrefois, sauf que la marmaille est déjà inscrite à l’université et que mamie s’est retirée dans une maison de retraite jusqu’à la fin de ses jours. De temps à autre, quelqu’un va lui rendre visite, mais on préfère s’esquiver, c’est trop déprimant… Par bonheur, là-dedans, ces vieux sont tellement vieux qu’ils ne se rendent pas compte de leur prison à vie… L’un est courbé jusqu’à terre, l’autre se débat avec ses béquilles, un nerveux décharné court dans son fauteuil roulant. Mamie est l’une des rares qui marche et qui sourit, même si ses neveux lui trouvent une expression mélancolique quand elle soupire : « Il ne fallait pas y croire. Il ne fallait pas le faire. » C’était sa fille qui l’avait convaincue. « Tu ne peux plus te permettre tout ce luxe ! Ton appartement vaut une fortune, nous allons le vendre. On mettra ton argent à la

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banque, personne n’y touchera et toi, tu auras une rente convenable. Autrement, tu finirais par prendre une hypothèque et adieu l’appartement ! Te rappelles-tu l’autre jour quand le plombier est entré et sorti de la salle de bains au bout de trois minutes : 70 euros envolés d’un coup ! Crois-moi, une maison de retraite, c’est la meilleure solution pour une femme seule de ton âge. Tu n’auras plus aucun souci, plus de ménage à faire ! Imagine, c’est le pied ! La plus luxueuse maison de repos de la ville ! » — Tous assis, s’il vous plaît ! Nous allons discuter sérieusement. Il nous faudra prendre des décisions. En bref, ma mère et votre grand-mère, notre mamie, convole en justes noces ! Un silence de plomb s’abat sur l’assemblée. Soudain, éclate un rire frais et cristallin. C’est la préférée de mamie qui rit à gorge déployée. La plus petite demande : — Mamie va avoir des enfants ? L’aîné intervient d’un ton irrité. — Est-elle devenue folle ? Sa sœur, qui vient de leur annoncer la nouvelle, poursuit son plaidoyer : — Chers tous, il faut s’unir ! Ce mariage ne doit pas se faire ! — Et lui, qui c’est ? — Une ruine bien entendu. Un juge de cassation sourd comme un pot. Ils se sont connus dans ce mouroir. Un « ah » général ponctue la nouvelle. — Pour le moment, ils sont encore là mais ils vont bientôt partir en voyage. Ça a encore envie de voyager à cet âge-là ! Mais c’est grotesque ! Une comédie de mauvais goût, voilà ce que c’est ! — Mamie n’a jamais manqué de sens de l’humour, constate une jeune voix. — C’était quelqu’un, réplique une autre.

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