Les Transhumants de Saharla
78 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Les Transhumants de Saharla , livre ebook

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
78 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Saharla. Un pays imaginaire de la Corne d’Afrique où les sécheresses successives et la famine à répétition poussent les populations de la campagne à faire preuve d’imagination et d’ingéniosité pour leur propre survie et celle de leurs cheptels. Au gré de saisons et des pluies, les populations nomades se déplacent avec leurs troupeaux d’une région à l’autre à la recherche d’une vie meilleure : c’est la transhumance. Ceux d’entre eux qui sont incapables de résilience à l’instar de Bobeh, Olad ou Mogueh prennent une autre trajectoire et échouent en ville où ils tentent de se reconstruire une nouvelle destinée. Marqués à jamais par les affres de leur vie antérieure, ils développent des phobies qui mettent en danger tous ceux qu’ils croisent sur leur passage. La corruption et le népotisme font partie de leurs péchés mignons comme la revendication vainement suprématiste de leur origine tribale respective. D’ailleurs, cette dernière sera paradoxalement la principale cause de leur déchéance.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 23 août 2018
Nombre de lectures 0
EAN13 9782312059525
Langue Français

Extrait

Les Transhumants de Saharla
Moussa Souleiman Obsieh
Les Transhumants de Saharla
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
© Les Éditions du Net, 2018
ISBN : 978-2-312-05952-5
A mes mère et grand’mère.
Qui m’ont fait à leur image.

A ma chère épouse Fathia.
A Sado, Samatar, Taslim et…Aboubaker aussi.
« Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. »
Frantz Fanon
Chapitre I
En ce matin du mois de février, le soleil pointait son nez à l’horizon. Les ouvriers venus des quartiers populaires se prêtaient à reprendre le travail après une nuit de repos. Bon nombre d’entre eux n’étaient pas rentrés chez eux depuis au moins une semaine. Ils ont préféré camper sur le lieu de travail pour économiser les frais de transport qu’ils jugeaient exorbitants. Ceux parmi eux qui avaient décidé de retourner à la maison devraient à chaque fois faire un véritable chemin de croix pour arriver à l’heure. Kaourah faisait partie de ces derniers. Il avait une petite baraque sur le faubourg de Balbala, père de cinq enfants, tous âgés de moins de quinze ans. Il s’est fait un devoir de passer toujours la nuit avec eux. En revanche, il se levait très tôt, à l’heure où le muezzin appelle à la prière de l’aube, pour ne pas rater les premiers bus. Son salaire de misère permettait juste de nourrir ses enfants. Consciencieux, il s’était juré de leur offrir tout ce qui était en son pouvoir. Il pensait que certains de ses collègues étaient mieux lotis que lui car ils avaient laissé leurs familles à la campagne. Non seulement, ils passaient la nuit sur le lieu de travail profitant ainsi de plus de temps de repos afin de se ressourcer pour les travaux harassants des jours à venir mais en plus ils évitaient ainsi tous les aléas relatifs à la vie citadine et à sa complexité. Farah, le meilleur ami de Kaourah, était originaire de la localité de Holl-Holl, située à une quarantaine de kilomètres de la capitale. Il ne voyait ses enfants qu’une fois par mois tellement qu’il avait peur de perdre son boulot. Il avait chômé six mois avant qu’on ne fasse appel à lui de nouveau. Ce fut pour lui une expérience douloureuse et traumatisante. Il avait évité de peu la dépression. Kaourah et Farah se sont connus il y a six ans dans un autre chantier. Ils venaient tous les deux de dépasser le cap de quarante ans, ce qui accentuait leur complicité. Leur loyauté et leur amour commun du travail ont fait le reste. Les difficultés de leur vie d’ouvriers les avaient rendus aussi plus solidaires. Ne dit-on pas que l’union fait la force. L’un était convaincu qu’il pourrait compter sur l’autre quoiqu’ils gagnaient chacun la maudite somme de trente mille francs. Ils avaient tous les deux un physique d’athlète. La dureté et la rudesse de leur métier avaient forgé leur belle musculature. C’est pourquoi ils paraissaient plus jeunes que leur âge.
Le lotissement était situé sur les abords de la mer. Il venait d’être acheté au prix fort par une poignée de jeunes fonctionnaires. Kaourah en y arrivant fut ébloui par la lumière du soleil au contact de la mer. Instinctivement il se protégea les yeux avec ses deux mains. Mais l’astre solaire s’engloutit aussitôt derrière un iceberg de nuages. Il remarqua que Farah avait déjà rassemblé les matériaux nécessaires pour le travail du jour. Après les salamalecs conventionnels, ils se mirent au travail, préparant le terrain au contremaître qui ne tarderait guère à venir avec ses ordres crus. Dans cette partie du monde, le contremaître est à la fois ingénieur, charpentier et architecte. On le voit même en train de réprimander les maçons, une volonté supplémentaire de dominer les autres. La maçonnerie d’ailleurs est le métier dont il s’y connaît le mieux car il en a passé au moins vingt ans de sa vie. Il ne cesse de montrer son savoir-faire à qui veut l’entendre. Quitte à humilier ses propres collègues. Amarkaag, c’est son nom, s’était déjà fait remarquer par sa rigueur, vraie ou supposée, et surtout par ses qualités de meneur. Il ne ratait aucune occasion pour apostropher chacun des employés en présence du patron. La plupart des travailleurs étant d’anciens nomades, victimes d’une reconversion professionnelle brutale, les chantiers de construction devinrent par la force des choses le lieu d’expression par excellence de la littérature pastorale en ville. La sécheresse a provoqué une véritable érosion de la culture nomade. C’est ainsi que poètes de renommée régionale, célèbres danseurs de Heelo {1} , femmes poétesses et spécialistes du Xeer {2} ont pris le chemin de l’exode rural en désertant la campagne. Cette nouvelle catégorie sociale hétéroclite s’est greffée au tissu social déjà bien garni de cette société post-nomade qui en quelques décennies est passée d’une vie frugale entièrement vouée à l’élevage malgré les incessants caprices climatiques à une société citadine qui présente tous les symptômes de celles qui ont déjà perdu leurs repères. Par conséquent, les langues maternelles ne sont parlées que dans un cadre strictement privé, officieux et informel. Quant à la culture nationale, elle relèverait du simple folklore, servant de décors aux évènements politiques. C’est ainsi que chaque nouveau chantier est devenu une occasion supplémentaire pour sauver de l’oubli ne serait-ce qu’une petite parcelle de la culture locale. Tout au long de ces travaux de construction particulièrement harassants, les ouvriers échangent des récits, des contes et des légendes appartenant à la conscience collective des populations de la Corne d’Afrique. Amarkaag, lui, était spécialiste des tares originelles des tribus composant les différentes confédérations de l’ethnie somalie. Il en profitait surtout pour s’en prendre aux travailleurs qu’il jugeait trop lents dans l’exécution de leurs gestes. Ces derniers ne se laissant pas faire lui rappelaient ses propres origines supposées en déformant davantage le mythe fondateur. Ainsi les légendes seraient entretenues constamment. De même, les vers du Sayid Mohamed Abdullah Hassan et les autres grandes figures de la poésie nomade se transmettent d’une génération à l’autre par ce canal pour le moins insolite. Il n’est pas rare de voir des employés rapporter des versions aussi différentes que diverses de l’histoire d’amour de Bodhari et de Hodan. Les chansons, la poésie, les contes et les légendes permettent si l’on puisse dire à ses hommes d’exorciser la fatigue et la souffrance inhérentes à leur métier. Ils agissent en eux comme une forme d’anesthésie. Drôle de manière aussi, n’est-ce pas, de perpétuer la culture.
Après un discours théâtral d’Amarkaag en guise d’ordres, les hommes se mirent au travail. Le ballet de brouette succéda aux jets de seaux remplis de mélange de sable, de ciment et d’eau. Les chants traditionnels ponctuaient l’effort continu des ouvriers. La chaleur intense du début de journée s’estompa, laissant la place à une fraîcheur inespérée venant de la mer dans ce pays où il fait quotidiennement en été 40 degrés à l’ombre. Ils réalisèrent qu’il faisait beaucoup plus frais aux abords de la mer que dans les quartiers populaires, situés en dessous du niveau de la mer. Kaourah se dit en son for intérieur qu’après avoir accaparé les parcelles en terre ferme les nouveaux fonctionnaires ont entamé une course folle pour s’approprier des espaces maritimes.
À midi, les ouvriers mirent fin à leur travail pour se reposer quelques heures avant de le reprendre. La fatigue se faisait sentir sur leurs corps, défigurés au contact des liquides boueux. Kaourah et Farah étaient tout simplement méconnaissables. Après s’être aspergés de l’eau débout et tout habillés, ils firent les ablutions et se dirigèrent vers une mosquée de fortune en plein air. Lorsqu’ils étaient revenus pour se restaurer dans la petite gargote mitoyenne, ils avaient déjà recouvert leurs formes altières. Aucune trace de détritus ni sur leurs corps ni sur leurs habits. Le sourire ravageur de la belle Amina qui officiait dans ce petit restaurant fit le reste. Entièrement réparés, ils reprirent le travail à quinze heures après une somme de deux heures. Certains avaient mis à profit ces moments de répit pour dépenser rapidement ce qu’ils avaient gagné durant la matinée. Ils discutaient à bâtons rompus alors que l’une de deux bottes de khat avait déjà cessé d’exister. Eux aussi étaient prêts pour reprendre le travail. Ils espéraient décro

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents