Lord Jim
523 pages
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Description

Joseph Conrad (1857-1924)



"Il avait six pieds, moins un ou deux pouces, peut-être ; solidement bâti, il s’avançait droit sur vous, les épaules légèrement voûtées et la tête en avant, avec un regard fixe venu d’en dessous, comme un taureau qui va charger. Sa voix était profonde et forte, et son attitude trahissait une sorte de hauteur morose, qui n’avait pourtant rien d’agressif. On aurait dit d’une réserve qu’il s’imposait à lui-même autant qu’il l’opposait aux autres. D’une impeccable netteté, et toujours vêtu, des souliers au chapeau, de blanc immaculé, il était très populaire dans les divers ports d’Orient, où il exerçait son métier de commis maritime chez les fournisseurs de navires.


On n’exige du commis maritime aucune espèce d’examen, en aucune matière, mais il doit posséder la théorie du Débrouillage, et savoir, mieux encore, en donner la démonstration pratique. Sa besogne consiste à distancer, à force de voiles, de vapeur ou de rames, les autres commis maritimes lancés comme lui sur tout navire prêt à mouiller son ancre, à aborder jovialement le capitaine en lui fourrant une carte dans la main – la carte réclame du fournisseur, – puis, dès sa première visite à terre, à le piloter avec fermeté, mais sans ostentation, vers une boutique, vaste comme une caverne et pleine de choses bonnes à manger et à boire sur un bateau ; on y vend tout ce qui peut assurer à un navire sécurité et élégance, depuis un jeu de crochets pour son câble, jusqu’à un carnet de feuilles d’or pour les sculptures de son arrière, et le capitaine se voit accueilli comme un frère par un négociant qu’il n’avait jamais rencontré. Il trouve, dans une salle fraîche, de bons fauteuils, des bouteilles, des cigares, et tout ce qu’il faut pour écrire ; un exemplaire des règlements du port, et une cordialité qui fait fondre le sel déposé, par trois mois de navigation, sur un cœur de marin."



Lord Jim est un jeune officier de la marine marchande. Il rêve d'héroïsme, mais dans la vraie vie c'est un couard... Son nom est marqué d'infamie depuis le jour où il a abandonné un navire sur le point de couler sans prévenir la centaine de passagers embarquée... Arrivera-t-il à retrouver sa dignité ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 2022
Nombre de lectures 0
EAN13 9782384421459
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Lord Jim


Joseph Conrad

Traduit de l’anglais par Philippe Neel


Novembre 2022
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-38442-145-9
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 1143
Note de l’auteur

Lorsque ce roman parut pour la première fois en volume, l’idée se répandit que je m’étais laissé emporter par mon sujet. Des critiques affirmèrent que l’œuvre, destinée à fournir une courte nouvelle, avait échappé au contrôle de son auteur et d’aucuns parurent même prendre plaisir à découvrir des preuves certaines de ce fait. Ils se fondaient sur la durée du récit, prétendant que nul homme n’eût pu parler aussi longtemps, et retenir l’attention de ses auditeurs. Ce n’était pas chose fort croyable, affirmaient-ils.
Après avoir médité la question pendant quelque seize ans, je ne suis pas bien sûr de ce qu’ils avancent. On a vu, sous les tropiques comme dans la zone tempérée, des gens passer la moitié de la nuit à débiter des histoires. Dans le cas présent, il ne s’agit, il est vrai, que d’une seule histoire, mais elle comporte des interruptions qui donnent au conteur des moments de répit, et quant à ce qui est de l’endurance des auditeurs, il faut accepter le postulat que le récit était vraiment intéressant. Supposition préliminaire et obligatoire. Si je n’avais pas trouvé l’histoire intéressante, je n’aurais pas commencé à l’écrire. Quant à l’invraisemblance matérielle, nous savons tous que certains discours du Parlement ont duré plus près de six que de trois heures, alors que toute la partie de mon livre comportant le récit de Marlow peut, je le crois, se lire à haute voix en moins de trois heures. D’ailleurs, bien que j’aie négligé ces détails insignifiants, il faut supposer que l’on servit des rafraîchissements cette nuit-là, et que pour aider le conteur, on lui donna bien un verre d’eau minérale quelconque.
Mais sérieusement, et pour parler franc, mon intention première était d’écrire une nouvelle sur l’épisode du bateau de pèlerinage, rien de plus. C’était là une idée parfaitement légitime. Mais après avoir écrit quelques pages, je m’en trouvai mécontent, pour une raison ou l’autre, et je les mis de côté, pour ne les sortir du tiroir que lorsque feu M. William Blackwood me demanda quelque chose pour sa revue.
C’est alors seulement que je m’avisai que l’épisode du bateau de pèlerinage fournissait le point de départ excellent d’une libre et vagabonde histoire, et que c’était aussi un événement de nature à colorer tout le sentiment de l’existence chez un individu simple et sensible. Mais tous ces mouvements d’âme, tous ces états d’esprit préliminaires étaient pour moi un peu obscurs à cette époque, et ne m’apparaissent pas plus clairement aujourd’hui, après tant d’années.
Les quelques pages mises de côté eurent leur poids dans le choix du sujet. Mais l’histoire tout entière fut récrite de propos délibéré. Lorsque je la commençai, j’étais certain d’en faire un gros volume, sans prévoir pourtant qu’elle dût s’étendre sur treize numéros de revue.
On m’a parfois demandé si cette œuvre n’était pas, entre toutes les miennes, celle que je préfère. Je ne goûte pas le favoritisme dans la vie publique, dans la vie privée, ou même dans les rapports délicats d’un auteur avec ses ouvrages. En principe, je ne veux pas avoir de favoris, mais je ne vais pas jusqu’à éprouver chagrin ou ennui de la préférence que certains lecteurs accordent à mon « Lord Jim »... Je ne dirai même pas que je ne les comprenne pas... Non ! Mais j’ai eu un jour une cause de surprise et d’inquiétude.
Un de mes amis revenu d’Italie avait causé là-bas avec une dame qui n’aimait pas mon livre. Je déplorais le fait, évidemment, mais ce qui me surprit, ce fut le motif de sa désapprobation. « Vous comprenez », disait-elle, « toute cette histoire est si morbide ! »
Cette réflexion me valut une bonne heure d’inquiètes réflexions. Mais je finis par conclure que, toutes réserves faites sur la nature d’un sujet un peu étranger à une sensibilité féminine normale, cette dame ne devait pas être Italienne. Je me demande même si elle était Européenne. En tout cas, un tempérament latin n’aurait jamais rien vu de morbide dans le sentiment aigu de la perte de l’honneur. Pareil sentiment peut être juste ou erroné, ou peut être condamné comme artificiel, et mon Jim n’est peut-être pas d’un type très répandu. Mais je puis sans crainte affirmer à mes lecteurs qu’il n’est pas le fruit d’une froide perversion de pensée. Ce n’est pas non plus un personnage des brumes septentrionales. Par une matinée ensoleillée, dans le banal décor d’une rade d’Orient, je l’ai vu passer, émouvant, significatif, sous un nuage, parfaitement silencieux. Et c’est bien ainsi qu’il devait être. C’était à moi, avec toute la sympathie dont j’étais capable, à chercher les mots adéquats à son attitude. C’était « l’un des nôtres ».

Juin 1917.
I

Il avait six pieds, moins un ou deux pouces, peut-être ; solidement bâti, il s’avançait droit sur vous, les épaules légèrement voûtées et la tête en avant, avec un regard fixe venu d’en dessous, comme un taureau qui va charger. Sa voix était profonde et forte, et son attitude trahissait une sorte de hauteur morose, qui n’avait pourtant rien d’agressif. On aurait dit d’une réserve qu’il s’imposait à lui-même autant qu’il l’opposait aux autres. D’une impeccable netteté, et toujours vêtu, des souliers au chapeau, de blanc immaculé, il était très populaire dans les divers ports d’Orient, où il exerçait son métier de commis maritime chez les fournisseurs de navires.
On n’exige du commis maritime aucune espèce d’examen, en aucune matière, mais il doit posséder la théorie du Débrouillage, et savoir, mieux encore, en donner la démonstration pratique. Sa besogne consiste à distancer, à force de voiles, de vapeur ou de rames, les autres commis maritimes lancés comme lui sur tout navire prêt à mouiller son ancre, à aborder jovialement le capitaine en lui fourrant une carte dans la main – la carte réclame du fournisseur, – puis, dès sa première visite à terre, à le piloter avec fermeté, mais sans ostentation, vers une boutique, vaste comme une caverne et pleine de choses bonnes à manger et à boire sur un bateau ; on y vend tout ce qui peut assurer à un navire sécurité et élégance, depuis un jeu de crochets pour son câble, jusqu’à un carnet de feuilles d’or pour les sculptures de son arrière, et le capitaine se voit accueilli comme un frère par un négociant qu’il n’avait jamais rencontré. Il trouve, dans une salle fraîche, de bons fauteuils, des bouteilles, des cigares, et tout ce qu’il faut pour écrire ; un exemplaire des règlements du port, et une cordialité qui fait fondre le sel déposé, par trois mois de navigation, sur un cœur de marin. Ainsi nouées, les relations sont entretenues, tant que le navire reste au port, par les visites quotidiennes du commis maritime. Fidèle comme un ami et plein d’attentions filiales pour le capitaine, il fait montre, à son endroit, d’une patience de Job, de l’entier dévouement qu’on attendrait d’une femme, et d’une gaieté de bon vivant. Après quoi l’on envoie la note. C’est un beau métier, tout fait de cordialité avertie, et les bons commis maritimes sont rares. Quand un commis, qui possède la théorie du Débrouillage, se trouve aussi pourvu d’une éducation de marin, il vaut son pesant d’or pour le patron, et peut en attendre toutes les faveurs. Jim gagnait toujours de beaux gages et les faveurs qu’il se voyait octroyer eussent assuré la fidélité d’un démon, ce qui ne l’empêchait pas, avec une noire ingratitude, de planter là brusquement son emploi pour s’en aller ailleurs. Les raisons qu’il donnait à ses chefs étaient manifestement insuffisantes, et provoquaient de leur part cette simple réflexion : « Maudit imbécile ! » dès qu’il avait tourné le dos. Telle était la critique qu’éveillait son excessive sensibilité.
Pour les blancs des ports et les capitaines de navires, il était Jim et rien de plus. Il possédait un autre nom, bien entendu, mais il tenait fort à ne l’entendre jamais prononcer. Son incognito, percé comme un tamis, ne visait pas à cacher une personnalité, mais un fait. Lorsque le fait transparaissait à travers l’incognito, Jim quittait brusquement le port où il s’employait à ce moment-là, et en gagnait un autre, en général plus loin vers l’Orient. Il s’en tenait aux ports de mer, parce que c’était un marin exilé de la mer, et parce qu’il possédait la théorie du Débrouillage, qui ne peut servir à d’autre métier qu’à celui de commis maritime. En bon ordre, il battait en retraite vers le soleil levant, et comme par hasard, mais inexorablement, le fait le poursuivait. Aussi l’avait-on vu, tour à tour, dans le cours des années, à Bombay, à Calcutta, à Rangoon, à Penang, à Batavia, et dans chacun de ces ports d’attache, il était tout simplement Jim, le commis maritime. Plus tard, lorsque son sentiment aigu de l’Intolérable l’eut chassé pour toujours des ports et de la société des blancs, jusque dans la forêt vierge, les Malais du village qu’il avait choisi dans la jungle, pour y cacher sa sensibilité déplorable, ajoutèrent un mot au monosyllabe de son incognito. Ils l’appelèrent Tuan Jim, – Lord Jim comme on dirait chez nous.
Il sortait d’un presbytère. Plus d’un capitaine de beau vaisseau marchand est issu d’un tel séjour de piété et de paix. Le père de Jim possédait sur l’Inconnaissable des connaissances assez précises pour mener dans la voie droite les habitants des chaumières, sans troubler la quiétude de ceux qu’une infaillible Providence a fait vivre dans des châteaux. Perchée sur une colline, la petite église avait la teinte grisâtre d’un rocher moussu, aperçu à travers les trous d’un rideau de feuillages. Elle s’élevait là depuis des siècles, mais les arbres qui l’entouraient devaient se souvenir encore d’avoir vu poser sa première pierre. Au-dessous d’elle, la façade rouge du presbytère mettait sa teinte chaude, parmi les pelouses, les corbeilles de fleurs et les sapins. D

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