Mazout
97 pages
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Description

« Tu l’as dis ! Qui t’a dit que j’avais des morpions ? Je vais te découper ! C’est ton ami, il a eu des morpions, il a dit que c’était moi…
- C’est vrai qu’il a eu des morpions aussi…
- Tais-toi. Paye-moi le mazout. Je vais te taper, tu vas voir si j’ai des morpions. Il est où mon verre ? »
Le grand écart parait immense entre Pauline, l’africaine truculente des quartiers de Libreville et Anne, la vive et dédaigneuse petite bourgeoise de Paris. Ce sont les souvenirs tendres et drôles d’Antoine qui les rapprochent, des souvenirs factices aussi, récréés plus de vingt ans plus tard alors que tout s’est évaporé. C’est avec Eric, l’ami retrouvé devenu ministre, qu’il traversera Paris le havane au bec pour se fabriquer un bon, un vrai souvenir, un souvenir qui ne doit rien au passé.
Et si les sottises de la vie constituaient, quand vient l’âge ridicule de la sagesse, l’élément le plus pesant de notre maturité trop digne ? Et que reste-t-il d’Antoine sans les mignardises de Bagatelle et les galipettes équatoriales ? Mazout aborde avec légèreté et humour ces minces futilités qui nous font tels que nous sommes.

Informations

Publié par
Date de parution 14 février 2018
Nombre de lectures 1
EAN13 9791029008122
Langue Français

Extrait

Mazout
Jean - Dominique Reffait
Mazout
Les Éditions Chapitre.com
123, boulevard de Grenelle 75015 Paris
© Les Éditions Chapitre.com, 2018
ISBN : 979-10-290-0812-2
Les anges
Il se souvenait du moment où sa main fine et froide s’était soudain posée sur la sienne. Il avait marché longtemps puis s’était assis désœuvré sur un banc non loin de la pagode qui surplombe la roseraie de Bagatelle. Quelques minutes plus tard, la jeune fille l’avait furtivement interrogé du regard pour s’asseoir à l’autre bout du banc. Il avait renvoyé un sourire poli en retour puis continua de regarder devant lui, voyant tout sans rien voir. Elle ouvrit un livre et le temps passa. Devant lui, en contrebas, les promeneurs humaient les fleurs, les commentaient. Les hommes suivaient les femmes d’une rose à l’autre et paraissaient consentir à ce doux ennui au soleil d’été. Il devinait la présence de la jeune fille comme une ombre à droite de son champs de vision mais il persistait à regarder face à lui. Il se sentait curieusement une forme de devoir envers elle. Ne pas la déranger, respecter son moment de tranquillité. Il pensait qu’elle s’était assise là par dépit de n’avoir pu trouver un banc isolé et libre. Cela le contraignait, il ne bougeait plus trop ses jambes qu’il tenait allongées devant lui.
Un gamin déboula dans la pente sur un tricycle manœuvré en expert. Loin derrière, sa mère papotait avec une autre femme. Décidément , les hommes sont des animaux lents, comme les orangs-outans dont les gestes sont si mesurés. Il en voyait qui parcouraient la roseraie géométriquement, le côté gauche puis le côté droit. D’autres, des femmes, observaient une station devant chaque spécimen, l’une d’elle avec un carnet où elle notait visiblement les références. D’autres encore erraient, c’était les désordonnés qui repassaient agacés devant les mêmes arbustes en se demandant s’ils avaient déjà tout vu. Le soleil fit une incursion à travers la ramure et il se décala légèrement vers la droite pour ne pas être ébloui. Un léger répit et le soleil le rattrapait. Il lorgna vers le feuillage pour déterminer si une stratégie lui permettrait d’échapper aux rayons. Non , il fallait jouer à cache-cache jusqu’à ce qu’une autre branche chargée de feuilles prenne le relais et rétablisse l’ombre. À son tour, la jeune fille fut harcelée par l’éclat lumineux. Elle se décala vers la gauche en souriant puis repris sa lecture.
Les instants passèrent, il semblerait qu’en fait, ce furent des heures. L’ombre recouvrait la roseraie, l’air s’était rafraîchi à ce point exquis où l’on ne sentait ni chaleur ni froid. Il revit plus loin le gamin au tricycle mais il gambadait à pied et sa mère portait l’engin. Engourdi, il remua doucement ses jambes et porta son regard vers la lectrice. Elle fermait son livre justement. Il parvint juste à deviner le nom de l’auteur : « Sulitzer » mais il demanda quand même : « C’est quoi ?
– Popov de Sulitzer. Ça me détend. Vous, vous ne lisez pas.
– J’ai du mal à lire dehors.
– Et vous ne dormez pas non plus !
– C’est curieux non ? J’aurais pu cela dit, cela m’arrive de somnoler sur un banc quand je suis seul.
– Je vous ai dérangé alors ?
– Bien sûr que non ! Mais je ne me vois pas roupiller en présence de quelqu’un !
– Donc je vous ai dérangé.
– Si j’avais été dérangé, je serais parti depuis longtemps. Je ne crois pas qu’on reste un après-midi assis sur un banc en bois dur si on est dérangé. C’était agréable de vous avoir à côté, vous lisiez, je regardais devant moi. À nous deux, nous n’aurons pas perdu notre temps !
– Vous n’auriez peut-être pas lu Sulitzer !
– Certainement pas ! Mais je ne peux tout de même pas demander à ma voisine de lire selon mon choix alors que je ne lis pas…
– Dites un peu… vous m’auriez conseillé quoi ?
– Je n’en sais rien du tout ! Le mieux, c’était peut-être Sulitzer après tout… »
Et c’est alors qu’elle avait posé sa main sur la sienne. Le ciel s’ouvrit, de gros anges entonnèrent un air majestueux avec leurs trompettes. Les oiseaux s’étaient tous éparpillés de leurs arbres pour danser dans l’air. Les roses furent écloses en un instant. Il avait eu le réflexe d’accrocher son pouce avec celui de la jeune fille et le caressait doucement. Tous deux regardaient en face l’immense lac du Bourget sans croiser leurs regards.
Puis elle dégagea sa main doucement, il la regarda ranger son livre dans son sac, elle souriait, lui aussi. Ils avaient tous deux ce sourire ironique de ceux qui n’en revenaient pas. Elle se leva, balbutia une sorte de « merci » et s’en alla. Le parc était plongé dans l’ombre encore lumineuse de la fin de journée et il entendit les sifflets des agents qui indiquait la fermeture imminente. Tout était beau.
L’ami
Lorsque je le revis après cette journée, il ne me la raconta pas tout de suite. Et quand il m’en parla, il n’en dit pas fort long. Je passais chez lui deux ou trois fois par semaine, il était mon meilleur ami, un ami d’enfance. J’y restais cinq minutes ou plusieurs heures, c’était selon l’humeur et le temps que nous pouvions nous consacrer à cet instant. J’ouvrais le frigo, prenais deux bières et nous causions. Son appartement était minuscule, un studio avec un lit en mezzanine près de la mairie du 18 ème arrondissement, métro Jules Joffrin . Il évoqua cet épisode sans y croire : « C’est incroyable, non ? » Je lui demandais s’il était amoureux. « C’est vite dit tout de même ! C’est vite dit mais quand même… »
Je ne puis dire de lui que des banalités. Non qu’il fut banal, serait-il mon ami si précieux s’il l’était ? Mais je ne puis que le décrire par ces aspects les plus communs, ce qu’il fait, où il vit, d’où il vient, c’est pauvre. Il s’appelait Antoine. Pas de diminutif officiel sauf que moi seul l’appelait parfois Toto, pas toujours, lorsque j’avais quelque chose à lui reprocher, une remarque acide à lui faire. Il avait alors vingt-quatre ans, j’ai moi-même le même âge. Je ne suis pas juge de ses qualités esthétiques, j’aurais aimé avoir sa mèche rebelle qui lui donnait un genre mais pas son nez, trop sinueux. Deux yeux verts qui faisaient leur effet sans qu’il s’en doute. Il devait avoir quelques centimètres de moins que moi, ça n’en faisait pas un nain mais je ne suis pas non plus un géant. Je ne vais tout de même pas vous décrire ses mains, sa bouche, ses oreilles, sa stature musculeuse ou non, je n’y ai jamais prêté attention. Disons qu’il avait des mains, des pieds, des oreilles, une bouche et c’est heureux. Une amie m’avait confié un jour qu’il avait de belles fesses, révélation qui m’avait fait rire, comme si j’étais intéressé par une révélation de cette nature. « Si, si, je t’assure ! » avait-elle renchéri. Soit, il a de belles fesses, cette info qui provenait d’une experte semble-t-il, peut clore cet impossible portrait physique.
Nous avions passé le bac ensemble puis il avait choisi la voie royale de la khâgne d’Henri IV vite devenu un parcours de cross boueux. Il s’était donné le genre pendant deux ans de ne survivre qu’avec un Gaffiot et un Bailly à portée de main pour obtenir des notes misérables, en progrès certes, mais clairement microscopiques. Plus raisonnablement, il avait poursuivi par la fac d’histoire où il avait entamé un doctorat jamais terminé. Il expliquait que son sujet était en or mais trop beau pour être vrai : un manuscrit de la Marquise de Pompadour qui prétendait décrire et critiquer la politique étrangère de Louis XV. Il lui fallut quelques mois pour découvrir que le document était un apocryphe rédigé par un exilé français aux Pays-Bas. Fin du doctorat. Depuis il était lecteur dans une grande maison d’édition, il s’appuyait des manuscrits d’auteurs, rédigeait des fiches destinées au comité de lecture qui ne l’informait jamais de la destinée des œuvres proposées. Il avait également obtenu par piston de remplacer un enseignant démissionnaire d’un centre de formation de fonctionnaires. Il gagnait ainsi raisonnablement sa vie tout en conservant un temps libre appréciable. Parfois, il lui arrivait de fricoter dans un cabinet ministériel ou auprès d’un parlem

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