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Description
Informations
Publié par | Les Éditions du Net |
Date de parution | 02 décembre 2016 |
Nombre de lectures | 0 |
EAN13 | 9782312049335 |
Langue | Français |
Poids de l'ouvrage | 1 Mo |
Informations légales : prix de location à la page 0,0017€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
On l’appellera Téhie
Christian Sournia
On l’appellera Téhie
Roman
Tome I – La face cachée
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2016
ISBN : 978-2-312-04933-5
Prologue B ANNIS
« Amina , ma chérie, comme tu m’as manqué ! Cela fait presque un an maintenant et tu as encore grandi, c’est incroyable ! »
C’était vrai qu’elle avait grandi. Sa jolie robe jaune ornée de discrets lisérés rouges lui arrivait très au-dessus des genoux désormais. Amina avait revêtu sa tenue du dimanche pour rendre visite à son vieux grand-père qui vivait seul dorénavant, caché au cœur de cette immense forêt. Une multitude de petits nœuds de rubans blancs donnaient un côté festif à sa chevelure finement tressée.
« Grand-père ! Mais… tu étais mort ! Ils l’ont dit, tous. Ils ont dit que tu avais disparu en mer, que tu t’étais noyé quand la pirogue a chaviré. Comment c’est possible ? »
Amina avait couru très longtemps… bien trop longtemps. Je pouvais sentir son jeune cœur battre la chamade alors qu’elle se pressait contre mon vieux corps, si fatigué.
« C’est une longue histoire, Amina. Mais nous aurons tout le temps pour l’évoquer ensemble. Ainsi donc, tu as réussi à déchiffrer mon message ?
– Peuh… évidemment ! C’est maman en fait qui a reçu le message codé. Par chance, j’étais à ses côtés à ce moment-là pour le récupérer après qu’elle l’eut jeté dans la poubelle en s’écriant, horrifiée : " Mais , c’est quoi ce charabia ? On veut me jeter un mauvais sort, c’est ça, hein ?"
– Je reconnais bien là la réaction de ta mère. Ses superstitions lui mangent la tête petit à petit, et ça ne date pas d’aujourd’hui. En fait, ça a commencé quand elle avait ton âge.
– Ah… et quel âge j’ai ? »
Amina me regardait fixement, la tête négligemment penchée sur le côté. Elle était si mignonne lorsque son visage arborait cette moue de défi, avec ses sourcils exagérément froncés et ses lèvres légèrement plissées.
« Ne joue pas l’espiègle avec ton vieux grand-père, Amina. Tu as très exactement huit ans et six jours. Il me semble que le message codé est arrivé pile pour ton anniversaire, non ? Comme tous les ans, d’ailleurs.
– Tu aurais pu choisir un code plus simple, tu sais. En décalant juste une lettre, par exemple. À la maison, ils savent à peine lire les lettres quand elles sont dans le bon ordre, alors…
– Peut-être, mais en utilisant notre code le plus complexe, j’étais sûr que tu devinerais que le message venait bien de moi et de personne d’autre.
– C’est vrai, c’est ce que je me suis dit. Et ensuite, j’ai pleuré pendant une heure. »
L’évocation d’Amina pleurant à l’annonce que son grand-père était toujours vivant eut le don de faire fondre mon cœur instantanément. Un cœur pourtant terriblement endurci par les épreuves de ces derniers mois.
« Alors, dis-moi, tu as eu droit à quoi comme cadeaux cette année ?
– Ben, il n’y a pas eu de cadeau cette année, Grand-père. Ni d’anniversaire, d’ailleurs.
– Tiens donc, et pourquoi ça, Amina ? Tu n’as pas été sage ?
– Non, ça n’a rien à voir. C’est parce que depuis quelques mois, maman est persuadée que sa fille Amina n’habite plus mon corps. Quelqu’un d’autre aurait pris sa place.
– Mais, c’est absurde ! Tu es bien trop jeune pour être victime d’un envoûtement. Je n’ai jamais entendu dire qu’un mort ait pris possession du corps d’une enfant pour réapparaître.
– Peut -être, Grand -père, mais le marabout a confirmé les craintes de ma mère. Il a même évoqué un nom : Fatoumata . Tu la connais ?
– Oui. Fatoumata était une cousine éloignée de ta mère. Elle est morte il y a dix ans maintenant. La maladie et le chagrin l’ont emportée en quelques jours. »
Amina me fixait désormais avec une grande attention. Elle sentait que le mystère Fatoumata était sur le point de s’éclaircir.
« Et pourquoi elle voudrait habiter mon corps ? Je lui ai rien fait, moi !
– Les morts choisissent en général des corps et des esprits faibles pour se manifester aux vivants.
– Ah bon ! Tu trouves que je suis un corps et un esprit faible ?
– Pour le corps, c’est possible. Tu fais plus grande que ton âge mais tu as toujours un corps d’enfant. Pour ce qui est de l’esprit, ça c’est une autre histoire. J’imagine mal un mort te voler ton esprit. Encore moins Fatoumata qui était réputée pour être la plus sotte du village. Mais, ne soit pas inquiète. Moi qui te regarde depuis plusieurs minutes, je ne vois qu’Amina dans ce grand corps élancé.
– Ah ! tu me rassures. C’est que j’ai pas envi de le partager, moi. En plus, je ne la connaissais même pas. Et pourquoi elle voudrait se manifester ? Elle est morte, alors à quoi bon ?
– Probablement, parce qu’elle estime que justice ne lui a pas été rendue.
– On lui a fait du mal ?
– Non, pas à elle directement, plutôt à son mari. Il a reçu un coup de machette sur la tête qui lui a été fatal. »
L’évocation de la fin tragique de l’époux de Fatoumata la fit soudain frissonner.
« On voulait lui voler quelque chose ?
– Non, Amina, non. En fait, c’est lui qui voulait, disons, voler la femme d’un autre… mais juste pour un soir. Manque de chance, le mari venait d’acheter une machette toute neuve.
– On peut voler quelqu’un pour un soir et le rendre après ?
– Ha , ha, ha ! oui, si tu veux. Mais ce sont des affaires de grandes personnes. Ça ne regarde pas les fillettes délurées comme toi.
– Eh bien, si ça ne me regarde pas, elle n’a qu’à se chercher un autre corps, cette Fatoumata. Le mien est occupé !
– Mais qu’est-ce qui a bien pu pousser ta mère à imaginer une chose pareille ?
– En fait, elle me trouve trop grande pour mon âge, presque une taille d’adulte. Et puis ma façon de m’exprimer n’a rien à voir, d’après elle, avec les jacassements habituels d’une gamine de huit ans. Elle est réellement convaincue qu’il y a quelqu’un d’autre dans mon corps, tu sais. »
Amina était vraiment remontée. Quel esprit malade avait bien pu faire croire à une fillette et à sa mère qu’elle était possédée par une morte à moitié débile ? Un esprit suffisamment tordu dans le village, je n’en voyais qu’un. Aboubacar, le marabout. Encore lui ! Ainsi donc, un mois après les évènements qui m’avaient poussé à fuir et à me cacher dans la forêt, nos routes se croisaient à nouveau. Combien de fois j’avais rêvé que je l’étripais ce sorcier de malheur. Mais sa mort aurait apporté la malédiction sur le village et ça, c’était une chose à laquelle je ne pouvais me résoudre. Fort heureusement, Aboubacar ne connaissait pas l’existence de l’enregistrement, de cette preuve indiscutable de l’étendue de sa fourberie. Sinon, il l’aurait très certainement détruit. Désormais, j’étais condamné à errer seul. Et probablement pour toujours, puisque aux yeux de tous… j’étais mort depuis un an déjà !
« Grand-père, tu m’écoutes ?
– Hein… ah oui, pardon ma chérie ! Je pensais à autre chose… tu me disais quoi au juste ?
– Je te disais que c’était parce que l’instituteur m’avait renvoyée de l’école que maman me croyait possédée par la folle.
– L’instituteur t’a renvoyée ? Toi qui dois avoir un Q.I. d’au moins le double du sien !
– C’est quoi un Q.I., Grand-père ?
– Oublie ça, Amina. C’est juste une méthode pour trier les imbéciles. Allez, ma grande, raconte-moi tout ! »
Amina attrapa un petit tabouret et s’assit prestement dessus, non sans avoir pris la précaution de lisser consciencieusement les plis de sa robe avec ses mains posées bien à plat.
« Eh bien voilà. Un jour, il a voulu nous apprendre les multiplications à plusieurs chiffres. Il a écrit à la craie au tableau une suite de nombres "17 x 32 = ?". Mais avant qu’il ait eu le temps de se retourner, j’ai annoncé à voi