PEAUX ET OCRES , livre ebook

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2021

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Peaux et ocres est un roman qui met face à face deux univers du Maroc des années 1991 à 1998; univers différents l'un de l'autre mais qui se croisent périodiquement. Il raconte la folie, la cruauté et fait voir cet emmelement du corps et de l'Histoire marocaine dont l'horrible bagne de Tazmamart cristallise la noirceur. La peau est le parchemin de l'Histoire. Que peut un corps ? Que peut l'art face à la cruauté ? Deux questions qui accompagnent le lecteur tout au long de ce roman au style ciselé comme une fine sculpture.
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Publié par

Date de parution

01 janvier 2021

Nombre de lectures

30

EAN13

9789920607339

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

1 Mo

PEAUX ET OCRES
Roman© Editions Marsam 2021
Collection dirigée par Rachid Chraïbi
15, avenue des Nations Unies, Agdal, Rabat
Tél. : (+212) 537 67 40 28 / Fax : (+212) 537 67 40 22
E-mail : marsamquadrichromie@yahoo.fr
Conception graphique
Quadrichromie
Impression
Imprimerie Afrique Orient, 2021
Dépôt Légal : 2021MO5441
ISBN : 978-9920-607-33-9 Abderrahim Kamal
PEAUX ET OCRES
Roman« Mais il faudrait qu’on devine, derrière les mots
imprimés, derrière les pages, quelque chose qui
n’existerait pas, qui serait au-dessus de l’existence. Une
histoire, par exemple, comme il ne peut en arriver, une
aventure. Il faudrait qu’elle soit belle et dure comme
l’acier et qu’elle fasse honte aux gens de leur existence »
J.-P. Sartre, La nausée.
5 4
-IElle semble hypnotisée par le tableau. Elle le scrute de
près, de très près. Les yeux presque collés à la toile, à ses
matières. De temps en temps, elle passe le bout de ses doigts
sur les corps nus, plongés dans une sorte de jour sombre
et comme happés par quelque vertige, quelque tourbillon
à la force invincible. Zakia s’absorbe dans la scène en se
demandant si elle ne l’avait pas déjà vue, si elle ne l’avait
pas vécue, rêvée peut-être. Elle en est certaine : elle a déjà
vu ces corps portant sur leur peau le même déchirement, le
même arrachement. C’est vrai qu’elle ne reconnaît personne
dans cette multitude nue et sans visage, mais cette posture,
ce décharnement effrayant, ces têtes regardant vers le ciel,
ces traits, ces yeux effacés ? Elle s’y reconnaît elle-même
sans savoir comment ni pourquoi.
Zahra, tout en rendant la politesse à ses invités, observe
Zakia, laconiquement présentée par Rachad avant qu’il ne
se fonde dans la foule.
Ce soir, Zahra est heureuse. Elle n’attendait pas autant
de monde au vernissage. Le petit hall du Centre Culturel
Français arrive à peine à contenir tous les visiteurs. Les
vingt-trois tableaux courent jusqu’à l’entrée, collés les uns
aux autres. Elle ne pouvait sacrifer aucun des trois tableaux
« de trop ». Ils forment tous un corps uni, indivisible : un
cri poussé dans sa tête et dont chacun des tableaux est une
modulation.
5 4 Rachad ne comprend pas cette fxation de Zakia sur la
même toile. Cette sensibilité lui paraît étrangère à son être.
Insolite. C’est vrai qu’elle a littéralement changé, presque
métamorphosée. Quand il l’a croisée dans le hall de l’Hôtel
Zarki, il a eu du mal à la reconnaître quand elle l’a hélé
avec son inimitable « Bonjour » qui résonne comme un
ordre, ses cheveux coupés ras et teints d’un blond acide,
son corps amaigri. Toute rondeur avait disparu. Rachad a
juste reconnu la voix au ton autoritaire et les yeux au même
étonnement triste mais provocateur. Pour se débarrasser
d’elle, il prétexte un vernissage tout en étant sûr que c’est le
dernier de ses intérêts. Elle veut l’y accompagner. Surpris,
il s’est demandé tout au long du trajet, si c’était vraiment
la femme qui avait fait de lui, le temps d’une nuit, l’objet
de ses fantasmes il y a de cela exactement un an. De loin,
il l’observe maintenant collée à cette toile en se demandant
ce qui a pu se passer depuis. « Mystère de femmes ou
mutation hormonale incontrôlable ? » se demande-t-il en
s’approchant d’elle :
- Que se passe -t-il ? Tu sembles magnétisée !
- Je ne sais pas ce qui se passe…
- Tu sais, cela fait plus d’une demi-heure que tu es
scotchée là !!
- Il me semble que j’ai déjà vu ce tableau, cette scène en
tout cas.
- Et alors ?
- Alors ça m’intrigue !
Elle se retourne et s’absente de nouveau dans la peinture
en passant de temps en temps ses doigts amaigris et blêmes
sur ces corps diaphanes. Presque tous sont de dos, à peine
esquissés, fantomatiques, non pas regardant vers un horizon
ouvert mais fgés dans une étreinte immobile. Un seul corps
7 6 est de face : un corps de femme dont on devine les seins
mais sans visage ; absent, fxé sur une tache noire. C’est ce
corps qu’elle caresse le plus. Longtemps. Rachad sent qu’il
gêne, il rejoint ses amis.
Toute la crème de la culture est là et presque toute la
bande du Wimpy. Gharbany est là aussi. Contrairement à
ses habitudes, il est silencieux, timide, intimidé. De temps
en temps, il jette un regard furtif sur Zahra puis fait mine de
regarder un tableau.
Autour de Younous c’est l’hilarité. Il se moque de son
exposition de mai passé ; il rit de son échec :
- Vous vous rendez compte ? Un an de travail et pas une
croûte de vendu ! C’est décidé, je me convertis en peintre
de bâtiments ! « Espaces ininterrompus ! », c’était le titre
de l’expo ! C’est ma naïveté que je dois interrompre ! Vous
en riez ? Tant mieux ! Au moins ça de gagné !
M. Vaudel, le directeur du Centre, arrive enfn. Avec
un stylo, il fait tinter un verre. Les visiteurs assemblés
autour du petit buffet se taisent : « Chers amis, aujourd’hui
samedi 21 décembre 91 le Centre Culturel de Meknès est
heureux d’accueillir les Corps sans visages, c’est le titre
de l’exposition de Mlle Zahra Oussiad, jeune peintre
talentueuse et qui, c’est mon avis d’amateur d’art, fera une
belle carrière si on lui en donne les moyens. J’espère qu’elle
continuera malgré les diffcultés. C’est une battante et j’ai
entièrement confance en elle et en son art. Chers amis, je
vous prie de vous approcher pour partager avec nous ce
petit buffet en son honneur et en le vôtre. Merci. »
Zahra n’a pas le temps de lui rendre la politesse puisqu’il
disparaît aussitôt dans ses bureaux.
Les convives se servent, discutent, scrutent les toiles.
Hajib avec son Kodak à la main, en costume délavé, lunettes
7 6 sombres cachant ses yeux de rapace, prend quelques photos
et immortalise de temps en temps son chef, Sidi Boultam.
En prédateur insatiable, il note dans son calepin les
coordonnées de l’une de ses futures proies.
Souleymane arrive discrètement, tête baissée, dos
courbé ; il se dirige vers l’artiste, la félicite puis fait un tour
rapide, s’arrête sur quelques tableaux avant de disparaître
tout aussi discrètement. Zahra ressent une ferté qu’il se soit
déplacé pour elle. Cet homme solitaire et déçu n’aime ni
la foule ni le bruit ni l’hypocrisie. Dans un coin, Hicham
prend quelques notes sur un cahier d’écolier ; certainement
pour un projet d’article.
Quand Menai, Mansor et Sarhane se présentent, c’est
Rachad qui les accueille :
- Messieurs, vous arrivez toujours en retard ! Quel est
votre secret ?
Menai sourit, Serhane plisse les yeux mais Mansor qui a
le sens de la repartie ne laisse pas passer l’occasion :
- Parce que nous, Monsieur le photographe et philosophe
par-dessus le marché, nous ne sommes pas des écorchés
vifs !
Les trois hommes éclatent de rire en fxant les traces
des griffes sur le visage de Rachad. Sur son cou la chair a
été carrément arrachée. Depuis quelques mois Rachad se
présente régulièrement avec des blessures dont ils devinent
l’origine.
Serhane ose :
- Ecoute l’ami, je sais que ta Samra, bien que menue, est
une vraie hyène ! Mais apprends à te défendre mon ami !
Apprends sinon tu vas y laisser ta peau !
Rachad rougit mais se rattrape vite :
- C’est le prix de l’amour sauvage, l’ami !
9 8 - Je vois ! Tu sais, je suis en train de monter une pièce de
théâtre, je t’y vois bien incarner le personnage de l’écorché !
Serhane s’éloigne en laissant son collègue happé
par l’amertume : des scènes dures, obscènes, violentes
l’envahissent comme des feux ravageurs. Il entend des mots
blessants, des cris, sent des ongles s’enfoncer dans sa chair.
Ses mains se crispent machinalement. Il tremble de rage.
Houcine le remarque :
- C’est l’heure de ton Black Label on dirait, fait-il
moqueur ; moi, c’est déjà fait, mais j’en prendrai bien
d’autres !
Rachad sourit, aigre.
- Allons-y, insiste Houcine
- Non, je suis accompagné, dit-il en regardant du côté de
Zakia, toujours collée à la même toile.
Il se dirige vers elle :
- Zakia, partons, j’ai soif.
- Attends un moment, j’ai envie d’acheter ce tableau…
Rachad n’entend pas la fn de la phrase. Zakia avait déjà
trouvé son chemin vers Zahra. De ses yeux enfoncés dans
leurs orbites, elle la fxe longuement, un sourire fgé sur les
lèvres. Zahra en est troublée, mal à l’aise.
- N’aies pas peur ! Je ne vais pas t’embrasser devant tout
ce beau monde !
- Pardon ?
- J’adore ce que tu fais ! C’est…c’est …je ne trouve
pas le mot…Enfn, ça me touche au plus profond de
moimême !
- Merci.
- J’adore aussi ta chevelure sauvage.
Zahra rougit et ne sait que dire.
9 8 - Je voudrais acheter un de tes tableaux.
- Lequel ?
Elle la prend par la main et se fraye un passage. Zahra
sent comme une bouffée de chaleur et un tremblement de la
main moite de Zakia. Elle retire brusquement sa main.
- Voilà, c’est celui-ci, dit Zakia, en passant son index
sur le contour des corps dénudés.
- D’accord, je te le vends au prix que tu veux.
- Merci Zahra. J’adore ton prénom « Zahra », « feu -
rette » ou « petite feur » Allez, 5000 dhs. Ça te va ?
- 5000 ?! Je n’en espérais pas tant.
- Ça mérite plus que ça, crois-moi !
- Merci.
- Je voudrais aussi t’inviter à dîner.
- Non merci, j’ai des engagements.
- Juste dîner ; tu peux inviter toutes les personnes que
tu veux. Toute cette foule si tu veux.
- Ah non ! dit Zahra en souriant.
Zakia insiste en fxant longuement Zahra.
- Alors ?
- D’accord. Younous et deux ou trois amis viendront
avec moi. Vous ne m’avez pas dit votre nom !
- Ah merde, c’est vrai ! Je m’appelle Zakia et je vous
invite à l’Hôtel- Restaurant Zarki vers 20h30.
- Très bien. A tout à l’heure.
Zakia tire Zahra vers elle et l’embrasse sur le front.
Zahra en est pétrifée.
La voix de Younous la réveille :
- Zahra ! Qu’est-ce qui t’arrive ?
- Rien, nous sommes invités à dîner ; dis-le à Lakhdar et
Houcine ; Gharbany, je m’en occupe. Tu sais, j’ai vendu un tableau !
11 10 - Je te l’avais dit ; tu vas me dépasser ! Tu te
rappelles, moi je n’ai rien vendu lors de mon expo.
- Ne t’inquiète pas,

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