Pièges
114 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
114 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Romain Bouvier en poste au ministère de l’Environnement se voit proposer un détachement au sein de la direction régionale de Bourgogne, afin de co-piloter un projet innovant de centre de traitement de déchets. Arrivés à Dijon, sa femme Mathilde, après 8 ans d’inactivité professionnelle, trouve un poste dans une PME familiale. Alors que leur nouvelle vie provinciale tient toutes ses promesses, rien ne va se passer comme prévu. L’intégration dans ce nouvel environnement professionnel est un défi que chacun relève à sa manière. Entre courage et petits renoncements, principes moraux et naïveté, ils naviguent tous deux, côte à côte dans les eaux tumultueuses du monde du travail, avec ses codes, sa hiérarchie, sa bureaucratie et tous ses pièges.

Informations

Publié par
Date de parution 04 octobre 2018
Nombre de lectures 6
EAN13 9782312061580
Langue Français

Extrait

Pièges
Vincent Lavaux
Pièges
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2018
ISBN : 978-2-312-06158-0
On est cent que la gloire Invite sans raison Mais, quand meurt le hasard Quand finit la chanson On se retrouve seul Jacques Brel
Chapitre I
Lorsque Romain Bouvier lut cet e-mail, ce fut d’abord un moment de surprise. Un e-mail court et direct, lui demandant de se présenter dans le bureau de Monsieur de Marigny, jeudi à 9 h 30. Jamais il n’avait ainsi été convoqué, et à l’énigme de cet email s’ajoutait l’appréhension du face à face avec le directeur. Pourquoi le convoquait-il ? L’usage voudrait que tout message lui parvienne par son responsable direct, Gérard Lecossais. Or l’assistante lui avait adressé cet e-mail sans même copier Monsieur de Marigny, donnant à cette invitation une touche supplémentaire de mystère. Après un long moment de réflexion, impassible derrière son écran, il décida de ne pas en parler, ni avec Martin son collègue et ami avec qui il partageait son bureau, ni même avec Mathilde, sa femme, de peur de l’effrayer. Il n’avait aucune idée du motif de cette convocation et la perspective d’engager un dialogue sans issue et de répondre aux interrogations légitimes de Mathilde le rebutait davantage que le besoin indicible qu’il ressentait de partager ses propres questions. Car tout fonctionnaire du ministère de l’Environnement confirmera qu’un tel e-mail venant du supérieur hiérarchique de son propre supérieur hiérarchique génère mécaniquement des interrogations chez le destinataire.
À la sortie de ses études et du concours de la fonction publique territoriale, Romain Bouvier avait débuté sa carrière à la préfecture du Loiret . Il avait eu l’opportunité deux ans plus tard d’être muté au Ministère de l’Environnement à Paris , appuyé par le préfet avec qui il partageait un véritable intérêt pour tous les sujets environnementaux. La fonction publique territoriale était venue à lui plus que l’inverse, mais très vite le jeune homme s’y épanouit. À Paris , le ministère était certes loin de « la territoriale », mais Romain pouvait se targuer d’œuvrer pour l’intérêt général, du moins sur le papier, au sens propre comme figuré. Car il en produisait du papier. Il était devenu un expert de la note de synthèse de cinq à dix pages, c’est dire la quantité de matière première qu’il devait avaler avant de rendre le fruit de son travail, fruit qui murissait avant de pourrir tranquillement sur un bureau, Dieu sait où, Dieu sait pourquoi. Malgré la visibilité réduite sur la finalité de son travail, Romain se raccrochait à l’idée que celui-ci devait avoir un effet sur le bon fonctionnement de l’État et pourquoi pas, in fine, sur la qualité de vie de ses concitoyens. Cette volonté de servir l’intérêt général s’était un peu atténuée ces dernières années, mais elle restait présente malgré les lourdeurs internes du ministère, sans parler des rivalités incessantes avec les collectivités territoriales qui n’avaient de cesse de demander des dotations budgétaires tout en rappelant fièrement leur indépendance vis-à-vis du pouvoir central. Dans ce contexte, Romain Bouvier pouvait être classé dans la catégorie des fonctionnaires « mi-mi », mi motivé par les idéaux du départ, mi démotivé par la machine grippée de la fonction publique.
Il se rendit à cette convocation le jeudi suivant, curieux d’en connaître l’objet et finalement sans angoisse particulière. Il s’était renseigné discrètement sur François de Marigny qu’il connaissait mal. Haut fonctionnaire, sa longue carrière avait été principalement vouée au ministère de l’Environnement. Il avait vu passer tous les ministres depuis son entrée au ministère en 1983 à son retour d’Alger où il avait également œuvré dans la coopération environnementale et agricole à l’ambassade de France. Il occupait alors son dernier poste avant son départ en retraite, et l’évocation régulière de ses projets dans sa résidence secondaire en Bretagne trahissait son impatience de couler des jours heureux, loin du ministère. Il cultivait cette nonchalance aristocratique teintée d’un goût prononcé pour le second degré et l’humour noir, qui le rendait plutôt sympathique. Après toutes ces années dans les cercles ministériels parisiens, il avait développé ces derniers temps un intérêt particulier pour le renforcement des liens entre le ministère et les administrations régionales qu’il considérait comme trop instables, liées au changement de majorités et de projets. Il avait notamment co-écrit un article remarqué dans Le Monde sur le déphasage entre le temps court des assemblées locales et le temps long que requièrent les projets environnementaux.
Le rendez-vous était prévu à 9 h 30. L’assistante pria Romain d’attendre dans le couloir, « le temps pour Monsieur de Marigny de terminer une conversation téléphonique ». Bien entendu, l’accès au bureau d’un tel responsable se faisait uniquement par celui de son assistante. Dans un lieu de pouvoir comme un ministère, la disposition des bureaux rappelle à tout un chacun que l’accès au chef doit être filtré. Romain Bouvier pénétra dans le bureau et les deux hommes échangèrent une poignée de main chaleureuse. Du haut de son statut de Directeur, de Marigny fit en sorte de mettre Romain à l’aise en l’invitant à s’asseoir dans le canapé d’angle tout en demandant à son assistante de bien vouloir leur apporter deux cafés. Il posa quelques questions sur les sujets d’actualité que traitait Romain, sur un ton suffisamment détaché pour ne pas donner le sentiment que ces sujets étaient l’objet réel de cet entretien. Enfin, le directeur se décida à rentrer dans le vif du sujet.
– Je vous ai fait venir pour vous parler d’un dossier stratégique. Je n’attends donc pas de réponse de votre part aujourd’hui. J’ai besoin de vous sur un projet important dans lequel le ministère est partenaire. Avez-vous entendu parler du centre de traitement des déchets ménagers et assimilés non dangereux de Tagnans ?
– Je crois avoir lu un article de presse sur ce projet il y a quelques mois en effet, répondit Romain méfiant.
– C’est un dossier vieux de quinze ans ; tous les élus de la région s’en sont mêlés, les associations de riverains sans parler de certains groupes d’écolos qui ont trouvé là une tribune et l’occasion d’occuper leurs activistes en mal d’adrénaline. Ils ont occupé le terrain du projet initial qui prévoyait l’enfouissement des déchets. Il y a trois ans le programme a été abandonné et la tension est retombée. Les contestataires ont plié leurs tentes et leurs drapeaux puis sont partis vers d’autres cieux plus médiatiques. Mais le projet de centre de traitement de déchets n’a jamais été totalement abandonné. Aujourd’hui il y a enfin une proposition qui rassemble toutes les parties. La solution proposée est basée sur un principe de tri sélectif et d’un recyclage performant pour réduire au maximum les déchets ultimes. C’est une solution moderne et innovante qui permettra la création une vingtaine d’emplois au niveau local. Ça évitera tous les ans à 25 000 tonnes de déchets de faire jusqu’à 200 km pour être enfouies dans la Drôme ou incinérées dans l’Allier. La solution retenue permettra aussi de valoriser 90 % de nos déchets. C’est une méthode novatrice en France, qui fera de l’Agglomération un modèle national. Personnellement, je suis très enthousiaste, car je suis convaincu que cette solution est l’avenir du traitement des déchets. Nous avons perdu beaucoup de temps et d’énergie ces dernières années. Les Allemands par exemple, eux, sont bien plus avancés.
Romain écoutait attentivement tout en se demandant où de Marigny voulait en venir. Il profita d’une pause dans le monologue pour marquer son intérêt pour le sujet : « J’imagine que le ministère va suivre cela de près… » avant que le haut fonctionnaire ne reprenne le fil de son exposé.
– Oui , nous devons suivre tout cela de près, d’autant plus que l’État est directement engagé dans le financement, à hauteur de 35 %. Mais au-delà du financement, nous voulons nous assurer que ce projet pilote soit un succès, pour être ensuite d

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents