Pourquoi moi
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Description

Dans le Québec des années 1930, Mélanie vit une enfance heureuse, partageant la passion de ses parents pour les chevaux mais, suite au décès accidentel de sa mère, elle se retrouve seule avec un père qui se révèle taciturne, autoritaire et manipulateur. Sa seule lueur d'espoir et de bonheur dans cette vie de plus en plus sombre est son amitié avec Thérèse, amitié si intense qu'elle suscite une défiance et une incompréhension telles qu'elle s'achèvera de façon tragique. À la suite de ce nouveau traumatisme, Mélanie ne trouve plus la force de résister à son père qui peut enfin commettre l'indicible, impunément. Dans un sursaut de lucidité et par instinct de survie, elle fuit la maison familiale et tente de se construire auprès de son ami d'enfance, Manuel. Pourtant, malgré sa foi en Dieu, en la vie et en l'amour, elle sent se nouer un drame qui la dépasse et qui ira jusqu'à l'explosion finale. Avec "Pourquoi moi", René Leclerc nous offre un roman sombre et émouvant sur les ravages de l'inceste dont la prose réaliste parvient à nous faire ressentir toute la complexité des sentiments de son héroïne. Ainsi, sous sa plume, Mélanie devient la représentation symbolique des victimes dont la voix n'est pas entendue.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 26 juillet 2013
Nombre de lectures 7
EAN13 9782342011029
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0067€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Pourquoi moi
René Leclerc
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Pourquoi moi
 
 
 
On a brisé les ailes de l’oiseau blessé.
 
 
 
 
 
 
Je viens à peine de dépasser la boutique de tissus Laberge du vieux quartier de Dixville que le cri strident de l’Express se fait entendre.
Je presse le pas.
« Être sur la plate-forme avant que le train n’entre en gare. Le voir par la fenêtre. Lorsqu’il descendra du train, me jeter dans ses bras… »
La pluie, encore fraîche en ce début de juin, court sur mon parapluie trop étroit et se déverse en gouttelettes sur mon pantalon qu’elles ne tardent pas à détremper.
J’atteins le dernier pâté de maisons de la rue Lavendière quand le train de Deauville s’immobilise.
Nuage de vapeur blanche.
Grincement de ferrailles.
Grosse bête noire tout en sueur !
Les premiers voyageurs descendent précipitamment du train. Je ne les vois pas. Je fixe plutôt, quelque peu inquiète, la petite passerelle que le conducteur a pris soin de disposer devant la porte.
Au fur et à mesure que le train se vide, je sens monter en moi un sentiment d’angoisse qui transforme en scepticisme la pertinence de ma démarche.
Ballottée entre la joie et l’incertitude, je balaie du regard chacune des fenêtres embuées du train, cherchant à découvrir une main, un visage, un sourire familiers.
D’instinct, je presse le pas vers la grosse porte d’acier d’où sont descendus une dizaine de voyageurs.
Le préposé aux passagers s’apprête déjà à refermer la porte.
— Pardon, monsieur, personne d’autre ? demandé-je avec une pointe d’angoisse dans la voix ?
— Eh non, ma belle madame, il n’y a personne d’autre, répond-il d’un ton un peu enjoué. Je voudrais bien être celui que vous attendez, ajoute-t-il cavalièrement.
Je ne suis pas d’humeur à plaisanter ni à répondre à de tels propos que je juge d’ailleurs déplacés. D’instinct, je fais demi-tour cherchant à camoufler cette émotion qui subitement étreint ma gorge.
Je fais à peine quelques pas qu’une dame dans la quarantaine, chiquement moulée dans un tailleur bleu nuit, s’approche de moi et avec une certaine hésitation me demande :
— Mademoiselle Mélançon ? Mélanie… ?
— Oui, c’est bien moi, réponds-je d’une voix qui trahit mon étonnement.
— Je vous ai facilement reconnue à la description que m’a faite monsieur de Fallette…
— S’agirait-il plutôt de Defayette, lui réponds-je d’instinct ?
— Ah… pardon ! s’excuse la dame. Je disais donc que monsieur Defayette m’a priée de vous remettre ce message.
Le trouble soudain qui s’est peint alors sur mon visage semble gêner quelque peu le discours de la dame qui poursuit toutefois avec une certaine hésitation :
— Il a été… arrêté à la gare de Deauville au moment où il s’apprêtait à acheter son billet. Il a cependant obtenu l’autorisation de m’adresser la parole voyant bien que, moi aussi, je me dirigeais vers Dixville. Puis, il a griffonné quelques mots sur ce bout de papier que j’ai pris soin de glisser dans une enveloppe que je traînais dans ma bourse.
L’inconnue me tend alors une enveloppe pêche, quelque peu froissée. Je la saisis gauchement en adressant à cette étrangère de vagues remerciements.
Devant le désarroi que je ne peux plus dissimuler, elle ajoute presque maternellement :
—  Si je peux vous être utile en quelque chose…, n’hésitez pas mademoiselle. J’habite à quelques rues d’ici… au 10, rue Brisson. Je suis madame Lavergne… Aline.
— Je vous remercie, madame… Ça va aller, répliqué-je un peu sèchement.
— Vous êtes bien sûre ? insiste la dame.
Je me contente d’esquisser un sourire quelque peu forcé et gagne précipitamment la porte d’entrée de la gare les mains crispées sur le billet.
 
Je m’assis, plutôt je me jette, sur le premier banc qui s’offre à moi serrant désespérément le message qui pourrait briser, en un instant, le fil tenu qui me retient encore à la vie.
Comment aurais-je pu accrocher mon étoile à ce faux mirage qui ne cherchait qu’à tromper mes visions d’espoir ? Je vois soudain, dans cette poignée de sable, s’avorter tous les rêves que j’avais si prudemment bâtis pour dissiper un tant soit peu les sombres ténèbres qui obnubilaient ma voie.
Comment ne pas croire en la fatalité lorsque tout ce que l’on touche se transforme en cendres ?
La gamme d’émotions que je vis en cet instant crucial : incertitude, peur, anxiété, désarroi, ne peut qu’alimenter ma conviction que ce petit billet, si menu soit-il, va masquer à tout jamais le visage de mon existence et me replonger dans une sorte d’angoisse incurable.
La fatalité compte parfois sur les coups du hasard pour nous surprendre et rebaliser notre route.
 
Après plusieurs minutes d’angoisse où l’inquiétude fait place à l’envie de savoir et de découvrir la vérité quelque cruelle qu’elle soit, j’ouvre.
Je parcours rapidement les quelques mots affreusement griffonnés sur un bout de papier.
 
«  Mélanie
Je l’ai fait pour toi, pour nous… Je n’ai pas eu de chance…
Adieu.
 
Manuel.  »
 
Je replie nerveusement le billet, l’ouvre à nouveau, le relis.
J’analyse soigneusement chacun des mots pour détecter le mystère qui s’y cache.
Je le referme, le glisse machinalement dans ma poche de manteau.
Un coup d’œil furtif autour de moi me convainc que personne n’a perçu ma plus qu’évidente confusion.
 
La gare est déserte.
Je fixe maintenant la nudité du grand mur pistache qui se dresse devant moi et qui semble m’inviter à crier haut et fort mon désespoir.
« Manuel ! Manuel ! Pourquoi… ? Dis-moi quelque chose… »
Effrayée par ma propre voix, je crains d’avoir été entendue.
Silence.
Vide.
Des pas traînards brisent soudain ce lourd silence.
Tirée de ma torpeur, je rectifie machinalement ma coiffure en levant furtivement les yeux.
Le chef de gare à visière de plastique verte m’observe un peu embarrassé.
Je cherche en vain à esquisser un certain sourire.
Je n’ai plus de mots.
La vieille pendule d’acajou verni indique que déjà vingt minutes se sont écoulées depuis le départ de l’Express.
Je me lève précipitamment et gagne la sortie emportée dans un vent de panique.
 
 
 
 
 
 
La ruelle Saint-Martin s’ouvre devant moi. Je m’y engouffre nerveusement. Celle-là même qui, quelques minutes auparavant, m’offrait l’espoir.
Une même pensée hantise sans relâche mon esprit :
« Mais qu’as-tu fait Manuel ? Pourquoi as-tu été arrêté ? Quel crime as-tu fait ? Pourquoi m’as-tu plongée dans cette noirceur intolérable ? »
 
La pluie a cessé.
Le soleil tente une timide percée.
D’innombrables flaques d’eau que je ne cherche même pas à éviter gorgeant les moindres fissures de la rue.
Le « Café Saint-Martin » accueille ses premiers clients. D’instinct, je m’y engouffre.
La petite table près de la fenêtre s’offre à moi, celle-là même qui fut témoin de ma première rencontre avec Manuel quelques mois plus tôt.
Monsieur José s’affaire déjà à préparer mon café. Le café noir que j’aime. Je ne l’entends même pas me saluer. Je lève la tête. Il me regarde tout sourire.
— Mademoiselle Mélanie sera en retard à ses cours ce matin. Le petit David est déjà passé… Il est toujours le dernier, celui-là…
— Pardon… ? Ah oui… ! répliqué-je en m’efforçant d’effacer le désarroi qui ravine mon visage.
D’habitude, je réponds par une boutade ou engage une conversation des plus banales sur les éternels thèmes du matin : la température, tel incendie, tel accident… Au lieu de cela, je me fais des plus discrètes, tentant d’atténuer la maladresse qui trahit chacun de mes gestes.
Premières gorgées de café.
Âcreté inhabituelle. Reflet des noirs sentiments qui m’animent alors.
Une main, soudain, se pose sur mon épaule.
Sursaut.
Stupeur.
Retour brutal à la réalité.
— Je vous ai fait peur, Mademoiselle Mélanie ? s’écrie l’agent Denault d’une voix enjouée. Toujours aussi séduisante, hein ! Fraîche comme la rose du matin, comme on dit…
— Ah, c’est vous, balbutié-je, cherchant en vain à dissimuler le trouble qui agite mon esprit. En effet, je ne vous attendais pas ici…
— Vous semblez préoccupée, observe l’agent qui a repris son sérieux. Puis-je vous aider en quelque chose ?
— Non, non, j’ai tout simplement passé une mauvaise nuit. Ça ira…, reprends-je précipitamment ne cherchant en fait qu’à couper court à cette conversation.
— Bon ! Ne vous gênez surtout pas…
Je fixe l’insigne du constable qui, pour la première fois, m’effraie. Embarrassée, je tente tant bien que mal d’articuler une réponse quelque peu sensée au policier qui, de toute façon, tire sa révérence.
Ces mots flatteurs qui auraient dû normalement susciter en moi un élan de gaieté ne réussissent même pas à calmer l’agitation qui m’envahit.
Une dernière gorgée de café.
Tremblement incontrôlable de ma main.
Je me lève d’un bond, empoigne mon sac à main, serre mon manteau et gagne précipitamment la sortie.
La facture ? Je l’avais tout simplement oubliée. Ça n’a vraiment plus d’importance maintenant.
 
Une force mystérieuse me pousse soudain à franchir, à vive allure, les quelques centaines de mètres qui me séparent de mon appartement, à la manière d’un malfaiteur en panique qui fuit le lieu du crime.
Mes cours ?
 
Je n’en ai plus maintenant, ni la force ni le goût.
 
 
 
 
 
 
 
De retour chez moi, après une course folle.
Rien n’a bougé.
Profond silence.
Doux crépitement de la dernière bûche du foyer.
Un lugubre linceul enrobe les quelques meubles de mon petit appartement teintant d’une triste noirceur l’atmosphère de

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