110
pages
Français
Ebooks
2017
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Publié par
Date de parution
12 mai 2017
Nombre de lectures
1
EAN13
9782312051796
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
2 Mo
Publié par
Date de parution
12 mai 2017
EAN13
9782312051796
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
2 Mo
Quand les femmes tenaient la France
Joseph Ligneau
Quand les femmes tenaient la France
Tome 2 des mémoires de Joseph Ligneau
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2017
ISBN : 978-2-312-05179-6
Préface
Dans la petite bourgade des Granges-le-Roi, Elesfort Ligneau se marie en secondes noces avec Marie Alphonsine Boudan, fille de berger. Elesfort a 66 ans, sa femme 15 ans et 3 mois. Né de cette union, Joseph Ligneau devient orphelin à l’âge de 9 ans. Il est envoyé successivement chez son oncle puis dans sa famille en Bretagne où il y passe son certificat d’études. Il revient à Cernay en 1913 et est placé commis pâtissier à Dourdan puis à Chevreuse mais s’enfuit. Il est recueilli par Mélanie Roulleau femme de Victor Vallée dans leur ferme des Granges-le-Roi. C’est ici que débute le second tome.
L’auteur qui vous parle est garçon de ferme. Il montre le rôle des femmes et la part prépondérante de celles-ci dans la bonne marche du monde rural durant la première guerre mondiale. Ce texte est un témoignage unique et littéraire sur le rôle capital réservé aux exploitantes agricoles, garçons de ferme, déserteurs et soldats affectés aux travaux agricoles. Bien avant les villes, le monde agricole se féminise.
Franc-parleur, Joseph nous transporte dans sa vie. La guerre n’est pas le sujet mais seulement la toile de fond de ses aventures au sein des exploitations agricoles.
Aucune propagande ni prosélytisme ne ressort de ce texte. Aucun des personnages n’a entendu l’appel aux femmes lancé par le president du conseil de l’époque, demandant aux paysannes de se mobiliser pour continuer les moissons et les travaux de la ferme. C’est un monde ou les hommes adultes sont absents.
Joseph Ligneau évoque la frustration amoureuse des femmes, il arrive qu’elles cèdent à une liaison adultérine. Cette écriture est en opposition totale avec la littérature de l’époque, lénifiante à souhait, expliquant que ces femmes avaient « tenu bon » et n’avaient jamais cédé au scandale grâce au contrôle moral exercé par les « belles mères ».
Aucun auteur n’a pensé à décrire ce monde paysan dirigé par des femmes, alors que la presse a largement couvert au cours de la guerre la vie des femmes des villes et banlieues dans les usines. C’est un ouvrage unique qui vous fera découvrir une vérité toute crue mais toujours sincère.
Maisons-Laffitte, le 30 avril 2017
Didier Touchet
Chapitre 1. La ferme Vallée
Figure 1 Carte postale les-Granges-le-Roi (Seine-et-Oise) - Intérieur de la ferme Vallée / Daubernet Editeur / Collection Pascaline Vallée
Cela faisait déjà un an que j’étais à la ferme. Toujours nourri, couché, blanchi… mais pas payé ! Bah ! Dans l’ensemble je ne me plaignais pas. La patronne avait continué l’habitude du patron. Une pièce de cent sous, à peu près tous les 15 jours ! Cela peut sembler peu de choses, mais représentait quand même 7 à 8 gros romans à 0.65 frs pièce, prix d’époque. De ces gros romans de Pierre Decourcelle, de Gustave Aimard, Michel Joraco, Jean de la Hire etc… tous romans d’aventures historiques, de sioux sur le sentier de la guerre, que je dévorais couché dans mon lit, à la lueur d’une lampe tempête fonctionnant au pétrole, et ce, tard dans la nuit. Plusieurs fois la patronne m’avait rappelé à l’ordre : « assez lu pour ce soir, demain il faut se lever à 5 heures comme d’habitude ». J’éteignais aussitôt et attendais avec impatience le lendemain soir pour continuer cette lecture. A travers une lucarne mal bouchée, la lumière filtrait dans les interstices et, de la façon dont était placé le lit de la patronne, elle aurait pu me dire le lendemain matin, jusqu’à quelle heure j’avais brûlé le pétrole, qui n’était pas fait pour lire des romans et les aventures de Marcel Dunot, le « roi des boxeurs ». Jour après jour, j’avais remédié à cela, en obstruant la lucarne avec de la paille, des vieux sacs, et je sortais dans la cour pour vérifier si la lumière était toujours visible ! Dans son coin, « Mouton » lorsqu’il n’était pas couché, mâchonnait son foin de ses vieilles dents jaunies. Comme moi, il sentait moins l’air froid, et nous nous tenions chaud mutuellement. Les mêmes travaux périodiques se répétèrent au cours des années 1915 et 1916. Pour préciser : Toussaint 1916, époque à laquelle je quittais la ferme Vallée Victor.
Figure 2 Carte postale la culture en Beauce - le battage du grain / Nolchert Editeur / Collection Didier Touchet
Figure 3 Photographie familiale / Collection Pascaline Vallée
En avril 1915, au cours d’une séance de battage, alors que je déliais les bottes sur le tablier de la batteuse, un grain de blé vint me cingler la prunelle de l’œil gauche. Tout d’abord je n’y attachais pas d’importance. Le lendemain l’œil était enflé, et quelques jours plus tard, une taie se formait et lentement recouvrait la prunelle. J’avais mis la patronne au courant de cet accident, bénin en apparence. Je m’entendis répondre : « tu n’as qu’à préparer tes affaires dans ta malle, et demain je t’emmènerai chez tes cousins à Richarville ». Bon !
Nous arrivons à Richarville chez le cousin Guérin, qui était toujours mon subrogé-tuteur. N’étant pas prévenu, les 3 membres de la famille levèrent les bras au ciel. De plus, les maçons faisaient des réparations à la maison, des portes et des fenêtres étaient démontées, pour permettre le scellement des gonds. Les cousins trouvèrent ce prétexte pour déclarer qu’ils ne pouvaient me recevoir, et en outre, firent remarquer à Mélanie que mon accident était arrivé à son service, qu’il y avait des témoins, et qu’il lui appartenait de faire le nécessaire pour ma guérison. La patronne était bien embarrassée. Il n’arrivait, pour ainsi dire, jamais d’accident dans la ferme. Par-ci par-là, un charretier recevait bien un coup de pied de cheval, ou une morsure, cadeau d’un solipède maigre, que l’étrille avait gratté un peu trop fort, un vacher était quelquefois bousculé par le taureau en mal de rut, un journalier glissait avec le sac de grains qu’il transportait. Tous ces gens-là se soignaient chez eux, ou, s’ils étaient sans famille, restaient couchés dans leur lit, dans un réduit de la ferme. Souvent même le médecin n’était pas appelé. Bah ! Pourquoi faire ? Cela se remettrait bien tout seul ! Il ne fallait pas être douillet à ce point-là. Patrons et intéressés tenaient ce raisonnement, ce qui était de la négligence, et lorsque le patricien de l’art était consulté, il était souvent trop tard pour remettre le membre blessé en place.
Figure 4 Photographie familiale / Mélanie Roulleau / Collection Pascaline Vallée
L’assurance accident existait bien, mais n’était guère pratiquée dans l’agriculture. L’assurance maladie n’existait pas encore. Il n’était pas rare de voir un patron flanquer l’ouvrier accidenté à la porte, sous prétexte qu’il était indisponible trop longtemps, et que, si cet ouvrier avait été plus prudent, l’accident ne serait pas arrivé. Le proverbe qui s’y rapporte était mis en vigueur par l’employeur : « Quand on veut noyer son chien, on dit qu’il a la gale ». Quelquefois, l’ouvrier partait de lui-même sans rien réclamer, déclarant qu’il allait ailleurs, où il n’aurait pas des carnes, ou des tréteaux à conduire, qu’il connaissait une place où l’on avait la goutte tous les matins, et que les patrons étaient moins exigeants dans le rendement journalier. Il y avait du vrai et du faux dans tout cela, mais n’empêche que les employeurs considéraient un peu trop l’ouvrier comme un animal qui parle, et qui n’a pas le droit d’être malade.
Figure 5 Carte postale Paris Gare Orleans-Austerlitz / ELD Editeur / Collection Cparama
La patronne, très maussade, m’avait donc ramené aux Granges. Ce fut une femme du village, qui, en venant au lait le lendemain matin, la tira d’embarras. Cette femme était journalière pour les travaux saisonniers et avait une fille nommée Olympe, mariée à Paris, avec un emballeur-manutentionnaire. Plusieurs fois je l’avais entendue parler d’Olympe par-ci, d’Olympe par-là, sans savoir que c’était sa fille. Le prénom n’était pas commun et tenait plus de la mythologie grecque que de l’état civil français. Appeler une fille, Marie, Louise, ou Jeanne sont choses courantes, mais a-t-on idée d’appeler une fille Olympe ? La plupart des femmes tutoyaient Mélanie, et cette personne lui dit que je devais être soigné aux Quinze-Vingt à Paris. C’était l’hôpital le mieux outillé pour les soins des yeux. Elle écrirait à sa fille pour me recevoir, et dès la réponse connue, la ferait savoir à M