Tant qu elle aime
176 pages
Français

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Description

Dans ce recueil de nouvelles, Josette Desclercs Abondio nous repeint le quotidien de la femme dans le foyer… ses peines, ses douleurs et ses joies.

Informations

Publié par
Date de parution 07 juillet 2015
Nombre de lectures 71
EAN13 9782372230148
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

JOsette Desclercs AbonDio
NOUVELLES
Tant qu’elle aime...
CIV 3014
Email : info@classiquesivoiriens.com 10 BP 1034 Abidjan 10
Tant qu’elle aime...
Un autre lit
Le temps est à l’orage, son cœur aussi. Le vent se jette lourdement contre la baie vitrée et secoue par mo-ment la maison toute entière. Sous l’impulsion du vent, les grandes branches du laurier rose raclent le toit qui craque et gémit sous les caresses brutales. Le bruit sourd du clima-tiseur ne couvre pas tout à fait le ronement de la voiture qui monte la côte de la rue d’en haut. Son cœur bat un peu plus vite, un peu plus fort, tandis qu’elle suit la lente pro-gression d’une auto inconnue dans un passage qui ne mène pas chez elle.
Elle se souvient de ses premières leçons de conduite. Le moteur ne lui laissait aucun répit ; il toussait et crachait en s’étranglant, puis il calait, pour l’ennuyer. Elle levait alors le pied de la pédale, prête à pleurer. De ses mains fermes, il retenait les siennes qui lâchaient le volant, et de sa voix impérieuse il grondait gentiment, le nez contre sa nuque douloureuse, raidie par l’effort.
Son soufe humide et chaud s’insinuait doucement, lentement, délicieusement dans les replis de sa peau tan-dis que ses lèvres formaient des baisers sans les donner vraiment. Elle se retournait alors et le corps ployé, cas-sé, les yeux aveugles, elle enfonçait sa tête par à coups dans la poitrine offerte. Lui, sachant que la crise de nerfs était proche, serrait contre lui ce corps qui le tenait depuis
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si longtemps. Combien de temps déjà ? Aucun des deux n’aurait su le dire. Peut-on enfermer ce qui les embrasait dans des chiffres ou des lettres ? Que venait faire le temps dans cet immense amour qui les dévorait comme une longue et dou-loureuse ïèvre ? Comme s’il suivait les méandres de sa pensée, il li-bérait une main et caressait sa nuque soumise. Son être entier se raidit à l’évocation de toutes ces scènes, les mêmes, celles qui jalonnent son passé heureux. Tout est terriblement présent en elle alors que seule et mi-sérable, elle gît dans son lit, passant et repassant dans sa tête ïévreuse, tout ce qu’ils ont été l’un pour l’autre. Tout ce qu’elle risque de perdre dans quelques heures. Par sa faute, Djay va sans doute mettre ïn à leur histoire d’amour et la congédier comme une employée indélicate. Ahiza se demande comment vivre après la honte qu’il lui inigera quand elle lui avouera sa faute. Pourra-t-elle survivre à une telle rupture ? Ses questions restent sans réponse. Il lui faut attendre l’arrivée et le départ de son amant ; pour l’heure, elle n’a que la nuit et sa solitude pour compagnes. Le silence est une torture insupportable. Elle sait que c’est en toute quiétude que Djay dort dans son lit, attendant l’aurore pour se mettre en route et venir vers elle. En un geste absurde, elle tend les bras vers l’absent. Ils se referment sur le vide, elle les ramène vers elle, puis elle étreint les draps roulés en boule. Elle se sent mal dans son lit, le second de Djay, celui qu’il déserte si souvent depuis quelque temps, au proït de l’autre, le premier, celui où dort sa femme légitime.
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Il n’est pas là, mais il est là. Elle le sent et elle le hume comme on le ferait avec la ïole vide d’un parfum trop cher, trop rare que l’on ne peut remplacer et que l’on applique de temps à autre sur sa peau, dans la vaine espé-rance d’une ivresse parfumée.
Elle frissonne du vide de son absence. Elle installe alors en elle, voluptueusement, la tête foreuse du manque et la suit millimètre par millimètre, dans sa descente ver-tigineuse, abyssale même. Elle se raidit sous l’effet de la torture que lui inige son mal d’amour. Elle songe que le Créateur n’a rien prévu pour un cœur qui s’emballe. Rien, pour le tempérer, encore moins pour le préserver des dé-bordements.
Son corps s’embrase soudain lorsqu’elle pense à Djay. Elle le voudrait près d’elle à tout instant, alors qu’il est un pôle glacial et lointain qui ïle à l’opposé et qui s’en va résolument, comme une banquise s’éloignant de son pi-ton. Elle gémit de peur et d’angoisse et se laisse engloutir par la force et la violence de son désir de lui, si fort et si intense alors que rien ne laisse espérer son retour. C’est ainsi qu’elle reste là, inconsolable et misérable créature en proie aux tourments de l’amour.
Le monde bascule ainsi dans le néant des cœurs et des corps qui ne savent plus se rejoindre. Cette pauvre chose inanimée qu’elle est devenue, à force d’égarements part à la dérive, loin de tout. Elle s’abandonne et tout se glace, puis tout craquelle. Bientôt ce qu’elle a été devien-dra poudre puis s’évaporera sous l’effet du soleil polaire. Elle a été ! Elle ne sera plus ! Sa bouche émet alors un râle ïnissant. Elle meurt d’amour, voilà tout ! C’est le résumé de sa triste histoire.
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Elle repart dans le passé, lors des leçons de conduite qu’il lui donnait avec tant de patience et de dévouement. Djay se matérialise alors, et soudain il est là, tout contre elle. Ils sont dans la voiture récalcitrante qui lui fait tant de misères. Il l’aime et le lui dit. Elle l’écoute et souhaite qu’il parle jusqu’à la ïn des temps. Elle voudrait tant que tout se ïge pour l’éternité. Il joue à présent avec les petits cheveux crépus échappés de sa coiffure puis il parcourt de baisers appuyés ses longues tresses et lui murmure à l’oreille : - Ahiza, ma douce ! Son corps se cabre comme un cheval rétif mais il fait si bon dans ses bras ! De sa voix grave et si basse, à peine audible à l’heure de l’amour, il la berce de ces ondes dont il a le secret. Les sons coulent et se propagent comme une médecine qui panse et cautérise. - Je t’aime, petite africaine couleur d’huile de palme ! Ses mains tâtonnent et s’appesantissent sur son vi-sage crispé. De ses grands doigts, Djay défait lentement, une à une, les petites tensions et les ridules qui se forment sur son visage grimaçant de colère et de frustrations. - Ahiza, mon doux miel des savanes ! Peu à peu, la vie se remet à l’endroit. Ahiza se coule complètement contre lui, à demi apaisée. L’esprit de cet homme a pris possession de son être. Elle a beau se dé-fendre et ruer, de sa magie, il opère des miracles. Mais il lui est si difïcile d’oublier que ce cœur qui bat si fort contre sa bouche n’est pas à elle. Non, elle ne le sait que trop ! Il n’est pas à elle ! Non ! Il appartient à l’autre. Djay la berce à présent. Sa conscience se voile ; ses défenses s’abaissent et laissent courir le torrent impétueux
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de la passion ; tandis qu’il parle, le ot continu de ses larmes l’inonde et menace de la noyer. Elle se serre encore plus contre lui et enfouit davan-tage son visage ruisselant dans la poitrine, jusqu’au cœur inaccessible de l’amant. Comme elle aurait voulu l’entendre battre rien que pour elle ! Comme elle aurait voulu qu’il lui mente ! Comme elle aurait voulu lire, dans ces coups sourds et réguliers, la promesse de demeurer là où elle est… toujours… Et im-perturbable, cet organe bat comme à l’accoutumée, comme si cet instant n’a pas d’importance, comme si sa vie ne se consume pas là, à cet instant où pour elle, le monde a cessé de tourner. Non, il se contente de sa besogne imbécile. Et elle ne sait plus comment endiguer la tempête qui se lève en elle. Djay parle encore… Ses mots lui parviennent difï-cilement. Elle n’est pas dans ce monde qu’il veut construire pour elle ; elle est là-bas, où il ne l’attend pas. Elle va vers ce lit qui ne la reçoit pas, ce lit qu’il a installé dans une autre ville, dans une autre maison, pour une autre, et lui, continue de parler sans se préoccuper des sentiments qui l’agitent. - Ahiza ! Concentre-toi ! Cette voiture est à toi, et tu dois l’apprivoiser ! Elle fera ce que tu voudras ! Elle est souple et malléable, si tu sais la prendre. Elle ne supporte pas d’être brusquée. Souviens-t’en ! Ahiza a un rictus d’amertume. Cet homme ne lui dit jamais ce qu’elle veut entendre. Depuis qu’il a bouleversé sa vie, il lui parle d’amour certes, mais il n’a pas les pa-roles d’absolu. Il ne sait pas lui mentir. Il ne sait pas lui par-ler. Que ferait-elle d’une indépendance qu’elle ne souhaite
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pas ? Au contraire, elle veut qu’il l’asservisse davantage à leur cause, à cet amour qu’il proclame. Elle se ferme à ce ot désagréable de paroles qu’il prêche dans le désert de sa conscience à elle, imperméable à tout ce qui ne sème pas le bon grain, à tout ce qui n’arrose pas sa terre fertile et grosse d’un amour exigeant, insatiable et vorace. N’as-tu pas envie de liberté ? Aller où bon te semble, à ta guise, libre de ton temps et de tes mouvements ? conti-nue-t-il, imperturbable. Ce jour-là, après la leçon de conduite, il était par-ti, la laissant exsangue d’avoir trop fait saigner son cœur. Tout son être charriait le poison de la jalousie qui s’immis-çait dans la moindre veinule ; et les globules de son sang se vidant de leur oxygène éclataient comme les bulles des boissons pétillantes. Selon les vœux de son amant, Ahiza avait ïni par vaincre la machine, et elle conduisait désormais. Elle avait fait très souvent le trajet qui menait à Aboisso où Djay vivait avec sa famille ; cette ville qui le retenait aussi pour son travail et ses affaires. Celle où il passait la plus grande partie de son existence ; celle enïn, qui le reconnaissait comme un grand notable. Celle qui le consacrait bon époux et bon père de famille. Ce lieu abhor-ré le conïsquait pour tout ce qui n’était pas elle. Elle s’y rendait au volant de la voiture qu’il lui avait offerte pour ses trente ans. - Je t’offre l’indépendance, avait-il dit, alors qu’il lui tendait la clef. Dans son regard, elle avait lu beaucoup de gravité.
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- Ce cadeau que je te fais, me terriïe mais il me faut prendre le risque d’assumer ta liberté. Et s’il le faut, j’accepte tout de cette autonomie que je réclame pour toi. Cette voiture est ta complice désormais. Je suis heureux de contribuer ainsi à la naissance de la nouvelle Africaine. Il devenait emphatique mais son regard tendre était malicieux. - Vive les petites ïlles des Amazones ! Celles que j’appelle ardemment car toutes les opportunités s’offrent à elles pour mener le combat qui ne regarde qu’elles, celui de la femme dans l’Afrique en devenir. Je te salue, ïlle d’Abla Pokou ! Prends ton arc et marche ! Les autres te suivront, pour notre malheur, à nous les hommes. Tant pis pour nous ! Son exubérance l’avait surprise et amusée. Ahiza était heureuse de le voir sous un autre jour. Il y eut une époque où tout en lui la ravissait. Au-jourd’hui, alors que tout va basculer, elle se souvient… Aboisso l’attirait et la repoussait. Elle le ressentait ainsi. C’est pourquoi elle ne lui parlait jamais de ces trajets douloureux comme des pèlerinages expiatoires qu’elle fai-sait à son insu. Il préférait la rejoindre chez elle. Ils menaient alors cette vie de reclus qui leur plaisait tant. Pas une seule fois, les amants comblés n’évoquaient l’ombre de toute la tribu que Djay laissait dans sa maison conjugale, où elle n’avait pas sa place. Ils s’enfermaient dans sa petite maison et jouaient éternellement, au voyage de noces, à l’abri de tout.
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Chaque arrivée était une fête et chaque départ, un déchirement. Après avoir essayé en vain, de la consoler et de lui faire quitter son air morose, Djay laissait courir doucement ses doigts le long des sillons de larmes sur son visage tendu et lui disait rêveusement : - Tu es belle, Ahiza ! Le chagrin ajoute à ta beau-té. Les larmes te magniïent. Tu ferais une veuve de toute beauté. Je ne veux pas mourir, pas encore. J’étoufferai de jalousie dans ma boîte. Les hommes à mon enterrement, n’auront pas une pensée pour moi ; ils n’auront qu’une hâte, te consoler. Et moi, je ne veux pas que tu écoutes ces imbéciles. Ils ne sauront pas t’aimer. Moi, j’ai appris, longtemps… et je t’aime, Ahiza. Je t’aime assez pour te sublimer. A chaque fois, elle se dégageait, furieuse. - Je ne serai pas à ton enterrement. Personne ne me laissera approcher. Je suis le cafard qui craint la lumière du jour ; je me tiens aux abords des maisons heureuses pour grappiller. Elle se lançait alors dans une diatribe fougueuse et ruait dans les cordes qui les retenaient l’un à l’autre, avec plus de force que les liens du mariage légal. Il lui prenait alors le visage dans ses grandes mains, délicatement, et lui baisait tendrement la bouche, puis il s’en allait sans un mot, le rire au coin des yeux, l’air de dire : « Tu n’en penses pas un mot ; tu es excessive et je ne t’en aime que mieux.» La voiture dévalait la pente et disparaissait avec la sérénité d’Ahiza.
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