Traversées
83 pages
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Description

Mary, jeune Ecossaise des Highlands, raconte ce qui l’a poussée à fuir son village et sa famille, au milieu des années 1950. Lorsqu’elle apprend qu’elle est enceinte, elle renonce à affronter le jugement des siens et accepte une proposition de s’enfuir clandestinement au Canada. Le prix de son passage : son enfant, dont il est prévu qu’il soit adopté par une famille canadienne...
L’Ecosse et le Canada, deux pays où l’auteur a vécu, servent de toile de fond à ce livre en partie inspiré d’un fait divers des années 1990.

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782312042794
Langue Français

Extrait

Traversées
Julien Masson
Traversées














LES ÉDITIONS DU NET 22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
© Les Éditions du Net, 2016 ISBN : 978-2-312-04279-4
« Tu sais, père, la douleur, soit elle arrive à fondre et à s’écouler par les yeux, soit elle devient tranchante comme une lame et jaillit de la bouche, soit elle se transforme en bombe à l’intérieur, une bombe qui explose un beau jour et qui te fait exploser… »
Atiq Rahimi
Livre 1
Glasgow, Ecosse, le 17 août 1956
Je n’ai jamais tenu de journal de ma vie. La découverte inopinée de ce cahier vierge sur l’étal d’un libraire ambulant m’a cependant convaincue que l’écriture serait un bon rempart contre la solitude pendant la traversée.
Le lieutenant Roberts m’a discrètement ouvert la porte de mon conteneur. On y est un peu à l’étroit, d’autant que l’espace est encombré par les provisions – essentiellement des fruits secs et de l’eau – ainsi qu’une lampe de poche, qui m’évitera l’obscurité prolongée et me permettra d’éclairer mon cahier. Il me faudra l’utiliser avec modération, selon monsieur Roberts, si je veux conserver quelques heures de luminosité quotidienne jusqu’à la fin du voyage.
C’est étrange, de consentir ainsi à l’emprisonnement dans le seul but de recouvrer sa liberté. Il y a quelques jours, j’étais une femme désespérée, rôdant sur les quais du port d’Oban, ma ville natale. Je revois encore la scène précédant cette soudaine détresse. Papa, souriant sans retenue, m’annonçait sa décision de me faire épouser Lloyd MacLeod, un bon parti à ce qu’on lui avait assuré. Il n’aurait jamais pu envisager moment plus opportun. J’avais en effet réalisé, deux jours plus tôt, que l’absence de règles ce mois-ci, n’était pas un simple caprice de mon anatomie.
J’aime. J’aime éperdument Scott MacGilvray, et c’est son enfant que je porte. Papa n’est pas du genre qu’on ose contester. En bon Ecossais, il n’aurait pas toléré que sa fille, unique de surcroît, lui tienne tête. De la lâcheté ? Sans doute… Mais ce départ pour le nouveau monde n’est-il pas en revanche un acte de courage ? Aujourd’hui, je saisis ma vie à bout de bras. Ma sortie du conteneur sera ma seconde naissance. Une nouvelle identité, et surtout, dans peu de temps, une existence avec celui que j’ai choisi et qui viendra me retrouver… Calme-toi, Mary. Il te faudra de la patience, beaucoup de patience. Mener cette grossesse à terme. Accepter de donner cet enfant sans perdre la tête, condition de ce passage… Oserai-je ? Si j’ai admis ce pacte sordide, c’est bien parce qu’on m’a assuré que tu n’en saurais jamais rien, mon amour. Comme tu ne sais déjà pas que je suis enceinte, nous pourrons tout reprendre à zéro. Tu me feras l’amour comme la première fois, et nous élèverons un autre enfant ensemble.
Quant à celui que je porte, puisqu’il ne sera jamais à nous, j’aime autant ne plus y penser…
Ce qui me fait le plus de peine, c’est d’avoir été obligée de te faire croire que je ne voulais plus de toi. De rompre alors même que tu venais de me demander en mariage. Un jour, tu comprendras, je l’espère, que tout ceci m’avait été imposé. Un jour, tu sauras la vérité.
* * *
Le lieutenant Roberts semble être un brave homme. J’en ai eu le sentiment dès notre première rencontre. Nous nous étions donné rendez-vous à la nuit tombante, dans une des ruelles sombres qui mènent au port de commerce. J’étais frigorifiée, car il avait fallu attendre le marin pendant près d’une heure. J’ai d’ailleurs cru qu’il ne viendrait plus. « Le capitaine nous a réuni dans sa cabine. Ça n’était pas prévu », avait-il lancé dès son arrivée, la mine un peu déconfite. Il paraissait vraiment désolé de m’avoir fait patienter aussi longtemps sous le crachin. Je m’étais recouverte, à sa requête, d’une grande cape noire, pour éviter d’être remarquée, mais la pluie avait fini par traverser mon pardessus, et je ne parvenais plus à me réchauffer. Navré de me voir en cet état, le lieutenant m’a proposé d’aller jusque chez lui pour que je puisse me sécher . « Vous ne pouvez pas prendre le risque d’attraper une pneumonie », a-t-il dit. Nous avons donc marché jusqu’à son domicile, lui me précédant de quelques mètres, afin de ne pas éveiller l’attention. Il vivait dans un appartement minuscule, doté d’une seule pièce, chauffée par une immense cheminée. Il a eu la délicatesse de se retourner pendant que je me dévêtais. J’ai enfilé l’une de ses chemises, bien que trop grande, et me suis réchauffée au coin du feu…
Nous avons gagné l’embarcadère vers deux heures du matin. Il était convenu que le lieutenant me donne le signal de monter à bord dès qu’il aurait détourné l’attention de la sentinelle. Je l’ai vu franchir la passerelle, puis se diriger vers le matelot de faction.
– Ah ! C’est vous mon lieutenant ! La soirée a été bonne, sans doute…
– Si je pouvais vous faire le portrait de la belle Irlandaise avec laquelle je viens de passer la soirée, vous me prendriez pour un vantard !
– Une belle rouquine, je parie…
– On ne peut rien vous cacher, Milligan. Dites-moi, je peux vous offrir un verre ? Rien qu’un, ça ne devrait pas assommer un grand gaillard comme vous…
– Ça ne serait pas de refus, mon lieutenant, à condition que ça reste entre nous…
– Bien entendu… Écoutez ! J’ai une ou deux bricoles à terminer sur le pont. Voilà les clefs de ma cabine. Rapportez deux verres, et la meilleure bouteille de malt que vous trouverez…
– Vous me gâtez, mon lieutenant…
– N’allez surtout pas croire que vous serez le seul à en boire, ivrogne !
Dès que le matelot a quitté le pont, le lieutenant Roberts a retiré sa casquette, s’est accoudé contre la balustrade et a allumé une cigarette. C’était le signal convenu… Aussi discrètement que possible, je me suis donc faufilée jusqu’à la passerelle, et l’ai gravie d’un seul élan. Le lieutenant m’a aussitôt accompagnée dans la direction opposée de celle qu’avait empruntée le vigile. Il m’a fait pénétrer dans une grande salle où s’amoncelaient de nombreuses boîtes aux tailles diverses. Il a ouvert l’un des conteneurs, m’a remis la lampe de poche, et m’a expliqué où étaient l’eau, les denrées, avant de me faire asseoir dans l’espace prévu à cet effet.
– Ce ne sera pas une traversée des plus confortables, mais douze jours, c’est vite passé, a-t-il lancé sur un ton se voulant rassurant… Il a ensuite refermé le conteneur, m’abandonnant dans la pénombre, et a revissé le panneau obturateur.
– Mon lieutenant… Vous êtes là ?
La voix semblait provenir du pont. J’ai entendu le lieutenant quitter la pièce des conteneurs à vive allure, et rabrouer le matelot…
– Taisez-vous, abruti… Vous allez réveiller le reste de l’équipage. Il n’y aurait pas assez de malt pour tout le monde !
Quelque part sur l’océan, le 18 août 1956
S’il devait m’arriver quelque chose durant cette traversée, j’aimerais que mes proches connaissent les détails de mon aventure. Ce journal devrait apporter quelques éclaircissements sur mon comportement, qui pourrait apparaître plutôt étrange aux personnes de mon entourage. Je les entends d’ici… « Mary, un p’tit bout de femme si tranquille. Comment a-t-elle pu ? »
Lorsque j’ai appris que j’attendais un enfant, ma première réaction fut tout d’abord d’aller trouver notre médecin de famille, Andrew Morton, pour lui demander conseil, et surtout, aborder avec lui la question de l’avortement. Il était en effet hors de question que je garde cet enfant. Le jugement des autres m’eût été insupportable. Celui de papa en tout premier lieu… Il détestait l’idée qu’un homme pût s’approcher de sa fille.
« Comment as-tu pu croire que j’allais bien vouloir t’aider ? », lança sèchement le Dr Morton. « Moi, qui t’ai vu naître. Crois-tu que je sois assez criminel pour enlever la vie à un enfant ? »
Je m’attendai

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