Un si étrange amour , livre ebook
91
pages
Français
Ebooks
2012
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Un si étrange amour
Eric Guerrier
Un si étrange amour
ROMAN
Les éditions du net 70, quai Dion-Bouton 92800 Puteaux
Du même auteur
Histoire de chasser sous la mer – Arthaud 1972
Essai sur la cosmogonie des Dogon – Robert Laffont 1975
La chasse sous-marine – Solar 1980
Le principe de la pyramide égyptienn e – Robert Laffont 1981
Le premier testament des dieux – Le Rocher 1981
Les dieux et l’Histoire Sainte – Le Rocher 1982
De Bethléem à la fin des temps – Le Rocher 1983
Les Pyramides, l’enquête – Cheminements 2006
Dominici, expertise du triple crime de Lurs – Cheminements 2007
La réparation – Cheminements 2007
Mathusalem export – Edilivre 2009
Que l’avenir redevienne un rivage – Edilivre 2010
Un roman d’Algérie – la parole de face – Les Éditions du Net 2012
*
Couverture : Nu lové – Eric Guerrier 1993 ©
© Les Éditions du Net, 2012 ISBN : 978-2-312-00661-1
À Yane
Que le jour recommence et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice.
Racine
1
Parti de grand matin d’Aix-en-Provence par le premier TGV, moins de quatre heures plus tard, après un coup de taxi, de la Gare de Lyon à celle de l’Est, je monte dans une autre rame, pour Metz celle-là. Comme à chaque fois, lorsque je me retrouve prisonnier de ces trains hermétiques, je me laisse glisser dans le silence feutré de leur confort climatisé. Calé dans mon fauteuil, regard perdu dans le flou, sans réellement regarder les campagnes profondes qui défilent, mon esprit sombre dans une sorte de semi-hypnose qui le laisse fureter sans contrainte à l’intérieur de lui-même.
Ce matin, dès installé à ma place, je n’ai pu que revenir encore et encore à ce coup de téléphone qui, la veille au soir et d’un seul prénom, m’a fait l’impression de renverser le solde du cours de ma vie.
- Marc Avelin ?… Florence Magnan.
Quelques secondes pour réaliser :
- Flo !… Depuis tout ce temps !
Après l’échange de quelques banalités, elle avait fini par dire :
- En fait, je t’appelle de la part de ma sœur… Jeanne… tu te souviens ?
Si mon vieux cœur se souvenait ?!
- Jeanne ! Oui bien sûr…
Jeanne, perdue dans l’espace, mais pas dans le temps où je revoyais tout d’elle ressurgir « comme si c’était hier ». Pourtant ça doit bien faire quelque cinquante ans qu’on ne s’est pas revus, et que je n’en ai plus eu la moindre nouvelle ! À la façon du flot d’un barrage qui craque, mes souvenirs d’elle ont déboulé en me submergeant. Et, sentiment rare chez moi, ils ont réveillé une puissante nostalgie… encore un peu douloureuse. Au passage, ils ont aussi ravivé une vieille question tapie au fond de moi-même, à laquelle, aujourd’hui encore, je n’ai toujours pas de réponse sans équivoque.
- Mais pourquoi ne m’a-t-elle pas appelé elle-même ?
- Peut-être craignait-elle ta réaction.
- Ma réaction !?
- Je ne sais pas, que tu… lui en veuilles encore.
- … Et que je lui raccroche au nez !
Un tel ressentiment n’est pas mon genre, et surtout à son endroit. Et puis même, après tant d’années, ça n’aurait vraiment plus aucun sens.
- Ou alors, son appel aurait-il pu te mettre en difficulté…
- … !!!?
- Comment dire, perturber…
- Quoi ? Ma vie de famille ? Non. Je suis un vieux retraité solitaire, divorcé depuis très longtemps, et je n’ai pas eu d’enfant.
- C’est ce que je croyais savoir. Car, en fait, Jeanne m’a chargée de te demander si tu accepterais de la revoir.
La revoir ? Sur le moment, j’avais été tenté de répondre à quoi bon ? Après tout ce temps, que pouvait-il demeurer de nos sentiments d’alors, et à quoi pourrait bien correspondre le réveil d’une nostalgie de nos vingt ans, resurgissant brusquement aujourd’hui ? Pour moi au moins, ne serait-ce pas une simple complaisance, et pour tout dire un peu sénile, envers les souvenirs de ce temps et de mon amour de Jeanne ?
Mais mes réticences avaient commencé de battre en retraite dans le registre d’une sourde appréhension, quand Florence avait ajouté :
- Elle ne s’est pas sentie en état de faire elle-même la démarche.
Et mon cœur s’était carrément arrêté, quand Florence m’avait appris que sa sœur, atteinte d’un méchant cancer en phase terminale, était dans un service de soins palliatifs dans un hôpital à Metz.
- À Metz… !?
- Si tu veux bien, c’est elle qui t’en dira plus. Voilà son numéro…
Là j’avais compris pourquoi ce n’était pas Jeanne qui m’avait appelé. Mais lui téléphoner, non. Et pourquoi pas un SMS ou un mail, et pire, masqué derrière un pseudo ? Ou pire encore, en webcam. La trop facile commodité de ces communications immédiates mais virtuelles, a complètement vidé les relations vivantes du contact physique et de la parole de face.
- Flo, tu dois bien te douter que, dans ces circonstances, je ne me sente pas de la retrouver au téléphone. Mais dis-lui que j’y serai, le temps de fermer la maison, et d’aller sauter dans le premier TGV, dès demain matin.
Tellement déstabilisé, je n’avais même pas pensé à bavarder un peu plus avec Florence. Après avoir raccroché, j’étais resté là un bon moment, debout, figé, mon for intérieur agité par les remous de cet impromptu brassant en désordre mes images de Jeanne. Et puis, brusquement, j’avais pris conscience qu’elle était à peine moins âgée que moi. Deux ans seulement. C’est-à-dire qu’elle avait donc aujourd’hui… soixante-treize ans ! Si mon état n’avait été si douloureusement critique, sans doute en aurais-je souri. Pensez ! Des retrouvailles entre deux vieilles muppets… Et déjà, impossible d’imaginer une Jeanne devenue autre, comme je ne suis plus le même que celui dont elle a gardé le souvenir. Mais alors, pourquoi veut-elle me revoir ? Après cinq décennies, tout ce temps si long à venir et si vite écoulé, pour essayer de retrouver ou de ranimer quoi ? Notre amour déchiré et tout à coup relancé « à la recherche du temps perdu » ? Si je n’avais pas su que Jeanne gisait sur un lit d’agonie, sans doute aurais-je finalement tenté de m’esquiver. Mais là non, pas de défausse possible en une telle circonstance, surtout avec elle. Car de plus envers elle, je me sens toujours redevable d’une dette inaliénable.
De souvenirs de nous, oui bien sûr, j’en ai été assailli. D’images d’elle aussi. Mais je me suis rendu compte que je n’avais pas une seule photo d’elle ! Il faut dire que c’est elle qui n’a jamais voulu que je la photographie. Pas une lettre non plus, car nous ne nous sommes jamais écrits… sauf moi, une seule fois, une seule lettre à laquelle elle n’a pas répondu. Et non plus pas un seul de ces petits objets qu’on garde dans quelque boîte oubliée au fond d’un tiroir ou d’une vieille malle, car nous n’avons même jamais rien échangé… sauf des livres. Mais là, si je me souviens bien de quelques-uns au moins, je ne crois pas qu’il y en ait encore dans ma bibliothèque, ou alors en reste-t-il peut-être dans quelque caisse. Mes affaires ont tellement bourlingué depuis tout ce temps.
Demain, allons-nous au moins nous reconnaître, elle qui avait vingt-trois ans et moi vingt-cinq, quand nous nous sommes revus pour la dernière fois ? C’était à peine cinq mois avant son mariage. Ce foutu mariage…
2
Comme d’habitude, et chaque fois que je le pouvais, j’étais descendu de Paris. Cette fois-là, c’était pour la Pentecôte. Celle de 1960. Un sacré bail ! Aujourd’hui la période de prescription trentenaire est largement outrepassée. Mais la rupture de ma relation avec Jeanne est une faute imprescriptible, car elle relève du crime contre l’humanité, ou plutôt contre la féminité. Celle de Jeanne, bien sûr.
Ce samedi matin, en débarquant du train de nuit à Saint Charles, comme d’habitude j’étais allé poser mon sac chez mon oncle Louis qui habitait en haut du vallon de l’Oriol. Depuis que mon père, en constante mission, avait e